Nicaragua: une offensive sans précédent contre les Eglises
Le gouvernement de Daniel Ortega et de son épouse, la vice-présidente Rosario Murillo, a fermé des centaines d'organisations sociales religieuses et d'Eglises ces derniers mois, dans le cadre d'une offensive contre les institutions chrétiennes sans précédent dans l'histoire du Nicaragua. De nombreux pasteurs ont subi des représailles.
Rien qu'au mois d'août, le régime sandiniste a fermé plus de 1600 organisations sociales, dont plusieurs Eglises chrétiennes. «Pour créer une église évangélique, il faut fonder une association à vocation religieuse», explique Yader Valdivia, coordinateur de documentation et de suivi pour l'ONG Nicaragua Nunca Más, qui regroupe des militants nicaraguayens des droits de l'homme exilés au Costa Rica.«Dans certains cas, une seule association peut regrouper des dizaines d'Eglises. On ne sait donc pas exactement combien d'entre elles ont fermé jusqu'à présent», ajoute-t-il.
Certaines des Eglises révoquées sont de grandes institutions, mais la plupart d'entre elles sont de petits ministères, situés dans des quartiers populaires de grandes villes comme Managua, la capitale. «Nous documentons des cas individuels de pasteurs à qui il a été interdit d'exercer des activités religieuses dans d'autres Eglises. Les groupes pro-gouvernementaux des quartiers les surveillent», explique encore Yader Valdivia.
«Même ceux qui fréquentent des institutions fermées par le régime ont eu du mal à rejoindre une nouvelle Eglise, poursuit-il. «Les dirigeants craignent que si les espions les voient accueillir ces personnes, leurs Eglises seront également fermées.»
Depuis les manifestations massives de 2018 contre le gouvernement d'Ortega, l'Église catholique, considérée comme l'alliée des manifestants, a été durement persécutée. Des prêtres, des religieuses et même des évêques ont été arrêtés, exilés ou empêchés de retourner au pays.
De nombreuses Eglises évangéliques étaient identifiées comme soutiens au régime sandiniste, c'est pourquoi leur fermeture et l'arrestation de pasteurs ont choqué beaucoup de gens dans le pays et au sein de la communauté internationale. Or, une telle vision est toutefois erronée, comme l'explique l'avocate Martha Molina, qui étudie les attaques d'Ortega contre le christianisme depuis son exil aux États-Unis. «Lors des marches de 2018, on a pu voir de nombreux pasteurs protester contre la dictature. Peu d’Eglises soutiennent Ortega, pas plus de cinq», chiffre-t-elle.
L’une d’elles est la méga-église brésilienne Église universelle du royaume de Dieu (ou IURD, en portugais). Au Brésil, l’IURD a approché l’ancien président d’extrême droite Jair Bolsonaro et a même fait campagne contre le leader de la gauche modérée Luiz Inácio Lula da Silva lors de la campagne présidentielle de 2022, soulignant les dangers du communisme. Au Venezuela et au Nicaragua, l’IURD soutient cependant les gouvernements de Nicolás Maduro et Daniel Ortega.
«Même s'ils soutiennent Ortega, rien ne garantit la protection des pasteurs», prévient Yader Valdivia. Par exemple, l'Eglise Mountain Gateway, fondée par un couple américain en 2013, pouvait jusqu'à récement organiser des célébrations massives, rassemblant 200’000 participants. Fin 2023, treize de ses membres ont été arrêtés sans explication.
«Ils ont été accusés de détournement de fonds. Mais ils n'ont pas pu appeler d'avocats ni parler à leurs proches pendant des mois. Ils ont été libérés le mois dernier, avec les prisonniers politiques, ce qui montre clairement qu'ils étaient également des prisonniers politiques», déclare Yader Valdivia.
Si les religieux catholiques les plus persécutés partent en exil, peu de pasteurs évangéliques peuvent le faire. Beaucoup d’entre eux sont des pères de famille, avec des entreprises ou des emplois dont ils dépendent pour subvenir aux besoins des leurs. Cela amène beaucoup d’entre eux à garder le silence et à ne pas signaler la persécution dont ils sont victimes.
«Il y a des risques de représailles contre les familles. En outre, l'Assemblée législative du Costa Rica a signalé au début de l'année qu'il existe des cellules gouvernementales sandinistes en activité dans le pays», explique Yader Valdivia. Au moins un cas a été confirmé d'un dissident nicaraguayen exilé dans le pays qui y a été kidnappé et emmené de force au Nicaragua. Son corps a été retrouvé près de la frontière avec le Honduras.
Le pasteur Francisco Alvicio, membre du peuple indigène Miskito et de l'Église morave, vit au Costa Rica depuis des années. La semaine dernière, il a été pourchassé par trois hommes et poignardé près de son domicile dans la capitale San José. Ils lui ont pris ses affaires et son téléphone portable.
«Le régime les a envoyés, ils voulaient me tuer. Je dois sortir d'ici, mais je n'en ai pas les moyens économiques. J'ai besoin d'aide», déclare-t-il. En septembre, ce pasteur était à Genève et a dénoncé la répression religieuse au Nicaragua lors d'une réunion sur les droits de l'homme.
L’Église morave, une institution proto-protestante originaire d’Europe centrale, a également vu récemment sa personnalité juridique fermée par le gouvernement. Une grande partie des Miskito sont membres de l'Eglise depuis que le roi miskito Robert Charles Frederic a invité l'institution à s'installer sur son territoire en 1849. On estime qu'elle compte 110’000 membres actifs et atteint 380’000 personnes.
«Pendant la révolution sandiniste, les dirigeants moraves ont été persécutés et tués. Depuis 2019, le régime a provoqué scissions et divisions», souligne le pasteur Salomon Martinez, premier ministre de la région de Mosquitia, également en exil au Costa Rica.
«Nous pensons que le gouvernement paie certains dirigeants pour encourager les ruptures. Actuellement, nous sommes divisés en quatre factions», déplore-t-il. Les fondations entretenues par l’Église sont désormais fermées et des départements entiers – comme l’impression des cantiques – sont sous le contrôle de la faction proche du gouvernement.
«La police a ordonné la fermeture de l’église de Waspam. Les miskitos continueront à célébrer les offices dans leurs églises», précise-t-il. Selon Salomon Martinez, la persécution de l'Église morave est liée à l'intérêt du gouvernement à s'emparer des terres et des ressources naturelles des Miskito.
Eliseo Núñez, un analyste politique actuellement en exil au Costa Rica, affirme que l'un des objectifs du régime est en réalité de s'emparer des biens des Eglises. Mais ce n'est pas tout. Selon lui, la première dame et vice-présidente Rosario Murillo a un certain désir d'exercer une sorte de médiation spirituelle entre le peuple et Dieu. «Elle a une spiritualité basée sur le New Age, en plus d'être une adepte du gourou indien Sai Baba. Elle croit que l'évolution humaine atteindra un niveau tel qu'elle permettra l'émergence d'une religion universelle», affirme-t-il, soulignant que la première dame pense que le Nicaragua pourrait être le centre d'un tel processus.
Chaque jour, vice-présidente Rosario Murillo enregistre des émissions de radio dans lesquelles elle mélange des commentaires politiques avec des extraits de l'Évangile et du missel catholique. À sa manière, elle est également une ministre de la parole – peut-être la seule qui ne puisse être destituée dans le pays.