«Les russes tués au combat ont leurs péchés pardonnés»
Les soldats russes qui meurent dans l'exercice de leurs fonctions en Ukraine ont tous leurs péchés pardonnés. Telle est en substance la proclamation choc qu’a formulée le patriarche de l’Église orthodoxe russe, dans un sermon le 25 septembre, quelques jours après la mobilisation partielle des réservistes annoncée par le Kremlin. Et de comparer leur mort sacrificielle à celle de Jésus sur la croix.
Le patriarche Kirill a toujours affirmé un soutien ferme à la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine, débutée en février dernier. Il l’a légitimée en l’assimilant à une guerre sainte plus large contre un Occident libéral envahissant, qu’il dépeint comme exigeant des Marches des fiertés. Le chef de l’Église orthodoxe russe s’est également fait l’écho du président Vladimir Poutine, qui décrit l'Ukraine comme étant spirituellement et politiquement liée à la Russie par leurs racines médiévales communes.
Les derniers mots de Kirill font encore monter les enjeux rhétoriques, au moment où la Russie s’apprête à annoncer l’annexion de certaines parties de l'est de l'Ukraine à la suite des pertes militaires subies par les forces ukrainiennes et d’un référendum jugé illégal par la communauté internationale.
«Si quelqu'un, poussé par le sens du devoir, la nécessité de remplir un serment, reste fidèle à sa vocation et meurt dans l'exercice de ses fonctions militaires, il commet sans aucun doute un acte qui équivaut à un sacrifice», a déclaré précisément le chef orthodoxe russe au cours de son sermon. Et d’asséner: «Il se sacrifie pour les autres. Et par conséquent, nous croyons que ce sacrifice lave tous les péchés qu'une personne a commis.» Des paroles prononcées alors que des milliers de Russes ont cherché à éviter ce martyre en quittant le pays par voie terrestre ou aérienne plutôt que d'être emportés par la mobilisation.
De nombreux observateurs critiques à l’égard de cette guerre ont été consternés par cette valorisation des soldats combattant dans ce que la plupart des pays occidentaux ont dénoncé comme une guerre d'agression, accompagnée de prétendues violations des droits de l'homme.
Le patriarche Kirill a remplacé le concept chrétien de martyre «par l'idée de terrorisme religieux», a dénoncé publiquement le révérend Cyril Hovorun, prêtre orthodoxe, originaire d'Ukraine et professeur d'ecclésiologie, de relations internationales et d'œcuménisme au Collège universitaire de Stockholm. Les martyrs sacrifient leur propre vie, mais les terroristes à motivation religieuse «sacrifient leur vie et celle des autres», a encore rectifié l’intellectuel, fondateur d'Orthodox Against War, un projet lancé après le début de la guerre.
Cet observateur du monde orthodoxe juge que le patriarche russe s'adresse ici à un public d'une seule personne. «Je ne sais pas qui il peut convaincre, car les Russes l'écoutent de moins en moins», exprime-t-il. «Cependant, je pense que le principal destinataire des messages de Kirill est Poutine. Kirill, à travers ces messages, communique à Poutine: "Je suis avec toi."»
Le patriarche de l’Église orthodoxe russe a décrit à plusieurs reprises la guerre comme «fratricide» et a prié pour qu'elle ne détruise pas «l'espace spirituel unique de la Sainte Russie». Pour autant, son soutien indéfectible à la guerre a déjà contribué à précipiter une rupture historique sur ce territoire. Le christianisme orthodoxe oriental est la religion majoritaire dans les deux pays.
L'Église orthodoxe d’Ukraine – qui était restée fidèle au Patriarcat de Moscou jusqu'à cette année, même lorsque d'autres orthodoxes ukrainiens s'en étaient détachés – a déclaré son indépendance en mai. À ce moment-là, de nombreux prêtres et évêques avaient cessé de commémorer Kirill dans le cadre de leur culte public, un affront rituel puissant.