Alexandre Winter: une foi engagée dans le réel
Rien ne semblait prédestiner le timide enfant de Sézenove à la haute fonction de modérateur de la Compagnie des pasteurs, des diacres et des chargés de ministère. Comprenez par-là, «le pasteur des pasteurs» de l’Eglise protestante de Genève (EPG). Né sur un campus américain de l’Ohio où ses parents «amoureux de la science» poursuivaient des études de chimie, Alexandre Winter grandit dans un environnement tourné davantage vers le rationnel que le spirituel. «Mes parents sont représentatifs d’une génération qui pensait que les Eglises appartiennent au passé», raconte-t-il.
De son enfance et son adolescence, il garde un souvenir quelque peu chagrin. «J’étais un enfant introverti, assez mal dans sa peau», confie-t-il. «J’avais de la peine à m’affirmer, donc j’étais aussi assez influençable.» Il faudra une rencontre impromptue, à l’âge de 18 ans, au détour d’un stage dans une entreprise sur les bords du lac de Zurich pour que le jeune homme se découvre une nouvelle épaisseur. «Je suis touché par l’enthousiasme de cette collègue, ayant elle-même vécu une rencontre forte avec Dieu, qui me fait découvrir en quelques mois tout à la fois Jésus, la Bible et la foi.»
S’il trouve cette ferveur au début «un peu étrange» , Alexandre Winter plonge, dans un esprit d’ouverture, dans différentes lectures, ouvrages de théologiens et « livres de témoignage». «La possibilité qu’un Dieu existe et qu’il puisse être connu d’abord par le fait qu’il aime ne me laissait pas indifférent», exprime-t-il, tout en restant à l’époque encore distant par rapport à ces croyances.
Après son service militaire, Alexandre Winter est de retour à Genève, où ses convictions naissantes vont subitement se sceller. «Vous allez rire, c’était à l’occasion d’un concert de reggae au Palladium, et je vous promets que je n’avais rien fumé ce soir-là! Tout à coup, j’ai senti mon cœur s’ouvrir et Dieu y entrer», se remémore-t-il. «J’ai alors pleuré comme jamais et ressenti une joie indicible.»
Cette soirée marquera clairement un avant et après. Avec sa copine de l’époque, «élevée dans la foi réformée bien qu’ayant pris distance», Alexandre Winter commence quelques mois plus tard à assister aux cultes dans une paroisse de l’EPG. Très rapidement, le pasteur repère le jeune couple et leur propose de l’aider à donner le catéchisme à un groupe d’adolescents. «La confiance que cet homme m’a témoignée m’a donné des ailes», commente-t-il. Si bien qu’à la fin de ses études en Lettres, le jeune homme s’engage dans un poste d’animateur jeunesse au sein de l’EPG et décide encore, dans la foulée, de reprendre des études en théologie, alors même qu’il est en train de devenir père de famille.
Suivront dix années de pastorat à la paroisse de Bernex-Confignon: «De très belles années», formule-t-il. «A un moment donné, j’ai cependant eu besoin de sortir de ce monde que je ressentais parfois comme un peu clos pour m’ouvrir à d’autres réalités, notamment sociales et économiques.»
Sur ce plan, Alexandre Winter sera pour le moins exaucé, puisqu’il rejoindra l’équipe de l’Aumônerie genevoise œcuménique auprès des requérants d'asile (Agora). «La lecture de la Bible m’a ouvert à ces questions d’injustice et de justice, à l’attention à porter aux sans-voix et à ceux et celles que l’on ne voit pas», exprime-t-il. Régulièrement, le pasteur a d’ailleurs pris la parole dans les journaux pour s’ériger contre Frontex, les conditions d’asile ou encore la peine de mort quand son spectre réapparaissait dans l’opinion publique. «Il faut aider à faire entendre certains cris», énonce-t-il. «C’est aussi notre rôle en tant que théologiens et croyants, de rappeler, au nom de notre foi, que certaines choses importantes doivent être défendues et certaines limites posées.»
Suite à sa nomination en tant que modérateur de la Compagnie, Alexandre Winter quitte son poste à l’Agora. S’il devait garder qu’une seule image de ces cinq années de service auprès des personnes migrantes? «Sans hésitation, le rayonnement intense de joie sur le visage de l’un d’entre eux, juste au moment où il a appris qu’il pouvait sortir d’un centre de détention administrative.» Et de raconter que cet homme africain qui avait déjà dû quitter son pays et réussi tant bien que mal à se reconstruire une vie en Ukraine avait dû tout abandonner une seconde fois avec le début de la guerre. Sans parler de ses soucis de santé insuffisamment pris au sérieux par l’établissement où il était retenu…
A titre personnel, Alexandre Winter compte bien cependant poursuivre son engagement. Dans la coopérative d’habitat communautaire qu’il a fondée avec une quinzaine d’autres personnes sur le terrain de sa maison familiale, un appartement héberge en continu plusieurs requérants d’asile. «La foi, ça ne peut pas être que des paroles.»