Le pasteur zimbabwéen qui a aidé à évincer Mugabe retourne en prison
Actif au sein du mouvement qui avait permis d’évincer le dictateur de longue date Robert Mugabe fin de 2017, le pasteur Evan Mawarire risque maintenant 20 ans de prison pour s’être opposé au nouveau régime qu’il a aidé à instaurer. Evan Mawarire de l’Église «His Generation Church» est accusé d’incitation à la violence et de subversion du gouvernement du président Emmerson Mnangagwa, à la tête du Zimbabwe depuis novembre 2017. Le pasteur fait face aux mêmes accusations que lorsqu’il militait contre Robert Mugabe.
Selon Evan Mawarire, le pouvoir a changé de mains, mais il n’y a pas grand-chose de différent dans ce pays d’Afrique australe. «Nous pensions que les choses changeraient après Mugabe, mais nous l’avons remplacé par un autre Mugabe», constate le pasteur âgé de 41 ans. «Cela me brise le cœur, mais on se battra.»
En novembre 2017, Evan Mawarire a aidé à mobiliser des milliers de Zimbabwéens dans les rues de la capitale, Harare, pour exiger la démission de Robert Mugabe après une intervention des militaires qui a mis fin au règne du dictateur pendant 37 ans. Peu de temps avant que le dirigeant ne soit contraint de démissionner, le 21 novembre 2017, Evan Mawarire a été traduit en justice accusé de mutinerie. Le pasteur avait rejoint d’autres militants pro-démocratie exigeant une grève nationale de deux jours qui a paralysé le secteur des transports et mis sur pause le commerce dans le pays. Il a été acquitté après qu’Emmerson Mnangagwa ait pris le pouvoir le 24 novembre 2017.
De nouvelles accusations ont été portées contre le pasteur, en janvier dernier. Il venait de publier avec Peter Mutasa, le président du Congrès des syndicats du Zimbabwe, la principale organisation syndicale du Zimbabwe, une vidéo sur les réseaux sociaux demandant aux Zimbabwéens de rester chez eux pour protester pacifiquement contre la hausse du prix du carburant prévue par Emmerson Mnangagwa. Une hausse de plus de 150%. Cette augmentation intervient à un moment où l’économie du pays s’effondre et où la majorité des Zimbabwéens sont sans emploi vivant bien en dessous du seuil de pauvreté.
Après cet appel, des Zimbabwéens sont descendus dans les rues. De leur côté, les autorités ont réagi en supprimant l’accès à Internet, tirant sur les manifestants et tuant plus d’une douzaine de personnes, selon la «Zimbabwe Association of Doctors for Human Rights», une association humanitaire active dans le respect des droits humains.
Lors de cette manifestation, des centaines de personnes ont été blessées et des femmes violées, tandis que plus de 1000 personnes ont été arrêtées, notamment des groupes de défense des droits civils et le principal parti d’opposition. Le gouvernement et l’armée ont affirmé que des voyous étaient responsables des agressions et des morts. «Nous avons une armée très disciplinée qui a fait son travail pendant les manifestations. Les infractions ont pu être commises par des malfaiteurs ou des déserteurs de l’armée», a affirmé le général de brigade Douglas Nyikayaramba, un chef militaire de haut rang, qui a demandé à la population de signaler à la police tout membre de l’armée qui aurait agi incorrectement afin que des enquêtes soient menées.
Evan Mawarire a été arrêté le 16 janvier et incarcéré dans la prison de haute sécurité du pays jusqu’à ce que la Haute Cour le libère sous caution, deux semaines plus tard. Le pasteur explique avoir découvert des preuves de ces passages à tabac, alors qu’il était détenu: «J’ai été enfermé avec plus de 300 hommes. Certains avaient les membres brisés après avoir été battus par la police et les soldats. Je n’avais jamais vu ce genre de blessures auparavant. C’est pire que sous Mugabe. C’est une tragédie.»
Selon Jacob Mafume, le porte-parole du People’s Democratic Party, le fait de cibler Evan Mawarire et d’autres membres de son parti a été une tentative de l’État de décimer l’opposition. «L’arrestation arbitraire de cadres de notre parti et du pasteur est un signe clair que le gouvernement de Emmerson Mnangagwa veut réduire au silence toutes les voix dissidentes.»
Toutefois, la porte-parole de la police nationale, Charity Charamba, a rejeté les allégations selon lesquelles la police était partisane. «Nous sommes impartiaux. Nous avons arrêté Evan Mawarire et des militants à la suite des manifestations. Notre devoir en tant que police est d’enquêter et d’arrêter, puis le système judiciaire décide qui est coupable ou non.»
L’avocate d’Evan Mawarire, Beatrice Mtetwa, a déclaré qu’il était clair que le gouvernement avait une autre motivation que le maintien de la paix dans le pays. «Il n’y a rien de subversif dans la vidéo. L’État la considère toutefois comme une infraction. Le pasteur Evan Mawarire appelait les Zimbabwéens à la paix, en quoi le fait d’être pacifique constitue-t-il un délit? C’est de la persécution évidente.»
Pendant ce temps, l’évêque Ancelimo Magaya du réseau Divine Destiny a relevé que le gouvernement de Mnangagwa faisait preuve d’hypocrisie en ciblant Evan Mawarire. «C’est le rôle de l’Église de dénoncer les mauvaises pratiques de l’État. De la même manière que l’Église a soutenu les dirigeants actuels du Zimbabwe pendant la lutte pour la libération. Toute tentative de faire taire l’Église est hypocrite. Nos anciens libérateurs sont devenus nos oppresseurs.»
La responsable de l’information au gouvernement, Monica Mutsvangwa, a refusé de commenter l’acharnement sur le pasteur et les autres militants, affirmant que l’affaire était en instance devant les tribunaux. Elle a cependant déclaré à la Zimbabwe Broadcasting Corp. et au journal local Herald que l’administration de Mnangagwa soupçonnait une influence étrangère dans l’appel lancé par le pasteur et les autres opposants. Les manifestants nient ces allégations.
Après l’arrestation d’Evan Mawarire et de mille autres manifestants présumés, l’État a accéléré leurs procès. Certains ont déjà été condamnés à de longues peines, quelques semaines seulement après le début des manifestations. Les avocats ont qualifié ces procédures de «simulacres de procès». Face à son incarcération imminente, Evan Mawarire assure qu’il continuera à s’opposer au régime et à encourager les Zimbabwéens, quoi qu’il lui arrive, «car les Zimbabwéens n’ont d’autre choix que de continuer la lutte». «Je veux vraiment encourager les Zimbabwéens à être forts. Nous ne pouvons pas perdre notre voix. On l’a déjà perdue par le passé. On ne peut pas le perdre à nouveau», a-t-il déclaré à la chaîne de télévision panafricaine iTV.