Israël/Palestine: «Des outils pour dépassionner le débat»
«Donner des outils pour dépassionner le débat et dépasser la pensée binaire.» C’est avec ces mots que le professeur Jacques Ehrenfreund, responsable de la chaire d'histoire des Juifs et du judaïsme, a initié le cours public sur les origines du conflit israélo-palestinien, organisé par la Faculté de théologie et des sciences des religions de l’Université de Lausanne (Unil), ce jeudi 2 mai. Plus de 500 personnes ont suivi le cours public sur les origines du conflit israélo-palestinien, organisé par la Faculté de théologie et des sciences des religions de l’Unil. Une fréquentation «exceptionnelle».
Cet enseignement, donné conjointement avec le professeur Wissam Halawi, titulaire de la chaire d’histoire de l’islam et des mondes musulmans, n’a d’ailleurs pas manqué de susciter des critiques au sein du monde estudiantin. En ligne de mire, la présomption d’une «orientation en faveur d’un point de vue israélien», selon l’association Palestine inaugurée le 24 avril, ou encore la légitimité des organisateurs, alors que ce conflit serait purement territorial et politique.
L’événement académique s’est pourtant déroulé sans heurts, devant un auditoire bondé réunissant plus de 500 personnes (dont une grande partie de non-étudiants). «Une fréquentation exceptionnelle», selon Géraldine Falbriard, porte-parole de l’Unil.
«L’objectif n’est pas de susciter la polémique, mais de montrer qu’il y a plusieurs façon de lire la même histoire, vécue par deux peuples différents», a exprimé Wissam Halawi. Jacques Ehrenfreund a d’ailleurs évoqué «le registre de la tragédie, où les deux parties en conflit peuvent avoir raison».
Le professeur d’histoire du judaïsme est alors revenu sur l’histoire du peuple juif, «qui n’a jamais renoncé à être un peuple, même dans l’exil»: «Après les défaites militaires et la dispersion, celui-ci a maintenu l’idée d’un retour possible. Ce lien à la terre promise, selon les textes bibliques, a structuré cette population.»
Pendant longtemps, cet espoir se vivait «dans la passivité et l’acceptation de la volonté de Dieu, qui seul pouvait décider du moment de la restauration», expose l’historien. L’émancipation des juifs à la fin du 18e ainsi que l’apparition de l’antisémitisme moderne changent la donne: «En rupture avec la tradition religieuse, s’est alors mis en place un mouvement politique (le sionisme, ndlr.) aspirant à une souveraineté nationale», relève Jacques Ehrenfreund. «Face à la vague de pogroms en Europe de l’Est, l’idée d’un Etat pouvant protéger le peuple juif est alors apparu, pour beaucoup, comme la condition de sa survie.»
Changement de focale, avec la prise de parole du professeur Wissam Halawi. Ce dernier expose alors le fonctionnement de la société arabe de Palestine, «marquée par le clivage clanique» et où «les chefs ruraux avaient pour rôle de remplacer l’Etat». Un état de fait qui donne l’impression, aux yeux de l’Occident, d’un «espace vide à civiliser».
A ses yeux, la réforme fiscale, au milieu du 19e, aurait mis le feu aux poudres, en «encourageant l’achat de terres par les immigrés juifs venant d’Europe», exprime-t-il. «Les petits paysans vont être rachetés par des notables ruraux, qui emploient alors une main-d’œuvre arabe bon marché, qui est exploitée parce qu’elle n’a pas le choix. Les juifs immigrés sont alors perçus comme une menace exogène, en raison de leur supériorité financière et politique.»
Au moment de l’échange avec l’auditoire se font néanmoins ressentir certaines divergences entre les deux professeurs. A la question de savoir pourquoi ce conflit polarise autant, Wissam Halawi invoque d’ailleurs le fait que ce conflit «convoque l’idée de peuple vaincu et de peuple vainqueur». De son côté, Jacques Ehrenfreund pointe plutôt l’existence, «sur ce tout petit territoire, de lieux symboliquement très forts pour les trois monothéismes». Un argument qui ne convainc pas son confrère: «Avec la notion de terre sainte, on est dans le symbolisme. Or ce n’est pas ça qui fait descendre les gens dans les rues», estime-t-il.
Alors que la dimension religieuse est présentée par Jacques Ehrenfreund comme fondatrice de l’identité juive, celle-ci est en effet mise de côté par Wissam Halawi, qui insiste pour parler «d’arabes et non de musulmans».
Le terme de «colonisation» met également à jour des sensibilités différentes. «Jusqu’au 19e siècle en Europe, les juifs sont présentés comme des orientaux, qui ne sont pas véritablement d’ici», pose Jacques Ehrenfreund. «Il est paradoxal qu’ils apparaissent aujourd’hui comme des colonisateurs, soit un corps étranger dans le Moyen-Orient.»
«Si à l’intérieur de ses frontières initiales, l’Etat d’Israël ne peut pas être considéré comme une colonie, il faut quand même pouvoir distinguer entre ce qui est reconnu par le droit international et ce qui ne l’est pas», réagit Wissam Halawi.
Un bel exercice de dialogue et de réflexion, qui se réitérera lors d’un second cours, le 23 mai. Sur inscription uniquement.