Avoir 20 ans et choisir théologie
Ils s’appellent Charlotte, Édouard, Alex et Jessie. Ils ont la vingtaine et viennent de commencer des études en théologie, à l’Université de Genève, de Fribourg ou encore de Lausanne. En 2020, leur choix peut surprendre, tant la théologie semble appartenir à une autre époque, celle où toute la société se retrouvait le dimanche matin à l’église pour assister à l’office religieux, le culte ou la messe, selon sa confession. Mais qu’est-ce qui pousse encore, à l’heure de la sécularisation, des jeunes gens et jeunes filles à s’engager dans pareil cursus?
«Je rêve de devenir pasteure», nous confie Jessie, 19 ans. Née dans une famille protestante, la jeune Vaudoise aime à se projeter dans le rôle de «guide spirituel», «pour aider les autres, leur apporter du soutien», exprime-t-elle. Les questions d’ordre moral et éthique l’interpellent également fortement. «J’ai l’impression que beaucoup de gens sont perdus face à ces questions. Or, je suis convaincue que tout le monde a besoin de repères.» Elle en veut pour preuve le fait que «les gens ont aujourd’hui tendance à rechercher des réponses dans la pop culture, comme par exemple dans Star Wars avec le personnage de Yoda» – la religion lui semblant «taboue» pour ses contemporains.
De son côté, Alex, inscrit en théologie à l’Université de Fribourg, préfère ne pas dresser de plan sur la comète. À 23 ans, ce Tessinois d’origine a déjà un métier, celui de dessinateur en génie civil. Ce qu’il fera à la fin de ce nouveau cursus? Il l’ignore. «Je n’ai pas d’objectif clair», avoue-t-il. «Je me suis engagé dans ces études par simple curiosité», ose-t-il affirmer non sans enthousiasme. Élevé dans une famille ouvertement athée, il découvre la foi catholique à l’adolescence, de manière totalement autonome. Poussé par sa soif de connaissance, il se décide alors à franchir le pas: «Beaucoup de gens ne savent pas exactement qui est Dieu ni quel est le fond de la théologie chrétienne. Alors je me suis dit: il faut le découvrir!»
Charlotte se destinait quant à elle à une carrière de sage-femme. Née dans une famille catholique très croyante, cette jeune Valaisanne de 20 ans n’avait jamais songé à entamer de pareilles études. Tout change cependant pendant l’année sabbatique qu’elle prend, après l’obtention de sa maturité. «Jusque-là, ma foi consistait à croire simplement ce que l’on me disait sans me poser de questions», explique-t-elle. «Dans ma famille, il importait juste de croire en Dieu, mais il manquait cruellement d’intellectualisation de qui Il est et de finalement tout ce qui touche à l’Église.» Or durant cette période, elle profite du temps mis à sa disposition pour lire la Bible et s’intéresser de plus près au catéchisme. Et là, c’est la révélation: «J’ai tout redécouvert. Ce que j’avais entendu à la messe, tous les mots, toutes ces prières, c’est comme si je les comprenais enfin», commente-t-elle. «Pendant cette année, je suis passée d’une foi que je dirais enfantine, naïve, à une foi que j’ai assumée, que je me suis appropriée.»
De cette foi qui n’était «plus un simple sentiment, en marge» de sa vie, Charlotte a soudain eu envie «d’en faire quelque chose». Elle s’inscrit donc en théologie à l’Université de Fribourg pour l’approfondir et élargir ses connaissances, et parallèlement en littérature française en fac de Lettres: «pour avoir quand même une ouverture après dans l’enseignement, car je sais bien que les perspectives professionnelles ne sont pas nombreuses dans ce domaine»…
Édouard reste également assez ouvert quant à l’avenir. S’il s’est décidé à entamer à 24 ans des études de théologie après son diplôme d’une école de commerce, «c’est plus pour des raisons personnelles et ecclésiales que professionnelles», pose-t-il. «Il y a d’autres moyens de servir l’Église que d’être pasteur à plein temps», rappelle-t-il très justement.
S’il était premièrement motivé par sa foi personnelle, ce nouvel étudiant de la Faculté de théologie protestante de Genève pointe également son «goût pour l’étude des religions»: «Je trouve un intérêt dans toutes les matières enseignées dans ce cursus, des questions de traduction à l’histoire de la pensée et de l’Église», s’enthousiasme-t-il. «Je trouve vraiment génial de faire la critique de la science qu’on étudie, d’interroger son utilité et la manière dont elle a été construite.»
De son côté, Jessie regrette au contraire «qu’on n’ait dans les cours de théologie que le point de vue scientifique, et qu’il manque un peu le point de vue croyant sur la question». La Vaudoise aurait été en effet plus intéressée par «l’étude biblique que le fait d’étudier les textes bibliques de manière historico-critique». Pour elle, ce cursus constitue clairement le moyen d’atteindre son but – «servir Dieu en transmettant sa Parole» – et non un objectif en soi. À l’opposé de Charlotte, résignée à ne pouvoir peut-être jamais en faire profession. Qu’importe, là n’est peut-être pas le plus important à ses yeux. Lorsqu’elle lui a annoncé son choix, sa mère lui a rétorqué, réjouie: «Tu m’apprendras alors tout ce que je n’ai pas su vous enseigner…»
Un intérêt toujours plus tardif
Il est parfois de bon ton d’asséner que les Églises appartiennent au passé. Pour autant, les cours de théologie ne désemplissent pas. Bien au contraire. «Il n’y a jamais eu autant d’étudiants en théologie», affirme Ghislain Waterlot, doyen de la Faculté de théologie protestante à l’Université de Genève. «En vingt ans, les effectifs ont d’ailleurs doublé», précise-t-il encore.
Ces études connaissent cependant un phénomène qui leur est propre: «En majorité les gens se tournent vers la théologie dans un deuxième temps, ils renouent souvent avec un intérêt qu’ils avaient écarté premièrement pour faire des études plus utilitaires», observe Ghislain Waterlot. Comment le comprend-il? «La théologie est étroitement liée à la quête de sens et aux grandes questions que l’on n’appréhende pas forcément quand on est très jeunes et que l’on songe à son insertion sociale, mais vers lesquelles nous poussent les temps de crise.»