Les manuscrits de Qumrân permettent de comprendre comment la pensée théologique a évolué jusqu’au Nouveau Testament
Photo: Une partie du site de Qumrân CC(0) Effi Schweizer
Propos recueillis par Joël Burri
Tous les croyants ont déjà entendu parler des manuscrits de la mer Morte. Mais que contiennent ces mystérieux rouleaux et pourquoi en parle-t-on autant?
Innocent Himbaza: Ce sont les plus anciens témoins du texte biblique que nous avons. Avant leur découverte, il y avait très peu de manuscrits très anciens. Les grands manuscrits que l’on connaissait dataient du Moyen âge, spécialement pour les textes hébreux. Quand on a découvert les manuscrits dits de Qumrân — ou de la mer Morte, le site de Qumrân n’est pas le seul — on a fait, un bond en arrière de plusieurs siècles dans l’histoire. La grande question était donc de savoir si ces documents correspondaient à la Bible telle que nous la connaissions.
Les manuscrits de la mer Morte contiennent toute la Bible hébraïque sauf le livre d’Esther. On peut donc se demander pourquoi cette absence? On ne sait pas vraiment, peut-être qu’on finira par le découvrir. Mais c’est peut-être que ce texte n’était pas considéré comme un livre biblique. On sait que les premiers chrétiens, au moins dans certaines régions, ne considéraient pas non plus Esther comme faisant partie de la liste du canon.
Parmi ces manuscrits, on trouve aussi des textes qui ne sont pas bibliques. Le Livre des Jubilés, le livre d’Hénoch, un livre qu’on appelle le Rouleau du Temple. Et des textes qui correspondent à des règles de fonctionnement de la communauté —souvent assimilée à des esséniens — qui vivaient près des grottes. Pour certains de ces livres, le débat a lieu de savoir s’ils avaient un statut biblique ou non pour cette communauté.
James Morgan: Il n’y a, par contre, pas de texte chrétien parmi ces manuscrits. Aucune mention de Jésus, aucune mention de Jean-Baptiste. Et ce qui est curieux c’est qu’on ne trouve pas de mention des esséniens dans le Nouveau Testament qui cite pourtant plusieurs ordres juifs tels que les pharisiens, les saducéens, les zélotes. On peut facilement imaginer, pourtant, qu’il y a eu des contacts à Jéricho ou là où Jean-Baptiste baptisait des gens.
D’ailleurs, on peut relever une certaine similarité dans les thématiques. La question de la pureté est très importante. La communauté de Qumrân pratiquait de nombreuses ablutions et rites de purification.
Est-ce à dire que le baptême de Jean-Baptiste est un rite inspiré d’une pratique qu’il pourrait avoir vu, par exemple chez les esséniens?
JM: Il y a, en tous cas, une différence: tel qu’il nous est rapporté par les évangiles, le baptême de Jean n’est pas un acte qui est répété, au contraire des rites d’ablutions comme on pense qu’ils étaient pratiqués par la communauté installée à Qumrân. Il leur fallait tellement d’eau dans ce lieu désertique qu’on se demande même si le site était occupé de façon permanente ou si c’était un lieu de retraite spirituelle.
IH: Les manuscrits de la mer Morte sont aussi importants pour cela. Ils permettent de comprendre un peu comment la pensée théologique a évolué de l’Ancien Testament jusqu’au Nouveau Testament. Ils couvrent, en effet une période allant du troisième siècle avant Jésus-Christ, jusqu’au début du deuxième siècle de notre ère. C’est tout de même une longue période. Ces textes témoignent de la manière dont on recevait l’Écriture et de comment on l’interprétait. De mon point de vue, ils permettent de mieux comprendre certaines prises de position du Nouveau Testament.
Est-ce que les manuscrits de la mer Morte ont réservé des surprises aux chercheurs, par rapport aux textes bibliques connus jusqu’alors?
IH: La bonne surprise c’est que les textes de la mer Morte confirment globalement le texte biblique. Évidemment cela dépend de l’appréciation de chacun. Par exemple. Il y a des différences que certaines personnes, selon leur sensibilité, peuvent considérer comme énormes. Par exemple, en Deutéronome 32:8, le texte massorétique que l’on connaissait déjà parle de «fils d’Israël». Sur un manuscrit de Qumrân, on peut lire «fils de Dieu». Et ce genre de variation existe pratiquement dans tous les livres. Pour moi l’enseignement qu’on peut en tirer, c’est que le texte biblique a subi des retouches dans son histoire. Quand on parle de l’histoire de la Bible, il faut être humble. On ne peut pas simplement dire le texte biblique n’a jamais été touché depuis des siècles avant J.-C.
D’ailleurs souvent, lorsque l’Ancien Testament est cité dans le Nouveau Testament, c’est le texte de la Septante, sa traduction grecque, qui est utilisé. Peut-être qu’il faudrait arrêter de se précipiter et dire que la Septante est mal traduite ou que ses traducteurs ont mal interprété le texte. Les manuscrits de Qumran montrent, en effet, que c’est une traduction souvent fidèle qui se basait simplement sur un texte hébreu légèrement différent de celui que nous connaissons.
JM: On trouve des parallèles très intéressants si on compare les textes du Nouveau Testament avec ceux de Qumrân. Il y a des choses qui sautent aux yeux: notamment l’importance accordée aux Écritures. C’est leur trésor, c’est pour cela que l’on cache ces manuscrits dans des grottes. Et ce ne sont pas que les textes bibliques qui sont perçus comme si importants, mais toute cette littérature juive.