Le droit au divorce, un combat israélien
Depuis trente ans, Sarah ne compte plus les tentatives de conciliation, les suppliques, les démarches, les espoirs déçus, les heures à attendre, en vain. La vie de cette Israélienne est suspendue à un document que son mari lui refuse: l’acte de divorce, guett en hébreu. «Je me bats depuis des années pour ma liberté. Mais mon ex considère que je lui appartiens», déplore cette mère de quatre enfants aujourd’hui adultes, qui vit à Jérusalem.
Le judaïsme traditionnel ne donne pas tort à l’époux de Sarah. En hébreu, baal signifie à la fois «mari» et «propriétaire». Seul lui peut décider de la fin des noces. La halakha, la loi juive, interdit à la femme de se remarier sans cette autorisation et considère les enfants qu’elle pourrait avoir ultérieurement comme des mamzer, des bâtards. Un statut qui les empêchera plus tard de se marier dans une communauté juive traditionnelle. La situation est tout autre si c’est la femme qui refuse le guett. Le judaïsme ayant autorisé la polygamie pendant des centaines d’années, les enfants issus du nouveau mariage du mari ne seront eux pas marqués de cette infamie.
En Israël, ces lois ont un impact dévastateur sur la vie de milliers de femmes. «La remise du guett donne l’occasion à un mari juif israélien sur cinq d’exercer des pressions plus ou moins fortes et durables sur sa femme», estime Nava, directrice de plaidoyer pour l’association Mavoi Satum qui soutient les victimes. «Le guett n’est rien d’autre qu’une forme de violence domestique, une arme de rêve dans les mains des maris abuseurs. Dieu n’a pas créé le mariage pour qu’il se transforme en outil d’oppression!» fustige-t-elle.
Le problème des femmes agounot, enchaînées par leurs maris, est aussi ancien que le judaïsme lui-même. Depuis le XIXe siècle, il ne concerne plus les courants juifs réformé ou conservateur, majoritaires en dehors d’Israël, puisqu’ils ont entièrement révisé les lois juives qui pourraient s’avérer discriminatoires. S’il perdure en 2021 dans un État d’Israël fier d’être démocratique, c’est parce que deux types de juridiction y coexistent: civile et religieuse. « Depuis 1953, tout ce qui relève du statut personnel – naissances, mariages, conversions, funérailles - est réglé par la communauté à laquelle appartient un individu: la sharia pour les musulmans, les lois cléricales pour les chrétiens et la halakha pour les juifs», explique Shuki Friedman, directeur du centre Religion, Nation et État à l’Institut d’Israël pour la démocratie.
Or les tribunaux rabbiniques sont tenus par les ultra-orthodoxes, et si la Cour suprême israélienne a contribué à la modernisation de leur interprétation de la loi, le divorce reste un sujet à part. «La Cour intervient sur les problèmes découlant de la séparation tels que le soin aux enfants ou le partage des biens, jamais sur le divorce lui-même», précise Shuki Friedman.
De nombreux outils ont été élaborés pour faire pression sur les maris récalcitrants. «Aujourd’hui en Israël, les hommes concernés peuvent être amendés, emprisonnés, leurs droits niés… D’une certaine façon, la situation des épouses est meilleure qu’à l’étranger où il n’existe aucun cadre légal pour les aider, à part au Canada et dans l’État de New York», relève Shuki Friedman. Depuis peu, la loi israélienne autorise d’ailleurs l’État hébreu à prendre des mesures sur son territoire contre les hommes concernés, même s’ils ne sont pas citoyens israéliens. L’an dernier, un Américain qui voulait enterrer sa mère à Jérusalem a ainsi été forcé à donner l’acte de divorce à sa femme pour pouvoir procéder aux funérailles.
Mais la vraie solution, pour les militantes, c’est l’accord prénuptial. «Dans les communautés modernes orthodoxes américaines, il est obligatoire. Si les femmes refusaient de se marier sans un tel document, le problème n’existerait pas», affirme Nava de l’association Mavoi Satum. Difficile cependant de se projeter au jour de ses noces dans un scénario où les épousailles se transforment en prison. Quant au mariage hors de ce système, il ne résout rien. «En Israël, peu importe la façon dont on s’est marié: il n’y a qu’une façon de divorcer», déplore la militante.
Pour faire évoluer les choses, les associations concernées ont créé cette année le premier lobby officiel au Parlement israélien. Et essaient d’intégrer des femmes dans les tribunaux rabbiniques qui n’en comptent aucune. «Changer la dynamique du mariage en Israël requiert un engagement délicat. Il faut à la fois faire évoluer le système de l’intérieur et lui trouver des alternatives à l’extérieur», relève Nava. Religieuse pratiquante, elle regrette «l’absence de séparation entre État et religion en Israël. Non seulement c’est antidémocratique, mais cela fait de la religion un outil de pouvoir». Un système dont les femmes sont les premières victimes.