Un plan de paix marqué par les chrétiens sionistes
L’annonce a été triomphale. Flanqué d’un premier ministre israélien radieux, le président américain Donald Trump a enfin dévoilé mardi son plan de paix pour le Proche-Orient. Intitulé «De la paix à la prospérité» et composé de 181 pages et 22 sections, il permet «une lecture claire de la vision des chrétiens sionistes américains pour Israël», affirme André Gagné, professeur associé à l’Université Concordia de Montréal. En l’échange d’un investissement de cinquante milliards de dollars sur dix ans permettant aux Palestiniens de développer le marché de l’emploi et les infrastructures, le texte prévoit en effet des conditions «directement inspirées de la lecture de la Bible à laquelle s’adonnent les évangéliques proches du président Trump», affirme ce spécialiste du fondamentalisme chrétien aux États-Unis.
D’abord, le plan de paix précise que Jérusalem restera la capitale indivisible d’Israël. Les Palestiniens ne pourront la partager avec les Israéliens mais devront établir la leur à Abou Dis, une banlieue de la Ville Sainte au-delà de la barrière de séparation. «Jérusalem est le lieu par excellence de la présence de Dieu; les textes la présentent comme éternelle et indivisible. Or, pour la droite dure évangélique, les juifs sont le peuple de Dieu au contraire des Palestiniens qui ne tiennent aucune place dans le plan divin. A ce titre, la ville doit être sous leur contrôle exclusif comme à l’époque du roi David», commente André Gagné. C’est ainsi que l’on peut interpréter d’ailleurs le déplacement de l’ambassade américaine à Jérusalem en mai 2018. «Elle avait été fortement encouragée par le vice-président Mike Pence et le secrétaire d’État Mike Pompeo, tous deux chrétiens évangéliques», rappelle l’analyste israélo-américaine Mairav Zonszein.
Ensuite, le plan de paix de Donald Trump prévoit qu’Israël pourra annexer immédiatement ses colonies établies en Cisjordanie, ainsi que la Vallée du Jourdain, territoire fertile le long de la frontière avec la Jordanie. Quelque 30% des territoires palestiniens reviendront ainsi à l’État hébreu. Rien d’étonnant après que Washington a reconnu la souveraineté israélienne sur le Golan en mars 2019, quelques mois avant de faire de même pour les colonies de Cisjordanie. «La droite chrétienne américaine a soutenu Israël dès le début mais pendant des décennies, ce sont des considérations économiques et géopolitiques qui ont prévalu. Depuis l’élection de Trump, la conquête israélienne des terres bibliques est devenue le cœur de la réalisation de la prophétie annonçant la fin des temps et le retour du Christ sur terre», explique Mairav Zonszein.
Cette croyance tire sa source notamment dans la promesse divine d’une terre à Abraham et à sa descendance, contenue dans la Genèse. «Il existe plusieurs interprétations quant à l’étendue du territoire ainsi consacré. Certains chrétiens et juifs croient qu’il va de la Méditerranée à l’Euphrate, ce fleuve entre la Syrie et l’Irak», précise André Gagné.
Enfin, le texte annoncé mardi par le président américain met un très fort accent sur la démilitarisation totale des Palestiniens afin d’assurer la sécurité d’Israël, que les premiers devront reconnaître comme «État juif» avant de pouvoir établir leur État. «La prière pour la paix d’Israël et de Jérusalem tient une place fondamentale pour les chrétiens sionistes américains», commente le professeur canadien. Ce n’est pas Mike Evans qui le contredira. Ce multimilliardaire américain est l’un des conseillers spirituels évangéliques de Donald Trump. Il a fondé non seulement le Musée des Amis de Sion à Jérusalem, mais aussi un compte Facebook appelé Jerusalem Prayer Team, suivi par 70 millions de personnes. Et il exulte depuis l’annonce du plan de Trump. «Il est tout simplement génial. Les Israéliens auront tout ce dont ils ont toujours rêvé et les Palestiniens, de l’argent et du travail. A condition de reconnaître le plan de Dieu pour les juifs sur cette terre», affirme-t-il, joint par téléphone aux États-Unis.
Si les chrétiens sionistes américains ont pu acquérir une telle influence dans ce plan de paix, c’est qu’ils sont nombreux et «extraordinairement mobilisés», souligne le professeur André Gagné. Ainsi, lorsque Donald Trump a été élu en 2015, le pays comptait 62 millions d’adhérents à cette mouvance sur 323,4 millions d’Américains, et sur ce nombre, 61% ont voté pour lui. D’autre part, un certain nombre suit l’approche dominioniste qui consiste à transformer la société en influençant, voire en contrôlant le gouvernement. Tirant sa source de la Genèse 1 :26-28 qui ordonne à l’homme de dominer la Terre, cet impératif se traduit aujourd’hui aux États-Unis dans le «Projet Blitz» à travers lequel les conservateurs chrétiens essaient de faire passer des lois fidèles à leur idéologie à tous les niveaux de l’État. Frustrés par Obama, Trump leur offre aujourd’hui la possibilité d’avancer sur le chemin de la prophétie qu’ils imaginent pour Israël.
Un Etat fantôme et un peuple fatigué
Un État palestinien sans réelle souveraineté, sans retour des réfugiés de 1948, sans Jérusalem pour capitale et construit sur des miettes de territoire: le contenu du plan de Donald Trump a suscité la colère du leadership palestinien. «Nous ne cesserons pas d’exister à cause d’une trahison de plus», lançait ainsi Atif Abou Saif, ministre palestinien de la culture, dans les rues de Ramallah mardi soir.
S’y tenait une maigre manifestation. L’annonce a en effet mis en lumière la profonde déconnection entre les Palestiniens et leurs dirigeants. Faisant front uni pour la première fois depuis neuf ans, les chefs du Hamas, du Jihad islamique et du Fatah auront fort à faire pour sortir leurs compatriotes de l’apathie dans laquelle les a plongés leur corruption et leur impuissance face à l’occupant israélien. «Se mobiliser ne va rien changer à notre situation et quoi qu’on ait à dire, on ne sera pas entendu. Regardez-le, il est comme un roi!» s’exclame Noha, une Palestinienne cinquantenaire attablée devant la télévision d’un café de Ramallah, pointant le premier ministre Netanyahou.
Juriste pour l’ONG palestinienne Al-Haq active dans les droits de l’homme, Rania Muhareb déplore l’annonce de Donald Trump qui a donné quatre ans aux Palestiniens pour accepter son plan. «Il parle de paix, mais aucune solution efficace et durable ne peut se passer du respect du droit international et de ceux, inaliénables, de notre peuple», affirme-t-elle.