Manifestation des peuples indigènes brésiliens lourdement réprimée
Depuis le 8 juin, plus de 850 manifestants venus de tout le Brésil et issus de 45 peuples différents, ont défilé à Brasilia pour protester contre les menaces à l’encontre de leurs droits constitutionnels que couve un nouveau projet de loi. Cette mobilisation s’est tenue alors que les peuples indigènes brésiliens connaissent une détérioration générale de leurs conditions de vie, entre épidémies, faim et invasion violente de leurs territoires. Mais même leur droit de manifester n'a pas été respecté.
Nommée «Soulèvement pour la Terre», la manifestation a été organisée par des associations autochtones et est soutenue par des organisations non gouvernementales et des groupes chrétiens, tels que le Conseil missionnaire indigéniste de l'Église catholique (CIMI) et le Conseil de mission parmi les peuples indigènes (Comin) de l'Église luthérienne.
Les militants du CIMI et du Comin ont depuis longtemps mis en garde contre les dangers que représente le projet de loi 490, qui sera analysé prochainement. Ce texte a l’intention de promouvoir une série de changements dans la législation autochtone actuelle, rendant plus difficile la démarcation des terres et ouvrant des territoires protégés à des entreprises notamment minières et agro-industrielles.
Le 22 juin, les indigènes manifestaient pacifiquement contre le projet lorsqu'ils ont été violemment réprimés par la police. Plus d’une dizaine de manifestants, dont des femmes, des personnes âgées et des enfants, ont été blessés. Trois policiers ont reçu des flèches et ont eu des blessures mineures. Le projet de loi a été approuvé par la Commission de Constitution et Justice de la Chambre des députés le lendemain et va maintenant être mis aux voix.
Hasard du calendrier, toujours en juin, la Cour suprême brésilienne devrait se pencher sur un conflit impliquant un territoire indigène de l'État de Santa Catarina (sud du pays), dont les effets auront des répercussions générales sur tous les autres conflits juridiques de même nature.
Ces sujets arrivent précisément sur la table, à une époque on l’on observe une grande avidité pour les terres indigènes de la part de différents secteurs économiques, notamment miniers, forestier et agricoles, et de multiples discours contre leurs droits, rappelle le pasteur luthérien Sandro Luckmann, coordinateur du Comin.
«Les droits autochtones garantis par la Constitution de 1988 ne se sont même pas encore concrétisés, et ces secteurs sociaux veulent déjà les supprimer», s’insurge-t-il. «L'intérêt principal, évidemment, c'est la terre.» Dès la campagne de 2018, le président Jair Bolsonaro affirmait que les Indiens du Brésil avaient déjà trop de territoires et que, sous son gouvernement, ils n’obtiendraient pas un centimètre carré de terre de plus.
À la Fondation nationale de l’Indien (Funai), l'agence gouvernementale responsable des peuples indigènes, la nomination de directeurs politiquement alignés sur Bolsonaro a provoqué des changements drastiques. «Désormais des ruralistes et des religieux se retrouvent dans cette agence, deux secteurs qui soutiennent le gouvernement actuel et estiment que les peuples autochtones doivent être évangélisés et occidentalisés», soutient Sandro Luckmann.
Le CIMI rend compte depuis des mois des difficultés croissantes auxquelles sont confrontés les peuples autochtones du Brésil, encore aggravées par la pandémie de Covid-19. Soumis à l’interdiction de quitter leurs villages pour vendre de l'artisanat ou travailler, de nombreux indigènes ont souffert de la faim. Les services de santé historiquement déficients offerts par l'État n'ont pas pu répondre à leurs besoins, et le nouveau coronavirus s'ajoute aux épidémies de paludisme et de diarrhée dans différentes régions, affectant principalement les enfants et les personnes âgées.
Pour ne rien arranger, le nombre d'invasions de territoires indigènes a largement augmenté, en particulier en Amazonie, entraînant souvent des violences et des meurtres. «Depuis le 10 mai, le peuple Yanomami est attaqué par des mineurs illégaux dans la région de Palimiú. Les hommes passent en bateau et tirent», explique le missionnaire laïc Luis Ventura, du CIMI. «La semaine dernière, de nouvelles attaques ont eu lieu. L'atmosphère est à la tension et à la terreur.»
Le nombre de mineurs envahissant le territoire yanomami atteint 20’000 personnes, alors que seuls 27’000 Indiens sont comptabilisés dans la région. «Le président Bolsonaro a continuellement exprimé son soutien aux mineurs, indiquant clairement que, s'il le pouvait, il régulariserait leur activité», avance encore Luis Ventura.
Selon une commission d'enquête du Congrès, l'action néfaste de ces mineurs comprenait également, dans différents territoires indigènes, l'achat de vaccins contre le Covid-19 destinés aux Indiens en échange de pépites d'or.
«On fait face à une multitude d'agressions: la violence des mineurs, les pesticides utilisés par l'agrobusiness qui contaminent les rivières qui atteignent les villages, la pauvreté et le prosélytisme religieux», résume le pasteur baptiste Josias Vieira do Nascimento Jr., un écologiste qui fait partie du mouvement Nós na Criação (Nous dans la création) et travaille sur les questions environnementales et les peuples autochtones.
Ce spécialiste souligne que plusieurs pasteurs évangéliques apportent un soutien idéologique et politique à toutes ces agressions. «La diabolisation de leur culture et l'invasion de leurs terres pour en faire des chrétiens ne peuvent pas être considérées comme faisant partie du projet du Christ», dénonce-t-il.
Le mouvement de Josias Vieira do Nascimento rassemble des membres de 12 tribus ethniques indigènes de tout le pays, des personnes qui ne se sentent pas représentées par ces évangéliques hégémoniques au Brésil. En plus de son caractère religieux, ce groupe s’est mobilisé pour aider les villages en difficulté, collecter et distribuer de la nourriture et lutter pour que le vaccin contre le Covid-19 soit accessible à tout le monde.
La théologienne presbytérienne Priscilla dos Reis Ribeiro fait également partie de cette initiative, en plus d'être coordinatrice dans l'État de Rio de Janeiro des «Évangéliques pour l'État de droit», un groupement qui s'oppose à la montée de l'extrême-droite et de l'autoritarisme au Brésil. Elle explique que dans les villes, où vivent près de la moitié des peuples indigènes brésiliens, leur situation est également très mauvaise. «Il y a d’énormes préjugés à l’endroit des peuples autochtones en milieu urbain. En général, ils vivent dans des favelas, n'ont pas de travail et ne peuvent pas obtenir d'aide gouvernementale. Avec la pandémie, tout s’est encore aggravé», témoigne-t-elle.
Priscilla dos Reis Ribeiro pense que le nombre de chrétiens libéraux au Brésil a augmenté. Le moment est venu, selon elle, de les articuler et de donner de la visibilité à leur travail. «Les églises ont de l'espace pour que nous fassions des jardins urbains avec les peuples autochtones, par exemple. Nous devons mener des actions en fonction de leurs besoins. Il faut vraiment les écouter, être à leurs côtés sans exercer de pressions.»