Les Eglises réformées sont-elles prêtes à l’introspection?
Les révélations concernant les cas d’abus commis au sein de l’Eglise protestante d’Allemagne (EKD) n’ont pas manqué d’interpeller les Eglises réformées de Suisse.
Si le lancement d’une étude similaire sera débattu lors du prochain synode de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS) au mois de juin, leur faitière s’y montre déjà ouvertement favorable.
«Le 25 janvier 2024 marque un tournant dans l’identité des Eglises protestantes», formule, dans la newsletter institutionnelle de février, Stéphane Juette, responsable du département de théologie et d'éthique de l’EERS. «L’étude de l’EKD montre que les abus, souvent considérés comme un problème catholique ou de société, concernent tout autant les Eglises protestantes.» Sans détour, il conclut que «l’EERS et les Églises membres sont maintenant appelées à travailler sur leurs histoires liées aux abus, à identifier les zones de problèmes systémiques et à y remédier (…) Il n’y a pas de tâche ecclésiale et théologique qui soit plus importante à l’heure actuelle.»
L’Exécutif de l’EERS ne saurait cependant prendre cette décision unilatéralement, celle-ci revenant à son assemblée législative, formée des différents délégués cantonaux. Ainsi, chaque Eglise cantonale devra se positionner clairement sur la question, en votant pour ou contre une telle étude. Pour l’heure, du côté des Eglises romandes, cette volonté semble partagée sur le principe.
«L’Eglise évangélique réformée du canton de Fribourg (EERF) souhaite qu’une enquête puisse être faite», déclare son président Pierre-Philippe Blaser. «Afin que les victimes puissent être entendues et que tout défaut de vigilance soit rapidement corrigé.»
Même son de cloche du côté de l’Eglise réformée évangélique du canton de Neuchâtel (EREN): «Le Conseil synodal serait favorable à une étude, dans le but d’identifier les systèmes susceptibles de favoriser les abus ainsi que d’en comprendre les mécanismes», exprime Clémentine Miéville, membre de l’Exécutif en charge des ressources humaines et aspects juridiques. Elle invite d’ailleurs «toute personne ayant été victime ou témoin d’abus à se signaler».
Plus prudentes, d’autres Eglises préfèrent s’en remettre à la volonté commune des délégations cantonales. Ainsi de l’Eglise protestante de Genève (EPG): «Si une étude à l’échelon national était entreprise, notre Eglise y participerait», pose sa présidente Chantal Eberlé. «L’EPG tient à ce que tout signalement d’abus soit traité.»
Du côté des Eglises réformées Berne-Jura-Soleure, la présidente Judith Pörksen Roder ne se prononce pas directement sur la question d’une telle étude, mais souligne que leur union d’Eglises «soutient toutes les mesures d’intervention et de prévention» afin que «l’Eglise soit un lieu sûr pour tous».
Une précaution rencontrée également du côté d’Anne Abruzzi, présidente de l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV), qui indique que «l’EERV est favorable à toute mesure permettant la prévention des abus et la reconnaissance de la souffrance endurée par les victimes identifiées». Et d’ajouter: «Si l’enquête ne sert pas cette double visée, elle est dépourvue de son sens le plus important.»
Enfin Gilles Cavin, président de l’Eglise réformée évangélique du Valais (EREV), signale, de son côté, que «l’EREV ne s’opposera pas à une telle enquête», bien qu’elle ne soit «pas convaincue de sa pertinence» sur le territoire valaisan, «étant donné la petite taille de l’EREV».
Reste également l’épineuse question de la disponibilité de ces archives, au sein de ces Eglises dont les statuts et fonctionnements internes diffèrent selon les cantons. Sur le territoire fribourgeois, par exemple, la gestion RH n’est pas centralisée. Pour autant, Pierre-Philippe Blaser rappelle que «tous les procès-verbaux des séances de Conseils de paroisse et du Conseil synodal doivent être soigneusement conservés», mais aussi que «les paroisses doivent faire remonter toutes les affaires disciplinaires concernant les ministres ou personnes élues au Conseil synodal.»
En Valais, Gilles Cavin confirme que «d’un point de organisationnel, les archives RH de l’EREV sont immédiatement accessibles». Pour autant, il pointe le fait que la question est plus «délicate d’un point de vue juridique»: «En principe les dossiers RH sont confidentiels, il faudrait donc que l’enquête soit bien cadrée et menée par un enquêteur qualifié et lié par une obligation de confidentialité stricte.»
Et pour ce qui serait d’un passé plus lointain? Si «les dossiers RH sont conservés dans l’EREV pendant dix ans après la fin des rapports de travail», son président relève qu’«une éventuelle problématique d’abus aurait donné lieu à une mention dans un PV du Conseil synodal, et ceux-ci sont archivés pour une durée illimitée».
Dans le canton de Neuchâtel, si Clémentine Miéville annonce que «tous les dossiers RH ont été gardés depuis 1943», elle indique que «l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur la protection des données oblige à détruire une large partie de ce qui est contenu dans ces dossiers». Son Exécutif a donc décidé d’un moratoire de cinq ans «durant lequel aucune archive ne sera détruite, exception faite des documents comptables de plus de dix ans».
A Genève, l’EPG, établie sous la forme d’une association de droit privé, «est soumise au droit fédéral en matière de protection des données et gère ses archives dans le respect de ce droit», explique Chantal Eberlé. Ainsi, elle ne saurait «fournir les archives qu’elle a à sa disposition» que si «elle le peut légalement».
L’accès à ces archives se complexifie dans les cantons où l’Etat a longtemps eu le statut d’employeur, à l’instar des Eglises de Berne-Jura-Soleure et ce jusqu’en 2020. «Seuls les dossiers des pasteurs, dont le rapport de travail a été repris, ont été transférés du canton de Berne aux Eglises», informe Judith Pörksen Roder. Confiant qu’à l’heure actuelle «l’archivage est géré différemment selon les paroisses» et que «les services généraux ne disposent pas d’un aperçu général» de ces archives, elle estime qu’«en règle générale, les paroisses s’adressent à l’Eglise cantonale en cas de souci».
Dans le canton de Vaud, selon Anne Abruzzi, il s’agira, le cas échéant, de définir «qui archivait quel type de document» entre Eglise et Etat, employeur jusqu’en 2007. De son côté, l’EERV mettrait alors à disposition «les documents pertinents qu’elle pourrait encore posséder, relatifs à la période antérieure à 2007». Et d’admettre qu’«à cette époque, l’archivage était moins réglementé qu’aujourd’hui».