2023: 10 signalement d'abus sur plus de 70 concernent des réformés
La parole se libère autour des abus commis dans les Eglises. En témoigne le rapport annuel pour l’année 2023 du Groupe de Soutien aux personnes abusées dans une relation d’autorité religieuse (SAPEC), rendu public en amont de l’assemblée générale de l’association, prévue le 7 mars prochain. En treize ans d’existence, jamais cette antenne d’écoute et d’accompagnement des victimes n’avait «reçu autant d’appels en un an». En 2023, «ils sont passés à plus de soixante-dix», alors qu’«en général, ils ne dépassaient pas la vingtaine».
La raison de ce triste record? «Du côté catholique, c’est bien évidemment le rapport intermédiaire de l’étude universitaire menée par l’Université de Zurich qui a ouvert les vannes», relève Jacques Nuoffer, président du Groupe SAPEC. «Côté protestant, l’article sur Guilhem Lavignotte dans le journal 24 heures a fait beaucoup», relève Marie-Jo Aeby, vice-présidente, faisant ainsi référence au témoignage de cet organiste vaudois d’origine française qui a raconté avoir été abusé par un ministre de l’Eglise réformée du canton de Vaud (EERV) dans les années 1990.
Si les cas d’abus signalés au Groupe SAPEC restent majoritairement commis au sein de l’Eglise catholique, le bilan 2023 annonce néanmoins une progression du nombre de cas mettant en cause des pasteurs. Une dizaine sur la septantaine enregistrés cette année, selon le rapport. «Et tous des réformés, pas d’évangéliques», note Marie-Jo Aeby. Elle nuance toutefois sur le statut de ces auteurs d’abus présumés: «Il s’agit en général d’un pasteur. Mais un de ces cas concerne par exemple un moniteur dans un camp de vacances réformé».
Et d’ajouter que «ces cas sont le plus souvent prescrits, ce qui s’explique par le fait que les victimes mettent des années avant de pouvoir sortir du silence». Marie-Jo Aeby n’est toutefois pas en mesure de dire si la parole des victimes en question a globalement été entendue - ou pas - par leur Eglise cantonale respective. «Souvent, les personnes nous appellent pour déposer leur secret.» Toutes ne se décident pourtant pas à poursuivre la démarche. «Elles ont généralement besoin de temps avant de contacter les autorités concernées.»
Pour un cas précis toutefois, elle dit être en contact avec une victime âgée d’une quarantaine d’années, qui aurait été abusée par un ministre de l’Eglise réformée bernoise quand elle avait 15 ans: «Cela fait une année que nous sommes en tractations… Bien que les faits soient prescrits, cette Eglise collabore, mais peine à mettre en place une procédure permettant à la victime de trouver reconnaissance et réparation pour les torts subis.»
Marie-Jo Aeby assure en outre être au courant, «de source sûre, de quelques cas étouffés par les autorités ecclésiales dans le milieu réformé». Y aurait-il donc aussi une mécanique systémique de dissimulation des abus dans l’Eglise réformée, au même titre que chez les catholiques? «Toute communauté a du mal à accepter qu’une figure charismatique, appréciée et qui fait autorité, puisse commettre des agressions sexuelles. Comme partout, il y a des secrets de Polichinelle et des personnes protégées», commente-t-elle. Jacques Nuoffer rappelle à son tour qu’«il y a des risques de comportements identiques de protection, de non-dénonciation et de copinage dans tous milieux religieux comme au sein de clubs de sport ou du milieu scolaire, quoique ces derniers soient plus surveillés.»
La vice-présidente félicite pour autant que la plupart des Eglises réformées de Suisse se soient adjoint ces dernières années les services d’organes indépendants afin de signaler les abus. Elle en veut pour preuve «les retours positifs» reçus à propos du Groupe d’experts en prévention et protection contre les abus (GREPPA), avec qui travaille l’EERV depuis 2021. Du côté catholique, elle mentionne la création en 2016 de la Commission Ecoute-Conciliation-Arbitrage-Réparation (CECAR), à l’initiative du Groupe SAPEC. «Il est important que ces structures soient externes. Les victimes doivent pouvoir s’adresser à des personnes neutres et indépendantes.»
En fin de rapport, le comité du Groupe SAPEC alerte sur le manque de relève en son sein. Fin 2023, l’association a notamment été fragilisée par l’éviction «rendue pourtant obligatoire» de son lanceur d'alerte réformé. Ce dernier aurait eu, sur des forums de discussion en ligne, «des comportements ne correspondant pas du tout aux valeurs d’une association de victimes d’abus sexuels», a déploré Jacques Nuoffer.
Ainsi, si une relève n’est pas trouvée d’ici 2025, ses membres seront contraints de «dissoudre l’association, après quatorze ans de travail», avertit le rapport. Marie-Jo Aeby et Jacques Nuoffer, tous deux proches de la huitantaine, s’apprêtent en effet à passer la main. Mais à qui? «Nous avons lancé plusieurs appels auprès de nos membres. Nous avons quelques pistes et de l’espoir.»