Mikhaïl Gorbatchev, «libérateur» de la religion en URSS
En avril 2008, des articles de la presse mondiale assurent à grand fracas que Mikhaïl Gorbatchev est devenu chrétien. À l’origine de cette rumeur, sa visite sur la tombe de saint François, à Assise. Une conversion que l’ancien dirigeant soviétique s’empressera de démentir. «J’étais et je reste un athée», confirmera-t-il à l’agence de presse russe Interfax. «C’est en touriste et non pas en pèlerin que je me suis rendu sur cette tombe», a assuré l’ancien ponte communiste, tout en relevant sa fascination et son admiration pour le Poverello (surnom donné à François d’Assise, ndlr.).
Ce n’est donc pas par conviction religieuse que Mikhaïl Gorbatchev a fixé le cadre d’une nouvelle ère dans les relations entre les religions et l’État.
Lorsqu’il est nommé Secrétaire général du Parti, en 1985, les tensions sont déjà moindres que par le passé. Dès la fin des années 1970, il ne s’agit plus de réprimer massivement l’expression de la religion, mais de surveiller et de cadrer étroitement les activités des Églises.
La nouvelle donne est notamment illustrée par la nomination, en 1984, de Konstantin Khartchev à la tête du Conseil des affaires religieuses, l’organe chargé de la surveillance. L’homme est reconnu pour son ouverture et se trouve parfaitement dans la ligne du nouveau style de gouvernement qui s’incarnera dès l’année suivante avec Mikhaïl Gorbatchev. «Le pouvoir soviétique n’a pas besoin de combattre la religion», déclare ainsi Konstantin Khartchev en 1987. «En fait, une telle lutte est une déviation des principes marxistes.»
L’approche des nouveaux hommes forts du Kremlin est plus pragmatique qu’idéologique. Elle s’inscrit dans la politique de «Glasnost», soit la nouvelle «transparence» destinée à libérer la circulation des idées et des informations. Le tout devant permettre l’essor de la «Perestroïka», la «reconstruction» d’une société communiste en pleine déliquescence.
Konstantin Khartchev estimait que le régime soviétique ne pouvait triompher qu’avec le soutien des ouvriers et des paysans, dont la majorité étaient croyants. Le Parti était aussi conscient de la déchéance morale dans la société soviétique, qui provoquait toutes sortes de problèmes, allant de l’abus d’alcool à la corruption généralisée. Le pouvoir jugeait que les idéaux chrétiens étaient en de nombreux points compatibles avec les principes communistes et en mesure d’apporter un relèvement moral.
Dans les dernière décennies de l’Union soviétique, des formes de «tolérance majeure» se sont ainsi mises en place, «même si on ne peut certainement pas parler de vraie liberté religieuse», notait ainsi Aldo Ferrari, professeur d’histoire russe à l’Université de Venise, dans une interview à cath.ch en décembre 2021. «Alors que l’État soviétique permettait de plus en plus l’organisation de différentes manifestations religieuses, il les limitait en même temps fortement et continuait de mener une propagande athéiste agressive.»
Le pouvoir soviétique a accepté de célébrer, en 1988, le millénaire du Baptême de la Rous’, considéré comme l’acte de naissance de la Russie. Er ce alors même que l’événement avait une très forte signification religieuse, puisqu’il marquait l’adoption du christianisme byzantin comme religion d’État, en 988. La manifestation a signé une détente. Le pouvoir soviétique a accordé dans la foulée aux organisations religieuses certaines «faveurs», notamment l’importation de milliers de bibles.
C’est en 1990 que le joug sur la religion se desserre largement. Une nouvelle loi accorde alors aux organisations religieuses un statut juridique complet, autorise l’enseignement religieux dans les écoles publiques, et permet aux organisations religieuses de posséder leurs lieux de culte et autres biens. L’importation de littérature religieuse de l’étranger est ouverte, ainsi que l’engagement dans des activités caritatives.
La nouvelle législation égalise également la structure fiscale pour le clergé (qui était auparavant plus élevée que pour les citoyens ordinaires). Elle garantit la liberté de culte, interdit au gouvernement d’interférer dans les activités religieuses et met fin à une politique vieille de septante ans de soutien officiel à l’athéisme, interdisant toute discrimination fondée sur la croyance religieuse.
Dans les développements qui suivent la démission de Mikhaïl Gorbatchev, le 25 décembre 1991, et la dissolution de l’URSS, la liberté de culte complète (en tout cas pour l’orthodoxie) s’établit en Russie et dans les anciennes Républiques socialistes. À partir de là, le clergé orthodoxe ne cessera de monter en puissance. Le Patriarcat de Moscou est aujourd’hui devenu une force sociale incontournable, dont la collusion avec le pouvoir politique est toutefois fortement controversée. Le patriarche Kirill Ier est ainsi notamment critiqué pour son soutien au président Poutine dans la guerre en Ukraine.