La retraite spirituelle, pas forcément de tout repos
Ils sont de plus en plus nombreux à tenter la retraite spirituelle pour contrer les maux d’une société en constante accélération. Mais croyants ou non, sommes-nous tous faits pour un tel pas de côté? Retour d’expériences.
En fond d’écran de son smartphone, Pierre Maudet a choisi une photo de l’abbaye de Sénanque, perdue dans la lavande en fleur. Un souvenir du printemps 2019, période à laquelle celui qui était encore conseiller d’État genevois, est parti une semaine en retraite. Ce choix ne s’inscrit pourtant pas dans une démarche de foi. Ce protestant peu pratiquant suit le conseil de son entourage: s’extraire du «fracas médiatique» qu’il traverse. C’est donc seul qu’il se rend en Provence dans le monastère cistercien totalement coupé des réseaux de téléphonie mobile. Il y vit au rythme des sept offices quotidiens qui commencent à 4h15. Une occasion de prendre enfin du temps pour lui et même de rouvrir la Bible: «J’ai notamment relu l’Évangile de Marc: les questions de pouvoir, l’autorité de Jésus, sa relation à ses disciples, ont nourri mon introspection.» Un vrai retour aux sources et une vraie respiration qui lui permettent, en rentrant, de «ralentir le rythme».
Un récit qui ne fait pas figure d’exception. Halte privilégiée sur l’autoroute du surmenage, la retraite spirituelle gagne du terrain chez les personnes exprimant le besoin de se ressourcer. Pour autant, sommes-nous tous prêts à tenter l’expérience?
«Ma première retraite, c’était l’angoisse. Je n’étais pas préparée à vivre le silence, c’était pesant. J’avais 22 ans et je m’attendais à une expérience mystique», se remémore Geneviève Spring, accompagnante spirituelle au Chuv. Mais ça ne l’a pas refroidie. «Aujourd’hui, la retraite est un besoin. Elle me permet d’être pleinement moi-même. Je peux faire un travail de relecture de mon vécu, impliquant l’émotion et le corps», détaille-t-elle.
Si le silence est d’or pour les retraitants, il n’empêche qu’il demande à être apprivoisé. «Je traversais une période difficile. Je me suis inscrite à une retraite à Versailles (F), sans même me rendre compte qu’elle se déroulait en silence. Je n’avais qu’une envie: partir. Mais j’étais trop loin de chez moi. Je suis restée et j’ai bien fait», partage Anne Schneider. Aujourd’hui, elle affiche une vingtaine de retraites au compteur et une dizaine en tant qu’accompagnante, à Granchamp (NE). Une reconquête intérieure qui coûte: «Il faut être capable d’introspection autant que de se confronter à ses zones d’ombre», poursuit-elle.
Pour d’autres, le chemin est moins sinueux. «La retraite s’inscrit dans une démarche de foi qui date de mon enfance. Comme on met de l’essence dans sa voiture, la retraite et la méditation me permettent de faire le plein d’intériorité pour continuer ma route», illustre l’enseignant spécialisé Jean-Marc Ischer.
«Les gens ont terriblement besoin de vivre des retraites. Avec la pandémie, le travail a envahi le lieu d’habitation. Ils ont besoin d’espaces où se déconnecter, se recentrer, où partager leurs doutes autant que leurs espérances», commente le pasteur vaudois Alain Monnard résident de Crêt-Bérard (VD), lieu de retraites destinées aux croyants mais pas seulement.
Force est de constater que la demande est là. «Je faisais face à un trop plein dans mon quotidien. Je ressentais le besoin de prendre du temps pour moi, me retirer et vivre ma spiritualité pleinement», explique la Vaudoise Marie-Claire Chavan. Crêt-Bérard, Vaumarcus (NE), le monastère de Bose (I): à chaque fois, le silence lui permet d’être plus à l’écoute de ses ressentis et des textes bibliques.
«L’expérience de la méditation de pleine conscience en lien avec la foi chrétienne permet de s’approcher des textes sacrés en se mettant à l’écoute du corps et du cœur plutôt que de l’intellect. Le silence est habité», observe Lia Antico, chercheuse en neurosciences et enseignante catholique de méditation pleine présence. Et l’essayer, pour beaucoup, c’est l’adopter. «Il y a trois types de participants: des chrétiens engagés, des nouveaux chercheurs en quête de sens et des adeptes de méditation séculière.»
«L’ascétisme est un mode d’accès au sacré qui s’est démocratisé. Il séduit les personnes en quête d’une reconnexion avec elles-mêmes et/ou la nature», confirme François Gauthier, sociologue des religions à l’Université de Fribourg. Et pour cause: la religiosité contemporaine rime moins avec «l’idée d’une vérité qu’avec une quête de sens qui passe par l’expérience». En cela, nos contemporains renouent avec des pratiques datant des premiers chrétiens, peu à peu délaissées par les institutions ecclésiales. À la différence près que «l’impératif du sens est aujourd’hui tourné vers l’individu et non plus vers la communauté».