Dieu est-il dans la PMA?
«Il ne peut y avoir de droit à l’enfant, car un enfant est toujours un cadeau», déclare Sabine Scheuter, pasteure et présidente de la Conférence Femmes, dont le nouveau rassemblement public aura lieu le 26 octobre. Intitulé «Le droit à l’enfant ? Perspectives réformées sur l’autonomie reproductive», ce congrès d’un jour est destiné à la formation continue des membres de l’Église évangélique réformée de Suisse (EERS) et d’associations ou organisations traitant de questions féministes. Il est aussi l’occasion d’avancer intellectuellement sur un thème d’actualité sociale et de «contribuer à la formation d’une opinion».
«Plus difficiles que la question du mariage pour tous au civil», sur laquelle l’EERS s’est prononcée favorablement en novembre 2019, les questions de PMA et de GPA sont, selon Sabine Scheuter, «trop complexes pour ne générer que des oui ou des non». La présidente, en regard des nombreuses possibilités qu’offre aujourd’hui la médecine reproductive, comprend «que de nombreuses personnes souhaitent recourir à ces techniques pour accéder enfin à leur désir d’enfant».
Pas de droit à l’enfant, donc. Mais l’envie d’examiner tous les désirs de ceux pour qui maternité et paternité ne vont pas de soi biologiquement, à l’heure où seuls les couples mariés, en Suisse, peuvent recourir à un don de sperme ou d’ovules.
«Le désir d’enfant ou plutôt le désir d’enfant insatisfait est un sujet très important dans la Bible: Sarah, Rebecca, Rachel, Hannah ou Élisabeth, mais aussi Abraham, Isaac ou Zacharie, doivent attendre très longtemps jusqu’à ce qu’elles ou ils reçoivent des enfants», expose Melanie Werren, post-doctorante en théologie à l’Université de Berne, invitée de la conférence.
Or aujourd’hui, «la médecine reproductive met les Églises au défi d’examiner de manière critique leurs images traditionnelles de l’être humain», exprime le théologien et éthicien de l’EERS Frank Mathwig, le second intervenant de la journée. «La tâche, actuellement, face à l’augmentation des possibilités, consiste donc à trouver un équilibre entre activisme et passivité», formule la théologienne.
Pour Frank Mathwig, la principale inquiétude réside alors dans le fait de voir la discussion se détourner de l’intérêt de l’enfant. «Les débats bioéthiques sont aujourd’hui menés de manière très formelle, juridique et technique, notamment sur le problème de la discrimination. Il y a un manque de voix pour argumenter de manière plus profonde.» Même son de cloches chez Denis Müller, Professeur honoraire d’éthique au sein de la Faculté de théologie de Genève: «La démarche encourt le risque d’ériger la logique juridique en argumentation éthique.»
Le protestantisme pourrait-il dès lors faire office de grille de lecture qui humaniserait le débat? Oui, pour Frank Mathwig: «Comme le montre la Réforme, les églises peuvent être initiatrices et forces motrices de nouveaux départ et de nouveaux développements.» Une vision que partage également Melanie Werren: «Dans la tradition réformée, on part du principe que le texte biblique peut être réinterprété à l’aune de l’actualité et des nouveaux enjeux qui en découlent».
Dès lors, dans quels cas «le désir d’enfant peut-il s’opposer au bien de l’enfant», tel que formulé dans le communiqué de la conférence? La question de la PMA pour les couples homosexuels, selon l’éthicien Frank Mathwig, semble ne pas poser problème. «Si l’on veut mettre les couples homosexuels sur un pied d’égalité avec les couples hétérosexuels, il faut donc leur donner à tous deux un accès égal à la médecine reproductive.»
La GPA, en revanche, soulève encore et toujours un cas de conscience éthique qu’il semble parfois difficile à résoudre. «Ce mode d’autonomie reproductive ne saurait être défendu d’un point de vue éthique, en tant qu’il lèse manifestement les droits de la femme et les droits de l’enfant», avance Denis Müller. «Un problème majeur est l'instrumentalisation de la femme "loueuse d'utérus"», souligne à son tour Jean Martin, ancien médecin cantonal membre de la Commission nationale d’éthique. «Il est certain qu'il y a exploitation de ces femmes dans beaucoup de contextes.» D’où la nécessité selon lui d’établir des «garde-fous précis».
Proposer une éthique de la GPA, c’est un défi auquel croit précisément Nadja Eggert, directrice du Centre interdisciplinaire de recherche en éthique de l’Université de Lausanne. «La débat de société devrait être ouvert afin de réfléchir si dans certains cas, la GPA ne devrait être autorisée à condition qu’il n’y ait pas d’abus, ou d’inégalité de pouvoir et que les femmes concernées s’engagent volontairement dans un tel processus », estime-t-elle.
«Ces mécanismes de pouvoir sont d’ailleurs à l’œuvre, dans la Bible même», rappelle Melanie Werren, citant le cas d’Agar, la servante d’Abraham, qui lui donne un fils sur ordre de sa femme Sarah, stérile. Alors qu’Agar est ensuite chassée dans le désert avec l’enfant, Dieu intervient dans sa détresse, appuie Melanie Werren. Un sauvetage qui n’est pas sans rappeler que, quand bien même la «fabrication des enfants» peut faire débat selon ses formes, tout enfant créé est l’enfant de Dieu: «Car il existe déjà une relation entre Dieu et l’être vivant dans l’utérus», selon Melanie Werren. «Ce n’est pas le mode de disposition technologique de la naissance qui fait l’enfant. Tous les enfants, comme créatures, sont des dons de la vie et donc de Dieu», insiste également Denis Müller.
Les «perspectives réformées» sur la question semblent donc plus que jamais prêtes à bouger. «Il est normal que l’Église prenne part à ces débats de société», relève Frank Mathwig. «Car dans une perspective réformée, la communauté chrétienne et la société civile sont indissociables.» Pour autant, admet Melanie Werren, si «les réformés de Suisse doivent se laisser toucher et transformer par les challenges sociaux actuels, cela ne veut pas dire qu’il faut tout accepter et suivre aveuglément les opinions majoritaires». Affaire à suivre, donc.