Les juifs de couleur expriment leur malaise au sein de leur communauté
S’ils expriment un fort sentiment d’appartenance à l’égard de l’establishment juif blanc, 80% des juifs américains disent avoir souffert de discrimination ou de racisme dans leurs milieux. C’est ce que révèle une étude inédite, qui avait pour but de mettre en avant la diversité raciale des Juifs américains – un groupe longtemps considéré comme majoritairement blanc – et de donner la parole aux expériences des Juifs d'autres races.
Réalisée par seize chercheurs, principalement de l’université de Stanford, l’enquête pointe la frustration de ces pratiquants, à devoir sans cesse devoir défendre et expliquer leur judaïté et la douleur d'être confrontés au racisme dans des contextes juifs. Ainsi, une grande partie des participants de l’étude relatent avoir été confondus à plusieurs reprises, lors d’événements au sein de la communauté, avec des agents de sécurité, la nounou ou être identifiés comme le partenaire ou l’invité non juif d’une personne juive blanche. 74% d’entre eux disent se sentir obligés d’expliquer leur identité, et 66% rapportent qu’on leur a posé des questions sur leur race ou leurs origines ethniques qui les ont mis mal à l'aise.
L'étude est née d'un précédent rapport démographique, entrepris par la Jews of Color Initiative. Celui-ci révélait l’augmentation de la proportion de personnes de couleur au sein du judaïsme américain, ces derniers représentant désormais entre 12% et 15% de la population juive américaine. Un pourcentage surestimé selon certaines instituions juives qui ont critiqué le rapport, mais qui a été corroboré par une étude du Pew Research en 2020, attestant que parmi les juifs âgés de 18 à 29 ans, 15% s'identifient comme hispaniques, noirs, asiatiques, multiraciaux ou d'une autre race ou ethnie, contre seulement 3% parmi les juifs âgés de 65 ans et plus.
Cette nouvelle étude visait à donner une voix à ces Juifs de couleur et à documenter leurs expériences. La présence de racisme dans les institutions communautaires juives est l'une des principales conclusions du rapport. Deux tiers des répondants (65%) ont déclaré que les dirigeants juifs américains s'attaquaient «mal» (41%) ou «très mal» (24%) au racisme dans les milieux juifs américains.
«Nous pensons souvent que nous avons moins de travail à faire que nous n'en avons réellement», formule Ginna Green, membre du conseil d'administration de l'initiative «Jews of Color» et consultante stratégique pour des organisations à but non lucratif œuvrant pour la justice sociale. «Ce rapport nous donne une feuille de route pour en savoir plus sur qui nous sommes et sur ce qui compte pour nous tous.»
Le rapport recommande aux institutions juives de s'efforcer d'atteindre une plus grande équité raciale dans l'embauche et le recrutement, un processus que de nombreux groupes religieux ont déjà entamé. Il recommande également d'encourager les conversations sur la justice raciale guidées par les expériences et les besoins des Juifs de couleur.
Aucune question n'a probablement été aussi controversée que l'opinion des juifs de couleur quant à Israël. De nombreux juifs de couleur ont exprimé leur solidarité avec les Palestiniens vivant en Israël ou dans les territoires occupés. Cependant, tous ont déclaré qu'ils ne se sentaient pas à l'aise pour partager ces points de vue dans des milieux juifs majoritairement blancs parce que les autres pourraient les percevoir comme n'étant pas de «bons juifs» ou pas «assez juifs».
«Ce rapport apporte un correctif précieux et indispensable», estime Marc Dollinger, professeur d'histoire à l'université d'État de San Francisco. «Une grande partie de notre compréhension de la vie juive américaine est centrée sur les Juifs blancs et l'expérience juive blanche. Or, lorsque les juifs de couleur sont ceux qui choisissent les questions, y répondent et les publient, on assiste à un recadrage de notre compréhension de l'expérience juive américaine historique.»