Le culte radio fête ses 100 ans
C’est depuis la piste de l’aérodrome de Cointrin que l’histoire du culte radio en Suisse a pris son envol, le 18 mai 1923. Installé pour assurer la communication avec les avions, l’émetteur éveille immédiatement d’autres aspirations. Dès le début des années 1920en effet, une poignée de passionnés se rassemblent en clubs de radioamateurs pour se livrer à différentes expériences avec ce qui n’est encore qu’un média expérimental.
Ainsi, lorsque le pasteur genevois Raoul Dardel, par ailleurs président de la section genevoise du Radio Club Suisse, apprend qu’un émetteur est installé dans son canton (le premier émetteur avait été mis en service sept mois plus tôt à Lausanne, ndlr.), il se saisit immédiatement de l’opportunité pour diffuser, sur ces ondes nouvelles, la Parole de l’Evangile. Retransmis depuis la minuscule «Maison de la radio» sur la piste de Cointrin, le programme d’une quarantaine de minutes comprend des lectures de la Bible, la prédication ainsi que des prières.
«Les protestants se sont très vite emparés de ce nouveau média, si bien que l’histoire des cultes radiodiffusés est aussi longue que celle de la radio», expose l’historienne des médias Marie Sandoz. En janvier 1924, en effet, l’expérience d’un culte radiodiffusé est renouvelée sur le territoire vaudois, depuis l’émetteur du Champ-de-l’air, construit pour les besoins de la ligne d’aviation Paris-Lausanne, assurée depuis l’aéroport de la Blécherette. «Ce deuxième culte, conduit par le pasteur Jules Amiguet, lance la diffusion régulière de ces cérémonies dominicales», précise l’historienne. A Genève, le rendez-vous devient à son tour hebdomadaire dès 1925.
«C’est sous l’impulsion d’amateurs et d’initiatives privées que les autorités suisses ont accordé, dès janvier 1923, leur feu vert aux essais radiophoniques pour de l’information et du divertissement», retrace François Vallotton, historien des médias à l’Université de Lausanne. Près d’une décennie de liberté quasi-totale, avant que les sociétés locales de radiodiffusion ne doivent céder laisser la place, en 1931, à la nouvelle Société suisse de radiodiffusion (SSR), plus apte à gérer la coordination au niveau national.
«Parallèlement à son monopole, celle-ci reçoit un mandat général – qu’on appelle de service public dès 1931 – d’édification et d’éducation», relate François Vallotton. «Si on ne veut en aucun cas d’une radio de divertissement à l’américaine, le cahier des charges est âprement discuté avec les éditeurs de presse, qui craignent la concurrence potentielle de la radio sur le terrain de l’information.»
Fort limité du côté de l’actualité – «pas plus de 2 ou 3 bulletins d’infos fournis par l’Agence télégraphique suisse (ATS) par jour» – le nouveau média s’épanouit alors dans les champs éducatif, culturel et spirituel. «C’est dans ce cadre-là que le culte protestant comme toutes les émissions religieuses vont disposer dès le départ d’une place privilégiée sur les ondes», analyse encore l’historien. «Dans la concession de la SSR de 1931, les Eglises sont même les seules institutions à être nommées », formule à son tour Marie Sandoz.
Si la retransmission de cultes à la radio semble être apparue comme une évidence chez les protestants romands, l’idée d’une messe radiodiffusée a été bien plus compliquée à faire admettre du côté catholique. «Les réticences ont été très fortes du côté du clergé catholique, qui craignait notamment que les fidèles ne désertent alors les paroisses par facilité ou paresse», explique André Kolly, producteur pendant plus de trente ans des messes et célébrations œcuméniques à la Radio et télévision suisse romande.
«Cependant, dès 1926 apparaissent sur les ondes des "causeries catholiques", soit une conférence d’un membre de l’évêché.» Et d’ironiser: «En terres réformées, il n’est d’ailleurs pas rare de voir cette émission religieuse sous le titre de "culte catholique"!»
De son côté, le pasteur genevois Vincent Schmid, rompu à l’exercice du culte radio en tant que pasteur de la Cathédrale Saint-Pierre, explique ce temps de méfiance par une différence toute théologique. «Tandis que pour les catholiques, la messe est avant tout liée aux sacrements (dont la communion et la bénédiction, par ex.), le culte réformé est quant à lui centré sur la prédication, qui est précisément du domaine de la parole; plus enclin de fait à être partagé par ce média», souligne-t-il.
Si les premiers cultes radiodiffusés se font dans l’intimité d’un studio, le pasteur souvent bien seul derrière son micro, l’envie de sortir prendre du son à l’extérieur ne manque pas de titiller les techniciens de la radio. André Kolly aime à rappeler cette anecdote rocambolesque survenue lors de l’enregistrement du premier culte radio en extérieur en 1926. «Toujours inventif, le technicien Roland Pièce (pionnier de la radio en Suisse romande, ndlr) avait demandé au pasteur de Bex de venir célébrer son culte de la mi-été sur le plateau d'Anzeindaz . Or ce dernier a loupé le train», raconte-t-il. «Pour s’en sortir, il a affublé les enfants d’une colonie de vacances de cloches autour du cou et il les a fait tourner autour du chalet pour pouvoir s’excuser s’excuser du retard à l’antenne pour cause de déplacement du troupeau.»
