Le rastafarisme colonise la jeunesse africaine
Vêtu d'un turban rouge et d'une robe noire, Douglas Okello s'incline devant le portrait de l'ancien empereur éthiopien épinglé sur une paroi de sa cabane en terre, dans le bidonville de Kibera à Nairobi, capitale du Kenya. Le jeune homme de 28 ans se met à prier et s’allume un joint. «Je crois en Haïlé Sélassié I, l'empereur éthiopien qui nous livrera à la terre promise, lâche Douglas Okello. C'est un appel de Dieu et un vrai rastafari doit fumer de l'herbe pour purifier son âme.» Douglas Okello est adepte depuis cinq ans. Il a rejoint le mouvement rastafari après avoir développé un goût pour la musique reggae, issue de la culture rastafari des Antilles, tout en étudiant à l'Université de Nairobi. «Des musiciens de reggae qui chantent l'oppression des noirs, ça m’a parlé», explique-t-il.
De plus en plus populaire au Kenya, la foi rastafari a vu le jour sur l'île de la Jamaïque, dans les années 1930 après le couronnement de Haïlé Sélassié I en tant que roi d'Éthiopie. Les rastafaris considèrent Haïlé Sélassié I comme le Dieu de la race noire et croient qu'il renverra un jour tous les noirs vivant en soi-disant exil hors d'Afrique, à la suite de la migration et de la traite des esclaves, vers le continent. Les rastafaris ne se coupent pas les cheveux. Ils les font pousser, sans les peigner, en dreadlocks. Ils fument de la marijuana et rejettent les valeurs matérialistes en faveur d'une stricte unité avec la nature. Ils ont tendance à être végétariens et à ne manger que des aliments non transformés. «J'ai reçu un appel qui m'a conduit à me laisser pousser des dreadlocks et à apprendre à fumer de la marijuana, illustre Douglas Okello. Si vous êtes un vrai rastafari, tout change et vous commencez à comprendre la Bible. Aujourd’hui, je ne consomme plus d'animaux.»
Cette foi s'est tellement développée parmi les jeunes au Kenya, expliquent les dirigeants locaux du mouvement, qu'ils ont développé des plateformes, sur les réseaux sociaux, pour aborder les problèmes qui les touchent. L'an dernier, le groupe Rastafarian Family Elders estime que plus de 1000 personnes sont passées du christianisme au rastafarisme dans le seul bidonville de Kibera à Nairobi. Selon ce groupe, les jeunes du pays ont commencé à réaliser que la religion favorisait leurs intérêts. S’il n'existe à ce jour aucune statistique officielle, on estime à un million le nombre de fidèles rastafaris au Kenya.
Anthony Maiga, théologien et pasteur de l'Église méthodiste unie du Kenya à Nairobi, indique que les adeptes s’inscrivent dans la dynastie d’Haïlé Sélassié I, qui remonterait au roi Salomon et à la reine de Saba, dans la lignée du roi David et donc jusqu’à Jésus, comme décrit dans le Nouveau Testament. Selon le théologien, si cette foi a connu une croissance rapide, c’est parce que beaucoup de jeunes s’identifient au langage et aux comportements des rastafaris.
«Les jeunes apprécient ce qui ne les restreint pas, comme fumer et abuser de drogues, écouter de la musique profane et partager des choses au lieu de travailler et d’être financièrement indépendant, note Anthony Maiga. La secte rastafari encourage de tels comportements et il est évident qu'ils sont susceptibles de séduire des jeunes.» Jacob Maina a 35 ans et vit dans le bidonville de Nairobi. Lui aussi cette tourné vers cette religion parce qu'il cherchait la liberté. Né dans une famille protestante, la foi le restreignait. Il ne pouvait pas fumer de marijuana, s’opposer aux autorités ou écouter son musicien de reggae préféré, Bob Marley. «J'étais en prison quand j'étais chrétien. Le christianisme condamne tout ce que les jeunes apprécient. La foi rastafari permet aux jeunes de vivre une bonne vie. Nous ne faisons pas d'offrande le jour du sabbat, nous avons le droit de fumer de la marijuana et d'écouter de la musique reggae.»
Pour les adeptes du mouvement, beaucoup de nouveaux rastafaris sont attirés par la recherche de justice sociale et les sentiments anticolonialistes. Autant de convictions qui ont plu à Douglas Okello. «Les jeunes noirs sont opprimés depuis l'époque de la colonisation, déclare Ras Malonza, un dirigeant rastafari à Nairobi de 43 ans, ancien catholique fervent. Ils ont été réduits en esclavage par les blancs et c'est la raison pour laquelle ils se sont retrouvés en Jamaïque. La Jamaïque est un enfer pour nous et l'Éthiopie est notre paradis. Avec le temps, nous serons rapatriés en Éthiopie, notre terre promise par Haïlé Sélassié. Les jeunes noirs ne seront plus opprimés et nous vivrons dans la liberté et la paix.»
Mais selon les dirigeants locaux, le rastafarisme n’est pas encore synonyme de liberté dans le milieu urbain conservateur du Kenya. Et les adeptes sont souvent victimes de discrimination et considérés comme des criminels en raison de leur tabagisme et de leur apparence, en particulier les dreadlocks. Récemment, un tribunal de Nairobi a ordonné à la direction du lycée olympique de Kibera d'accepter une élève rastafari après qu’elle ait été refusée en raison de ses dreadlocks. «Il est temps pour les gens de comprendre et de respecter notre foi tout comme nous respectons les autres religions», a déclaré Ras Lojuron, membre des Rastafarian Family Elders. De son côté, Douglas Okello espère que la société, et en particulier le gouvernement, mettra fin au harcèlement et à la discrimination contre les rastafaris. «La police devrait bien nous traiter, affirme-t-il. Nous sommes une religion au même titre le christianisme et l'islam.» - Tonny Onyulo, RNS/Protestinter