Les réformés français face à la Manif pour Tous
Caroline Keck est pasteure de l'Union des Églises protestantes d'Alsace et de Lorraine. Elle est mariée avec une femme, Fanelie. Ensemble, elles ont fondé une famille par insémination artificielle en Belgique et sont mamans de deux enfants. Une pratique sans doute bientôt légale en France. Les députés ont voté en ce sens le 27 septembre, les sénateurs se prononceront début janvier. Les opposants, eux, iront manifester à Paris le 6 octobre. Fanelie, elle, se demande si elle ne va pas aller «contre-manifester».
«Les hétérosexuels s'inquiètent pour nos enfants et leur devenir», analyse Caroline Keck. «Ils pensent que nos enfants n'ont pas d'équilibre du fait de l'absence d'un père. Mais, peut-on définir un homme juste parce qu'il a un pénis? Les papas d'aujourd'hui donnent à leurs enfants une éducation qui ressemble à celle que prodiguaient les mamans il y a trente ans.» Dans son couple, elle estime que c'est Fanelie qui assume la «fonction paternelle».
Tous ne partagent pas son avis sur la question. Dans les rangs de la Manif pour Tous, ce dimanche, se trouvera d’ailleurs Jean-Louis Chamouton, conseiller presbytéral et prédicateur laïc de la paroisse de l’Église protestante unie de France (EPUdF) à Besançon. «Beaucoup de protestants remettent en cause l'autorité des Écritures. On voudrait faire comme si Lévitique 20 et Romains 1 n'existaient pas. Nous devons secouer l’Église et la société. Avec la recherche scientifique, les manipulations génétiques, la PMA, on est en train de préparer l'homo deus, l'homme qui veut prendre la place de Dieu.»
Pour Caroline Keck, au contraire, «l'idée que notre famille puisse contrevenir à la volonté de Dieu ne m'est jamais apparue. Je ne me sens pas dans une sorte de péché. C'est Dieu qui nous a permis de fonder une famille. C'est une évidence, et c'est une grâce.»
Entre Caroline Keck et Jean-Louis Chamouton, les Églises luthéro-réformées françaises font le grand écart. Une opinion majoritaire se dégage-t-elle? Guillaume de Clermont, président de la région Ouest de l'EPUdF, constate que «certains paroissiens sont clairement pour ou contre, mais la plupart sont en grand questionnement sur les évolutions techniques, un peu perdus ou dépassés». Dans le doute, la majorité préfère «ne pas interdire à l'autre de faire ce qu'il veut».
A titre personnel, le pasteur Guillaume de Clermont est «très réservé». Parce que la médecine changerait de fonction, allant au-delà de soins prodigués à des personnes présentant un problème de santé. Et il ne «croit pas un instant» qu'une autre personne que le père puisse pleinement assumer la fonction paternelle. Pour autant, il n'ira pas manifester, faute de temps, convaincu que, «dans le fond, ça ne changera rien».
Guillaume de Clermont et la pasteure Nicole Deheuvels, de l’Église Protestante Unie, pointent cependant tous deux que cette future loi engendrerait une discrimination entre les couples de femmes et les couples d'hommes. C'est pourquoi ils s'inquiètent vivement d'une éventuelle légalisation des mères porteuses en France, au nom de l'égalité. Nicole Deheuves s'y oppose catégoriquement. «Les femmes qui, poussées par leur désir d'enfant, veulent avoir les mêmes droits que les autres devraient faire attention à ne pas introduire la destruction d'autres femmes», à savoir les mères porteuses.
Conseillère conjugale et familiale, elle estime que le recours à un donneur externe brouille pour l'enfant le récit de ses origines. «C'est un mensonge biologique que de vouloir gommer la filiation avec le géniteur.» Elle appelle alors de ses vœux une régulation internationale des pratiques de PMA/GPA, au nom de l'intérêt de l'enfant, comme c'est le cas de la Convention de La Haye pour les procédures d'adoption. «Le désir d'enfant doit se soumettre au bien de l'enfant. Ce dernier n'est pas une marchandise qu'il faudrait pouvoir donner à tout le monde.»
Jean-Raymond Stauffacher, président des Églises réformées évangéliques, regrette que l'on soit «en train de toucher à ce qui jusqu’ici constitue les limites de l’humain , dans «une fuite en avant basée sur l’idée que puisque nous en avons la capacité technique, il nous est possible de le faire». Néanmoins, pour lui, «l’Église a pour vocation d’accueillir tous ceux qui sont désireux de découvrir le Christ quelque que soit leur orientation sexuelle», dans un «accompagnement pastoral fidèle à la vérité biblique».
De son côté, la théologienne féministe Joan Charras-Sancho définit différemment cette notion de «vérité biblique». Responsable de l'antenne inclusive de la paroisse Saint-Guillaume à Strasbourg, ancienne militante du carrefour des chrétiens inclusifs, elle travaille de pair avec les associations LGBTI. Aujourd'hui, elle ne veut plus «contre-manifester» à chaque Manif pour Tous, mais proposer au niveau local des activités et des réflexions sur le long terme. Bibliquement, elle adhère à l'idée d'un «canon dans le canon. Tous les écrits ne sont pas sur la même échelle. C'est dans les Évangiles qu'on rencontre Jésus. Quand je lis Genèse, je cherche ce qui m'y révèle Jésus. »
Forte de cette herméneutique-là, elle estime que «les familles LGBTI et leur vie de couple sont précieuses aux yeux de Dieu». Elle défend la PMA pour toutes au nom de l'égalité: «À partir du moment où la PMA existe, pourquoi certains citoyens ou citoyennes, qui paient des impôts, n'y auraient pas accès?» Elle souhaiterait que les gens de la Manif pour Tous «entrent en dialogue avec la société post-moderne autrement». D'un autre côté, elle se réjouit d'habiter «dans un pays où tout le monde peut manifester, pourvu que ce soit dans le respect de l’autre et des lois de la République».