Kamala Harris traitée de Jézabel, symbole du mal absolu selon la Bible
Après sa nomination en tant que vice-présidente, les pasteurs de la Convention baptiste du Sud n’ont pas beaucoup attendu pour s’en prendre à Kamala Harris. Et la comparer à la femme la plus infâme de la Bible... À vrai dire, ils n’auront attendu que deux jours.
Le 22 janvier, Tom Buck, pasteur de la First Baptist Church de Lindale, au Texas, a assimilé la vice-présidente de Joe Biden à la Jézabel biblique. «Je ne peux pas imaginer qu’un juif vraiment croyant veuille que ses filles s’identifient à Jézabel simplement parce qu’elle était une femme au pouvoir», a tweeté le ministre. Il a depuis enfoncé le clou face au flot de critiques, toujours sur Twitter: «Je m’y tiens à 100%. Jézabel, qui gouvernait comme une impie, devrait-elle être un modèle simplement parce qu’elle était au pouvoir? C’est pareil pour cette Kamala Harris, cette blasphématrice qui gouverne et qu’on ne doit pas admirer parce qu’elle a le poste qu’elle a.»
Jeudi, le pasteur Steve Swofford, de la First Baptist Church de Rockwall au Texas, a prêché au sujet du président Biden, évoquant à son sujet un «dysfonctionnement cognitif». Il a ajouté que s’il arrivait quelque chose au 46e président des États-Unis, «Jézabel devra prendre la relève. Jézabel Harris, ce n’est pas son nom?» Steve Swofford est membre du comité exécutif de la Convention baptiste du Sud, recensant plus de 14 millions de membres aux États-Unis.
De fait, de nombreux baptistes du Sud, comme la majorité des évangéliques, sont des républicains qui ont professé un soutien indéfectible à l'ancien président Donald Trump. Mais aujourd'hui, certains de ses dirigeants semblent imiter le penchant de ce dernier pour la rhétorique incendiaire. Mais ceci avec une touche biblique, en plus.
Pour les non-initiés, voici ce qu’est «une Jézabel». Jézabel apparaît dans l’Ancien Testament comme le mal incarné, une non-croyante dont le nom est devenu synonyme de ruse féminine. Elle apparaît pour la première fois dans le Livre des Rois comme une épouse du roi Achab, septième roi d'Israël. Elle est principalement connue comme mécène et dévote de Baal, le dieu cananéen. Même son nom, Jézabel, peut être lié à «Belzabel», un autre nom pour Baal. Il peut également être lié au mot hébreu zevel, le fumier.
Son principal ennemi biblique est Élie, le prophète de Dieu. Sa mort, sur ordre du roi Jéhu, est particulièrement horrible. Elle est jetée par une fenêtre, mais au moment où des soldats souhaitent l’enterrer, ceux-ci se rendent compte que sa dépouille a déjà été mangée par des chiens.
Jézabel apparaît également dans le livre de l'Apocalypse du Nouveau Testament, où elle est associée à l’ambiguïté sexuelle et à la prostitution. «Mais ce que j'ai contre toi, c'est que tu laisses la femme Jézabel, qui se dit prophétesse, enseigner et séduire mes serviteurs, pour qu'ils se livrent à l'impudicité et qu'ils mangent des viandes sacrifiées aux idoles», lit-on dans Apocalypse 2:20, bien qu’il ne soit pas certain qu’il s’agisse également de la Jézabel de la Bible hébraïque.
Aux États-Unis, Jézabel est devenue une insulte raciste contre les femmes noires sexuellement libérées ou libertines. Une injuree né pendant l’esclavage, qui a été ensuite prolongée avec les lois Jim Crow (lois mises en place dans certains États du Sud entre 1877 et 1964 pour entraver l'effectivité des droits constitutionnels des Afro-Américains, acquis au lendemain de la guerre de Sécession, ndlr.), et qui continue d’être utilisé aujourd’hui.
David Pilgrim, professeur de sociologie à la Ferris State University du Michigan, observe qu'il est de plus en plus facile de trouver des références à ces femmes noires, en particulier des jeunes, représentées comme des Jézabel, et dont «la seule valeur est d’être une marchandise sexuelle».
L’évangéliste et activiste Lisa Sharon Harper a d’ailleurs critiqué l'utilisation du nom Jézabel comme étant un héritage des croyances des hommes blancs du Sud des États-Unis. «Ils légitiment leur propre vision du monde raciste et suprémaciste en utilisant une référence biblique», dénonce-t-elle. «C’est une façon de remettre les femmes noires à leur place, c’est-à-dire en dessous d’eux.»
Les chrétiens charismatiques parlent souvent d'un «esprit de Jézabel» qu’ils pensent être le restant de l’influence néfaste de la reine biblique dans notre monde. Les gros titres du magazine Charisma désignent d’ailleurs Jézabel comme étant la source de la popularité de Harry Potter. De la comédienne juive Sarah Silverman à Hillary Clinton, plusieurs personnalités sont ainsi été traitées de Jézabel, «sorcière» ou «fausse prophétesse juive».
Dans son livre de 2019 intitulé «La guerre de Jézabel avec l'Amérique: le complot pour détruire notre pays et ce que nous pouvons faire pour renverser la vapeur», l'animateur radio et chroniqueur évangélique Michael Brown écrit que Jézabel est «revenue d'entre les morts. Ou peut-être que son esprit n'a jamais disparu».
L’utilisation abusive de ce nom, censé salir les femmes est d’ailleurs soulevé dans le livre «Jésus féministe», publié en 2013 par l’auteure chrétienne Sarah Bessey. Dans cette invitation à revisiter la Bible selon la vision de ses personnages féminins, elle regrette notamment que «lorsqu’une femme fait preuve de leadership, elle est accusée d’avoir cet esprit de Jézabel». Et d’ajouter: «J’attends impatiemment le jour où les femmes qui ont des qualités de meneuse d’équipes et de la perspicacité, du talent, des appels et des penchants prophétiques seront appelées et célébrées comme une Déborah, la juge biblique, plutôt que d’être réduites au silence comme des Jézabel.»