En Israël, des élections influencées par les religieux
A l’heure des urnes, la foi pèse lourd dans la balance. On l’a vu aux Etats-Unis ou au Brésil où Donald Trump et Jair Bolsonaro doivent largement leur élection aux mouvements chrétiens évangéliques. En Israël, ce sont les juifs religieux sionistes et ultra-orthodoxes qui donnent le la, boostés par le gouvernement de droite de Benjamin Netanyahou. Leur influence va jusqu’à ébranler les fondements même de l’Etat hébreu. A la veille des élections, les Israéliens doivent ainsi répondre aussi à cette question fondamentale : Israël, Etat plutôt juif ou démocratique?
Alors que son rival Benny Gantz, à la tête du parti de centre-gauche «Bleu Blanc», favorise l’égalité des citoyens, la politique du premier ministre sortant Netanyahou va clairement vers la judaïsation de l’Etat. On l’a vu en juillet 2018 lors de l’adoption de la loi sur l’Etat-nation, quinzième loi fondamentale d’Israël qui ne possède pas de Constitution. Privilégiant la judéité de l’Etat au détriment de son caractère démocratique, elle porte un message qui ne saurait être plus clair: «Israël n’est pas l’Etat de tous ses citoyens», ainsi que l’affirmait Netanyahou en mars sur les réseaux sociaux. Et tant pis pour les 25,5% d’Israéliens qui ne sont pas de confession juive (chiffres 2017). Le texte a provoqué un scandale, «la démocratie étant pensée ici comme la dictature de la majorité juive sur la minorité non-juive», déplore Dan Avnon, professeur en science politique à l’Université hébraïque de Jérusalem.
Israël a beau être «l’Etat juif», la religion n’y a pas toujours eu droit de cité comme aujourd’hui. D’inspiration communiste, ses fondateurs conçoivent la judéité comme l’appartenance à une nation, et la Bible, un livre d’histoire à partir duquel ressusciter un peuple exsangue. Une vision aux antipodes de celle des juifs religieux de l’époque. Ils rejettent largement l’initiative, la qualifiant d’hérésie: il faut attendre que Dieu envoie son Messie pour que l’exil prenne fin. David Ben Gourion les amadoue en concluant un accord les exemptant du service militaire, leur octroyant des subsides permettant d’étudier la Torah à plein temps et leur donnant la mainmise sur le statut personnel des Israéliens (mariages, divorces, conversions…)
Ce n’est qu’en 1967 que sionisme et judaïsme se réconcilient grâce à la victoire d’Israël sur la Syrie, le Liban, la Jordanie et l’Egypte lors de la guerre des Six-Jours. Perçue comme un miracle, elle permet de conquérir de hauts lieux bibliques tels que le Mur des Lamentations ou la Judée et la Samarie (appelées Cisjordanie pour les Palestiniens et la communauté internationale), ravivant la religiosité des Israéliens. C’est le début du sionisme religieux, fer de lance de la colonisation des territoires.
L’alliance de la droite et de la religion est scellée vingt ans plus tard, en réaction aux Accords d’Oslo et à l’humanisme qui imprègne Israël sous l’influence du premier ministre Itzhak Rabin. La montée du nationalisme religieux est encore «précipitée par des événements comme la Deuxième Intifada, l’arrivée du Hamas à Gaza et du djihadisme en Syrie et en Irak», analyse Dan Avnon, spécialiste de philosophie politique juive. La droite est aujourd’hui profondément imprégnée de ce sionisme religieux néo-conservateur. Netanyahou ne s’y est pas trompé en déclarant samedi soir à la télévision israélienne qu’il annexerait la Cisjordanie s’il était réélu.
Les religieux, en Israël, ce sont aussi les ultra-orthodoxes, ces ultra-observants que l’on appelle en hébreu les haredim, littéralement: «craignant-Dieu». S’ils ne sont pas le fer de lance de l’Etat dans les territoires occupés, ils comptent pour une autre raison: la démographie. Alors que les femmes israéliennes font en moyenne 3,1 enfants, les familles ultra-orthodoxes en comptent 6,9. L’Institut pour la démocratie en Israël estime ainsi que d’ici 2030, ce courant représentera 16% de la population israélienne et jusqu’à un tiers d’ici 2065, contre 12% aujourd’hui.
Contrairement aux religieux sionistes, les ultra-orthodoxes n’ont pas toujours été à droite. «Ces vingt dernières années, ils se sont maintenus au centre de l’échiquier politique pour jouer un rôle de pivot leur permettant de faire valoir leurs droits en entrant dans n’importe quelle coalition, de droite ou de gauche», explique Gayil Talshir, chercheuse en science politique à l’Université hébraïque de Jérusalem. La stratégie de Benjamin Netanyahou a tout changé. «En leur offrant un pouvoir et un financement inédits, il les a repositionnés», affirme la chercheuse qui a écrit une biographie sur cet homme, à paraître en juillet. Maintien de l’exemption du service militaire, respect de leur mainmise sur le Mur des Lamentations à la fureur des juifs libéraux qui y souhaitaient la mixité… Ces dernières années, les faveurs du gouvernement ont provoqué de houleux débats en Israël et aux Etats-Unis, pays où la majorité des juifs appartiennent au courant réformé.
On ne sait encore si les Israéliens choisiront une fois encore Netanyahou à la tête de leur pays. Du côté des « noirs », comme on appelle les ultra-religieux en Israël, il n’y a cependant aucun doute. Jeudi, les chefs des partis Shass (ultra-orthodoxes arabes) et Judaïsme Unifié de la Torah (ultra-orthodoxes européens) ont donné officiellement l’ordre à leurs fidèles de voter «Bibi».
S’il n’est pas sûr qu’ils seront obéis – les ultra-orthodoxes, toujours mieux informés, ne suivant plus forcément les consignes rabbiniques à la lettre – Netanyahou peut dormir tranquille. Plus de la moitié de ces Israéliens (56%) soutient en effet son parti, le Likoud, tandis que 20% choisit des formations plus à droite encore, selon un rare sondage fait par un journal ultra-orthodoxe. Alors, Etat juif ou démocratique? Une réponse à cette question fondamentale est attendue mardi soir, voire mercredi en matinée, lorsque tomberont les résultats de l’élection de la 21e Knesset d’Israël.