Alain Martin: «Si, dans notre Eglise, on n’a pas les capacités de gérer nos différentes personnalités, c’est qu’il y a un problème.»
Propos recueillis pas Joël Burri
Avec la grève de la faim d’un de vos collègues, on n’a jamais autant parlé des conditions de travail des pasteurs. Pourtant on a peu entendu la Ministérielle.
Nous avons choisi la discrétion. Nous avons estimé qu’intervenir publiquement n’apportait rien et ne permettait pas de calmer le jeu.
Les conditions de travail des pasteurs vaudois se sont-elles tant péjorées que ce que l’on a pu entendre dans cette affaire?
Les conditions de travail des ministres ont pas mal évolué. La place du pasteur de paroisse dans la communauté civile n’est plus une évidence. En outre, jusque dans les années 1980, l’Eglise portait les ministères, mais maintenant c’est le contraire, ce sont les ministères qui portent l’Eglise. Les pasteurs ne sont plus de simples agents régulateurs du religieux, ils sont appelés à exercer des compétences éthiques, spirituelles, liturgiques, rituelles, etc.
La crise est davantage liée à la place du ministre dans la société qu’aux changements internes de l’institution?
Il y a les deux. C’est une combinaison multifactorielle. La place du pasteur dans la société joue un rôle important, mais il y a aussi le changement institutionnel.
Jusqu’en 2006, c’était l’Etat qui était employeur, et maintenant, c’est l’Eglise. Et ce changement là s’est fait sans avoir une modification fondamentale dans la gestion des ressources humaines. Bien sûr, il y a eu la création d’un Office des ressource humaines (ORH), mais il faisait suite au «pasteur des pasteurs» qui restait à l’époque centré sur l’accompagnement spirituel.
Bref, on est dans une configuration où sans que la structure de l’Eglise ait changé fondamentalement et sans que l’on ait pensé ecclésiologiquement cette évolution, c’est désormais l’ORH qui devient le garant –en fait le responsable– des mouvements de postes. Et cette centralisation là, à mon avis, n’a pas encore été clairement analysée et digérée.
Vous insistez beaucoup sur les changements de poste. Est-ce à dire qu’il s’agit là d’une source importante de conflits?
Si j’en crois les cas où je suis amené, comme secrétaire général de la Ministérielle, à accompagner des collègues, la principale difficulté apparaît quand on essaie de mettre la bonne personne au bon endroit. Cela demande un temps énorme. Et actuellement à l’EERV, la gestion ordinaire des ressources humaines ne laisse pas ce temps. Le Conseil synodal (exécutif) le reconnaît, mais il complète l'office avec des compétences administratives et non au pas avec des personnes chargées du discernement des charismes. Pour moi, il ne faudrait pas un responsable, mais deux ou trois.
Et puis j’ai envie de dire que moi, même après 22 ans de ministère, je me considère comme un apprenti. Et je suis en apprentissage perpétuel. Cela fait 14 ans que je suis secrétaire général de la Ministerielle et je me considère encore comme étant en apprentissage. Et je crois aussi qu’on a une institution, l’Eglise, qui est en apprentissage dans son rôle d’employeur, cela ne fait que 7 ans qu’elle l’est. Et inévitablement, il y a des moments où l’on essaie et où l’on s’aperçoit que ce n’est pas tout à fait la bonne solution. Encore faut-il admettre que l’on puisse faire des erreurs, et pour l’instant, je n’ai pas l’impression que l’on a un Conseil synodal qui admet facilement s’être trompé.
Il y a des points sur lesquels il fait fausse route, selon vous?
Pour moi dans la situation des ressources humaines actuellement, il y a une grosse difficulté qui heureusement va être palliée par la création de la commission de traitement des litiges, décidée par le Synode (organe délibérant), c’est que lorsqu’il y a une situation RH difficile, tendue, dans laquelle le Conseil synodal comme employeur doit intervenir, il ne le fait que sur la base du compte-rendu d’une ou deux personnes de l’ORH. Et l’exécutif ne rencontre pas le collègue en question quand il prend sa décision. Et cela pour moi c’est vraiment problématique, car le risque d’arbitraire est plus élevé si l’on agit de cette manière.
Ce que je constate dans mon travail à la Ministérielle, c’est que la plupart du temps les choses se passent bien. Quand il n’y a pas de crispation, cela va bien. Mais quand les choses sont un peu plus délicates, quand des collègues sont moins conciliants, qu’ils résistent, là il y a tendance à avoir davantage de dureté et de crispation. Je sais bien que le responsable RH essaie d’être objectif. Mais si malheureusement – qu’il le veuille ou non – il y a une réserve, une réticence, ou même un point de vue émotionnellement négatif par rapport à un collègue, il ne va pas faire de cadeau. Le rapport sera donc négatif et forcément la décision négative, puisqu’il n’y a pas le regard du Conseil synodal sur la personne.
Je suis donc heureux que désormais, il y ait une commission de traitement des litiges qui va pouvoir enquêter et poser un autre regard et pondérer.
Mais est-ce que les pasteurs ne sont pas un peu des enfants gâtés? Ils ont un règlement plutôt favorable et finalement relativement peu de situations problématiques.
Enfants gâtés, non je ne crois pas! Bien sûr que l’on a une situation qui est relativement privilégiée. Nous avons une convention collective et des conditions de travail qui sans être très favorables aux personnes employées, posent un certain nombre de protections. Ce cadre est largement inspiré du Règlement du personnel de l’Etat de Vaud, c’est de là que l’on vient.
On a cinq ou six situations de conflits ces derniers temps. On pourrait se dire que c’est peu sur 250, mais cela représente quand même 2-3%, ce n’est pas rien non plus. Et puis il y a des situations où j’accompagne des collègues qui se sentent peu entendus ou maltraités par l’ORH, et ça ce sont des situations qui sont nettement plus nombreuses: rien que sur les deux dernières années, il y en a eu une vingtaine. Cela fait déjà 10% de collègues qui sont en difficulté.
Alors est-ce qu’on profite d’une situation trop facile? Je ne crois pas! Mais l’Eglise n'est pas une entreprise comme une autre. Elle est porteuse d’un message. Et ce message c’est d’abord la réconciliation, c’est aussi l’interpellation sur le sens de la vie, sur les valeurs, sur la manière dont on fait les choses, sur une certaine éthique.
Et nous sommes témoins de Jésus-Christ. Et si l’on suit son exemple, on constate qu’il était particulièrement dérangeant pour la société civile et pour les autorités religieuses de son époque. Si, dans notre Eglise, on n’a pas les capacités de gérer nos différentes personnalités, c’est qu’il y a un problème. Parce que je crois que «je ne suis pas s’accord avec toi, mais je reste en relation», fait vraiment partie du message du Christ.