La déforestation de l'Amazonie profite de la pandémie
Alors que la pandémie de Covid-19 frappe sérieusement la région amazonienne et provoque l'effondrement des systèmes de santé locaux, une autre calamité se développe plus subtilement: la déforestation progressive de l’Amazonie.
Selon l'Institut national de recherche spatiale du Brésil, qui surveille l'Amazonie par satellite, la zone de forêt abattue pour le seul mois de mai correspondait à 829 km². Un chiffre équivalant à une accélération de 12% par rapport à celle enregistrée au même mois l'année précédente. Pour rappel, en 2019, année de forte augmentation du nombre d'incendies en Amazonie, le taux de déforestation avait augmenté de 85% par rapport à 2018.
«Depuis le début de la pandémie de Covid-19 en mars, le gouvernement brésilien a considérablement réduit les équipes d'inspection environnementale en Amazonie, entraînant un sentiment d'impunité parmi les mineurs et bûcherons illégaux ainsi que les agriculteurs qui souhaitent agrandir leurs terres», explique José Ionilton de Oliveira, évêque de Itacoatiara dans l’État de Amazonas et vice-président de la Commission pastorale de la terre (CPT). «Ce n'est pas un problème nouveau», précise-t-il. «La déforestation est le résultat du démantèlement des organes de contrôle. Ce gouvernement a un vrai projet pour faciliter l’occupation des terres protégées.»
Certains groupes chrétiens se sont joints aux mouvements environnementaux. Ensemble, ils dénoncent l’absence de surveillance gouvernementale et les intérêts des groupes économiques dans les ressources naturelles de la forêt. De leurs côtés, une partie importante des évangéliques ont fermé les yeux sur le problème, tandis que leurs dirigeants ont soutenu des politiques antiécologiques à Brasília.
Le bloc parlementaire évangélique a été de fait un allié solide du gouvernement du président Jair Bolsonaro, et sa présence massive au Congrès a contribué à l'approbation de mesures controversées liées à l'exploitation économique de l'Amazonie. «Le soi-disant bloc ruraliste, qui représente les intérêts de l’agrobusiness, reçoit traditionnellement le soutien du bloc évangélique au Congrès», indique le révérend Hugo Armando Sanchez, de l’Église anglicane à Cuiabá, dans l'État amazonien du Mato Grosso. Les deux blocs sont des piliers fondamentaux du bolsonarisme.
En décembre 2019, le président Bolsonaro avait établi un règlement provisoire qui a facilité la régularisation des terres fédérales illégalement occupées en Amazonie. La norme était en vigueur depuis six mois et aurait pu, en mai, devenir permanente. La Commission pastorale de la terre et de nombreuses organisations non gouvernementales ont fait campagne contre l'approbation de la mesure au Congrès et celle-ci a finalement été rejetée.
«À présent, il y a un projet de loi en cours d'analyse en urgence au Congrès, qui rétablit pratiquement le règlement provisoire de Bolsonaro. Nous essayons à nouveau de mobiliser la société contre son approbation», avertit José Ionilton de Oliveira. Mais la mobilisation de la société amazonienne pour la préservation de la forêt n'est pas une tâche facile. La région nord du Brésil, selon un sondage récent, compte 45% de catholiques et 46% d'évangéliques – et une bonne partie d'entre eux intègrent des dénominations d’Églises non concernées par la défense de l'environnement.
Selon le révérend Sanchez, le pouvoir économique et politique des évangéliques au Brésil rend toute tentative de dialogue avec les masses de fidèles de ces Église très difficile. «Les Églises traditionnelles n’ont pas de stations de radio et de télévision comme elle», pointe-t-il par exemple.
Dans les Églises protestantes également, de nombreux missionnaires font face à une résistance interne lorsqu'ils prêchent la préservation de la forêt, exprime à son tour le pasteur luthérien Teobaldo Witter.
«L’Église luthérienne a publié une série de documents pour défendre l'environnement au cours des dernières décennies. De nombreuses familles luthériennes de l’Amazonie ont travaillé avec l'agroécologie dans les années 1980 et 1990. Mais au cours des dernières décennies, une partie a cessé de s'inquiéter de la préservation», signale-t-il.
La missionnaire presbytérienne Socorro Chaves, professeure au Département des services sociaux à l'Université fédérale d'Amazonas, confirme que le travail social et environnemental génère souvent des commentaires désapprobateurs de la part des membres de son Église.
«La défense des peuples traditionnels et la lutte contre la déforestation ne semblent pas être un problème pour de nombreux chrétiens», affirme-t-elle. Les missionnaires préoccupés par les problèmes sociaux et écologiques ont souvent été traités de «communiste», une manière courante pour les partisans de Jair Bolsonaro d'essayer de discréditer ceux qui sont considérés comme leurs adversaires.
Spécialiste des problématiques amazoniennes ayant travaillé dans plus d'un millier de communautés traditionnelles de la région pendant trente ans, Socorro Chaves fait partie du mouvement chrétien mondial «Renouveler notre monde», qui sensibilise et rassemble les chrétiens dans la lutte contre le changement climatique et pour la préservation de l'environnement.
Il y a plus de 300 000 communautés en Amazonie, de petits groupes de peuples autochtones, pêcheurs, collecteurs de caoutchouc. «Ces peuples sont les grands gardiens de la forêt, c'est une résistance pacifique. Mais ils ont besoin d'un soutien plus systémique des Églises chrétiennes», analyse la presbytérienne.
Selon elle, il y a beaucoup d'œuvres chrétiennes en Amazonie, mais généralement avec des pratiques seulement compensatoires. «Il faut aider ces peuples à s'organiser comme citoyens et à exiger des politiques publiques, pour qu'ils ne soient pas manipulés par ceux qui veulent détruire la forêt», poursuit-elle. La manipulation des peuples traditionnels de la forêt pour qu'ils travaillent sur la déforestation implique généralement des pressions économiques. «Ce processus exacerbe également les risques de conflits violents et de victimisation des populations de la forêt», articule pour sa part l’évêque José Ionilton de Oliveira.
Des organes comme le CPT ont dénoncé la montée de la violence en milieu rural et en Amazonie sous le gouvernement Bolsonaro. Dans le même temps, les chrétiens engagés dans la lutte pour protéger les peuples amazoniens et préserver la forêt espèrent que les efforts de sensibilisation – et de conversion – des petits groupes et des individus peuvent transformer la réalité actuelle.
«Nous essayons de montrer que la nature fait partie de la Création et que nous en sommes responsables. La prise de conscience des nouvelles générations change progressivement la réalité de nombreuses Églises», affirme Socorro Chaves.