Joe Biden, une éclaircie américaine pour les Palestiniens
«Peu importe qui remplace Donald Trump. L’essentiel, c’est qu’il soit parti.» À Bethléem, Khaled a résumé le soulagement des Palestiniens: le 4 novembre, quatre ans de cauchemar ont pris fin. En leur imposant un plan de paix qui niait leurs droits, en reconnaissant la souveraineté israélienne sur Jérusalem et le Golan et en leur coupant de nombreux financements, «Donald Trump avait rompu avec le rôle d’intermédiaire joué traditionnellement par les Américains dans le conflit, qui avait notamment permis la conclusion des Accords d’Oslo», souligne le professeur de science politique à Jérusalem Munther Dajani Daoudi.
L’élection du démocrate Joe Biden ouvre un nouveau chapitre dans les relations américano-palestiniennes. Deuxième président catholique de l’histoire des États-Unis, il est moins proche des évangéliques que Donald Trump, qui avait développé à leur contact une vision religieuse d’Israël évacuant les Palestiniens de l’équation du conflit. Au nom de sa foi catholique, Joe Biden fait au contraire du dialogue un pilier de sa politique. L’approche du futur président sera donc bien différente de celle de Donald Trump. «Joe Biden ne se lancera probablement pas dans des dossiers polémiques tout de suite car sa priorité sera de calmer la situation interne aux États-Unis. Et puis, quand on a quarante ans d’expérience en politique comme lui, on est réaliste. Je le vois mal fanfaronner comme Barack Obama ou Donald Trump, qui ont prétendu tous les deux qu’ils allaient résoudre le conflit israélo-palestinien», estime un expert suisse qui préfère rester anonyme.
Mais pour les Palestiniens, le changement sera visible rapidement. «La priorité de Joe Biden sera de réparer la relation avec Ramallah, très abîmée par son prédécesseur. Ces quatre dernières années ont été si tendues que la signature d’un accord de paix ces prochains mois est impensable. Il faut d’abord réduire l’intensité du conflit», affirme Ofer Zalzberg, directeur du programme Proche-Orient à l’Institut Kelman pour la transformation de conflit.
Cela passe par des gestes d’apaisement tels que la restauration des programmes d’assistance, de coopération sécuritaire et de développement économique en faveur des Palestiniens. Déjà annoncés par Joe Biden et sa colistière Kamala Harris pendant la campagne, ils seront accompagnés de la réouverture du consulat américain à Jérusalem-Est et de la mission de l’Organisation de libération de la Palestine à Washington. C’est du moins ce qui figure dans le programme 2020 du parti démocrate, qui soutient également la création d’un État palestinien «viable» dans lequel les Palestiniens «devraient être libres de se gouverner».
Défenseur farouche de la solution à deux États, Joe Biden «va restaurer l’approche multilatérale de la politique étrangère américaine qui prévalait jusqu’à Donald Trump en menant des actions plus nuancées au Proche-Orient», affirme une source diplomatique sur place. Le futur président américain a par exemple fait part de son intention d’entrer à nouveau en discussion avec les Iraniens au sujet de leur programme controversé d’enrichissement d’uranium, ce qui fait s’étrangler Benjamin Netanyahou.
Un Premier ministre israélien qui voit avec un certain déplaisir l’arrivée au pouvoir de Joe Biden. Non seulement parce qu’il perd son complice Donald Trump dont le soutien inconditionnel contribuait à son aura en Israël, mais aussi parce que la relation avec le démocrate n’a pas toujours été au beau fixe. «Il lui a fait avaler des couleuvres quand il était le vice-président de Barack Obama. Je vois mal comment il pourrait oublier la gifle que Netanyahou lui a infligée en dénonçant l’accord sur le nucléaire iranien devant le Congrès américain. Ou en approuvant la construction de centaines de logements en Cisjordanie à la descente d’avion de Joe Biden, qui s’oppose à la colonisation israélienne», se souvient un diplomate.
Les espoirs des Palestiniens à l’égard du futur occupant du Bureau ovale doivent cependant rester modestes. D’abord, parce que le soutien à Israël est un axiome de base de la politique américaine. Aucun candidat à la présidence ne saurait être élu s’il ne s’engage pas pour l’État hébreu, et Joe Biden et sa colistière Kamala Harris, connus pour leur lobbyisme prosioniste au Congrès, ne font pas exception. Ainsi, le démocrate refuse de conditionner l’aide américaine à Israël au respect du droit international. «L’idée que nous couperions l’aide militaire à un allié, notre seul vrai partenaire dans la région, est complètement absurde», affirmait-il dans une interview fin 2019.
Ensuite, parce que Joe Biden «devra probablement composer avec un Sénat à majorité républicaine. Il ne pourra donc pas faire table rase de l’héritage politique de Donald Trump dans la région», souligne l’analyste Ofer Zalzberg. Concrètement, son plan de paix, le «deal du siècle», ne disparaîtra pas. «Biden influencera certaines parties de cet accord mais devra en maintenir d’autres.» Par ailleurs, l’ambassade américaine restera à Jérusalem, même si le démocrate s’était ouvertement opposé à son transfert. Enfin, s’il est prêt à entrer en discussion sur le financement de l’Autorité palestinienne, c’est à une condition: que Ramallah renonce à verser de l’argent aux familles des prisonniers palestiniens et à celles des Palestiniens tués en attaquant des Israéliens.
L’accession de Joe Biden à la présidence des États-Unis permet aux Palestiniens de se faire entendre à nouveau. Elle ne garantit pas qu’ils seront écoutés. Une frustration que le négociateur en chef de l’Autorité palestinienne Saeb Erekat aura éprouvée toute sa vie. Décédé début novembre du coronavirus dans un hôpital israélien, le sexagénaire l’avait résumé en une phrase lapidaire: «Je n’ai pas fini ce pour quoi j’étais né.»