Deux poèmes spirituels sur le coronavirus deviennent viraux
C'est un signe des difficultés que connaissent les Américains en ce moment, qu’autant d'entre eux se tournent vers un genre littéraire, souvent mal compris et méconnu: la poésie. Comment expliquer autrement le succès phénoménal de deux poèmes d’écrivains peu connus, qui sont devenus viraux?
«Pandémie» de Lynn Ungar et «Au temps de la pandémie» de Kitty O'Meara, tous deux initialement publiés sur Facebook, ont connu un succès fulgurant en ligne et ont été partagés partout sur la toile. Les deux poèmes traitent de la façon de faire face à l'anxiété liée à l'épidémie de coronavirus et à l'obligation de rester chez soi. Tous deux abordent la spiritualité, voire la religion de manière plus large:
«Et si vous y pensiez
de la même façon que comme les juifs considèrent le sabbat
– le temps le plus sacré?
Cessez de voyager.
Cessez d'acheter et de vendre.
Arrêtez-vous, juste pour l'instant,
pour essayer de rendre le monde
différent de ce qu'il est», commence le poème de Lynn Ungar.
Les deux poèmes prônent le ralentissement, la prise de conscience, la recherche de l'immobilité et la connexion avec l'humanité (sans se toucher). «Et les gens sont restés chez eux», a écrit de son côté Kitty O'Meara. «Ils ont lu des livres, ils ont écouté, ils se sont reposés, ils ont fait de l'exercice, ils ont fait de l'art, ils ont joué à des jeux, ils ont appris de nouvelles façons d'être et ils sont restés tranquilles», continue son poème.
Aumônière retraitée en soins palliatifs et âgée de 64 ans, Kitty O'Meara est catholique. Néanmoins, elle ne fréquente aucune Église. Elle vit avec son mari, ses cinq chiens et ses trois chats près de Madison, dans le Wisconsin. Elle qualifie son écriture de «morceaux éclairés» et ajoute que le poème lui est venu sans ébauche ni stratégie.
«Je me suis assise un jour pendant le déjeuner et j'ai posté ça sur Facebook», raconte Kitty O'Meara. «Je n'ai pas dit que c'était un poème, une allégorie, une fable ou un essai. C'était juste quelque chose que j'ai posté pour mon petit cercle d'amis.» Après avoir été partagé de multiples fois au sein de groupe d'amis grandissant, le texte a pris son envol. Trois jours plus tard, le médecin et penseur indo-américain Deepak Chopra l'a posté. Puis, le top model Bella Haddid. Et enfin, le magazine d'Oprah est venu frapper à la porte, qualifiant Kitty O'Meara de «poète officiel de la pandémie». Kitty O'Meara explique que ce sont les informations sur la diminution de la pollution dans la province chinoise de Hubei qui l'ont inspirée quand elle s'est assise pour écrire. «Mais l'Esprit est au moins coauteur voire complètement à l’origine de ces mots», ajoute-t-elle.
Lynn Ungar a 56 ans. Si elle a des racines juives, elle est actuellement ministre au sein de la Church of the Larger Fellowship, une congrégation universaliste unitarienne en ligne. Elle vit dans la vallée de Castro, au sud d'Oakland, et a publié un livre de poèmes, Bread and Other Miracles (Le pain et d’autres miracles). Lynn Ungar a affirmé ne pas avoir apprécié les réponses à l’ordonnance de rester à la maison en Californie. «Face à ce décret, on nous a dit soit "vous devriez paniquer", soit "vous ne devriez pas paniquer, tout va bien"», explique-t-elle. «Mais en réalité, la panique n'est pas une réponse utile, et nous ne devons pas faire semblant que tout va bien. Cela ne ferait qu'empirer les choses».
Son poème propose une troisième voie: «Se centrer sur l’intérieur», une idée qui trouve son origine dans le culte quaker et qui consiste à tourner toute son attention vers son propre intérieur dans une prière silencieuse. Comme le poème de Kitty O'Meara, celui de Lynn Ungar a rencontré un grand succès presque dès sa publication sur Facebook où elle a d’ailleurs posté plusieurs autres textes liés à l'épidémie.
Dès lors, elle a été comparée à la défunte poétesse Mary Oliver, et son poème a été partagé par des personnes comme l'écrivaine et historienne Rebecca Solnit. Il a également fait l'objet d'articles dans le quotidien, le Chicago Tribune. Kitty O'Meara confie avoir été très touchée lorsqu'un ami de Tacoma, dans l’État de Washington, lui a envoyé une photo qui montrait une boîte devant une maison dans laquelle les propriétaires avaient imprimé des copies de son poème pour que quiconque puisse le prendre.
Pour Lynn Ungar, il y a des similitudes entre la religion et la poésie. «Les deux permettent de voir le monde différemment et de réagir en conséquence.» Sa vie a beaucoup changé depuis la pandémie. Dresseuse de chiens à temps partiel et danseuse folk, elle ne peut faire ni l'un ni l'autre en cette période de confinement. Au lieu de cela, elle écoute beaucoup de musique, joue avec ses deux bergers australiens, communique avec ses amis au téléphone et écrit davantage de poèmes. «Nous ne considérons pas la poésie comme un besoin de base. C'est pourquoi les gens disent: "C'est précisément ce dont j'avais besoin maintenant. Cela m'a aidé". Et pour moi, c’est à la fois gratifiant et intéressant.»