«L’islam n’est pas homophobe»
«Le pari était osé et vous l’avez relevé!», lâche Sandrine Salerno, conseillère administrative de la Ville de Genève, dans le temple de Plainpalais bondé, mardi 9 avril. Et pour cause, ce soir-là, Ludovic-Mohamed Zahed, imam ouvertement gay, premier musulman français à s’être marié civilement avec un autre homme et fondateur de la première mosquée inclusive en France, est venu raconter comment il a concilié son orientation sexuelle avec ses croyances. La soirée était dédié aux enjeux d’un christianisme et d’un islam inclusifs, en présence de la pasteure Carolina Costa et organisée par l’antenne LGBTI du Lab groupe de partage pour les jeunes LGBTI, de l’Église protestante de Genève.
«La spiritualité est avant tout un outil de libération et non de contrôle ou de castration», explique Ludovic Mohamed Zahed. Une évidence qui ne l’a pas toujours été pour ce musulman homosexuel. Longtemps, il a rejeté sa religion qui lui apparaissait comme homophobe et misogyne. Mais impossible de se défaire de son besoin de spiritualité. Sa quête l’a mené des églises françaises aux temples tibétains, en passant par un coup d’œil chez les bahaïs. Mais à chaque fois, c’est le même discours: tout le monde est accueilli, mais on préfère éviter la question de l’homosexualité. Ludovic-Mohamed Zahed décide finalement de donner une seconde et ultime chance à l’islam. Il se retrousse les manches et entreprend un travail de reconstruction de sa propre religion, «qui a en elle-même des outils d’émancipation». «Ça n’est que lorsque j’ai arrêté de faire des procès d’intention à l’islam que je me suis senti mieux.»
Aujourd’hui, il l’affirme haut et fort: «l’islam n’est pas homophobe!» Que faire de l’homophobie de certains musulmans? «Il y a toujours des facteurs qui peuvent l’expliquer, mais non l’excuser. La misère, la détresse économique et sociale sont un facteur déterminant de mal-être. Et lorsque les gens n’ont plus rien, ils se raccrochent à ce qu’ils leur restent, la religion. Aujourd’hui, c’est à cela que les gens sont confrontés de l’autre côté de la Méditerranée.» Il rappelle au passage que «sociologiquement, il n’y a pas d’islam. Il n’y a que des musulmanes et des musulmans qui ont chacun une représentation particulière et individuelle de l’islam», observe l’imam, docteur en sciences humaines et sociales. L’éducation reste l’une des clés pour faire reculer l’homophobie et promouvoir la l’égalité des personnes LGBTI.
«Dans le Coran, il n’est fait mention ni d’homosexuels, ni de lesbiennes, et encore moins de transgenres, affirme l’imam. Certains reviennent toujours à la charge avec l’histoire de Sodome et Gomorrhe, un récit de soi-disant sodomites qui procéderaient à des viols collectifs sur des hommes. Or, dans ce récit, c’est le désir irrépressible imposé à l’autre qui est condamné. C’est donc la violence qui est considérée comme une abomination et non l’homosexualité», détaille l’imam, qui ajoute que «même s’il devait s’agir d’homosexuels, ça n’est aucunement une justification pour les jeter par les fenêtres comme cela s’est fait en Syrie ou de les gazer à l’image des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale». Au contraire, Ludovic-Mohamed Zahed rappelle que «le prophète lui-même a accueilli des hommes efféminés et des femmes masculines, l’équivalent des personnes LGBTI aujourd’hui, et les auraient même protégés».
Il y a pourtant bien deux hadiths, des propos attribués au prophète, qui diraient de tuer les homosexuels. «Comme pour le téléphone arabe, à ces propos rapportés oralement pendant plusieurs générations, on peut faire dire tout et son contraire. Rappelons que l’islam a commencé à être une tradition écrite et dogmatisée après 400 ans d’existence. Et c’est sans compter que ses deux hadiths ont été rapportés par des compagnons mineurs du prophète, décrits comme menteurs et voleurs. Or, selon la jurisprudence islamique, si une personne ment une fois, on ne peut plus la croire.»
Ces éléments, Ludovic-Mohamed Zahed ne les a découverts qu’à l’âge de 30 ans, après vingt ans d’études. Né à Alger en 1967, il a grandi dans une famille peu religieuse. Curieux, il commence à fréquenter la mosquée. «J’étais subjugué par le Coran», avoue-t-il. Il y rencontre un salafiste qui l’invite à rejoindre un groupe de lecture. Il y étudiera cinq ans, en vue de devenir imam. «C’est avec les salafistes que j’ai appris tout ce que je sais en langue arabe et en termes d’outils de déconstruction, d’analyse de corpus de textes. Alors même que ces outils peuvent aussi être utilisés pour faire naître l’extrémisme.» À cette époque, il comprend que l’homosexualité est taboue. «Ça», est une abomination. Mais l’adolescent s’interroge sur ces dogmes immuables et sur les discours discriminants tenus à l’encontre des femmes et des minorités.
À 17 ans, il s’installe avec sa famille à Marseille: choc culturel et identitaire. C’est à cette époque qu’il prend conscience de son homosexualité qui devient incontournable. «Lorsque j’ai vu deux hommes à la télévision, parler de leur amour et demandant des droits, j’étais heureux de ne plus être seul et stressé à l’idée de devoir gérer mon identité. Il m’aura d’ailleurs fallu dix ans pour y parvenir.» Le jeune homme se plonge dans des études de psychologie, d’anthropologie, il fait deux doctorats autour de l’homosexualité. Il s’empare de la question de l’islam et de l’homosexualité et des non-dits qui l’entourent. En 2010, alors qu’il renoue avec l’islam, il fonde l’association Homosexuels musulmans de France, qui passe, en trois ans, de 6 à plus de 400 membres. Il crée ensuite l’association Musulmans progressistes de France et se marie civilement en 2011 en Afrique du Sud. En 2012, la première mosquée inclusive à Paris.
Aujourd’hui, il continue de plaider pour un islam qui n’est ni homophobe ni misogyne. «L’islam, ce n’est pas Dieu, l’islam c’est nous, des humains. Si le Coran est la parole de Dieu, elle est celle d’un dieu immanent. Il faut donc pouvoir interroger le texte, le réformer sans cesse.»