Tandis que les pasteurs réformés s’essaient sur ce nouveau terrain de prédication radiodiffusée, les catholiques romands se branchent dès 1936 sur Radio Luxembourg pour écouter «leur» messe. En France, la première messe radio a été inspirée par l’audition inopinée d’un culte, qui pourrait d’ailleurs fort probablement avoir été diffusé depuis Genève. «Alors qu’il est hospitalisé, le jeune abbé Jean Thurrel capte un culte "qui n’est pas de sa religion" (sic)», relate André Kolly. «Sa santé recouvrée, il se lancera dans la création d’une radio catholique... pour les malades.»
Au pays de la laïcité, cependant, la messe de Radio-Paris sera bientôt interdite, les catholiques français redirigés à leur tour sur la fréquence de Radio Luxembourg et sa désormais fameuse «messe des malades».
La situation bascule avec la Seconde guerre mondiale et la mise hors service par les Allemands des systèmes de communication. Frustrés par le silence de Radio Luxembourg, les catholiques romands se mobilisent, notamment avec l’intervention d’associations de malades, pour faire flancher les anciennes objections, au printemps 1940, en faveur d’une «messe pour les malades».
Cultes et messes sont depuis devenus de réelles institutions dans le paysage médiatique de notre pays. «Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Eglises étaient d’ailleurs les seules à ne pas devoir soumettre leurs textes à la censure préalable», rapporte Marie Sandoz.
«Au cours des années, le culte et la messe radio se sont encore perfectionnées, avec des prédicateurs de qualité, des apports musicaux importants et également des ouvertures sur le monde», commente André Kolly, évoquant tout particulièrement «les duplex instaurés avec des pays lointains par Michel Kocher, directeur du service protestant Médias-pro», ou encore les lignes téléphoniques ouvertes après la messe. «Il y a toujours eu des initiatives pour aller toujours un peu plus loin, pour solliciter l’auditeur d’une autre manière», conclut-il.
Et son confrère Michel Kocher d’appeler les Eglises à un certain réveil: «Elles n'ont pas réalisé que c'est un véritable "objet médiatique", qui mérite bien plus d'attention et de soutien de leur part. C'est un pilier de la présence protestante en Suisse romande. Si l’Eglise réformée de Suisse romande n’existe pas dans la réalité institutionnelle (puisqu’elles sont cantonales, ndlr.), elle existe de facto dans la réalité médiatique. Un capital à ne pas négliger.»
Et aujourd’hui, qui sont les auditeurs du culte radio?
Liliane Blanc, 77 ans, Vully
«A l’époque, un pasteur passait souvent me rendre visite. Aujourd’hui, comme ça n’est plus le cas, le culte radio est d’une grande aide pour moi», confie Liliane Blanc. Cette habitante de Vully (FR), âgée de 77 ans, est atteinte d’une maladie auto-immune qui la fatigue trop pour qu’elle puisse se rendre au temple. «Chaque dimanche, j’écoute ma radio avec une Bible à portée de main. Je note certains passages et en parle ensuite avec des amis, qui sont aussi de fidèles auditeurs».
Arlette Baertschi, 87 ans, Bernex (GE)
Pour Arlette Baertschi, 87 ans, le culte radio est une réelle compagnie. «Cela me rappelle chaque dimanche la présence de Dieu dans ma vie. Cette prédication qui vient à moi, c’est très important pour entretenir ma foi», confie cette ancienne secrétaire qui vit à Bernex (GE).
Sylvie Arnaud, 53 ans, Yverdon
«On parle de fidèles pour les paroissiens… Moi, je suis une fidèle du culte radio!», relève Sylvie Arnaud. La présidente du Synode de l’Eglise réformée vaudoise, domiciliée à Yverdon, «aime découvrir les différents styles des intervenants» et écoute le culte en podcast. «Pendant mon écoute, j’occupe ainsi mes mains à des activités routinières. Quant à la prédication, je l’écoute souvent deux fois.»
Elisabeth Barraud-Chappuis, 86 ans, Lausanne
«J’ai entendu un bruit bizarre, et puis ma radio n’a plus jamais voulu fonctionner!», se désole Elisabeth Barraud-Chappuis, 86 ans. La Lausannoise nous confie devoir absolument racheter un nouveau poste avant dimanche, car pour elle, «le culte radio est vital». Avouant noter les passages bibliques lus à l’antenne, cette dernière les relit alors paisiblement pendant la semaine.
Jean-Jacques Renaud, 95 ans, Lausanne
Jean-Jacques Renaud, ancien ingénieur électricien lui aussi domicilié à Lausanne, aime avant tout les chants proposés par l’émission centenaire. A l’époque très engagé au sein de la paroisse de Bellevaux, dont il a fait partie du conseil, ce veuf âgé de 95 ans, qui a trop de peine à se déplacer chaque dimanche, se dit «reconnaissant envers ceux qui rendent ces transmissions possibles».
Propos recueillis par Lucas Vuilleumier
Souvenir d’un pasteur féru de l’exercice
Le pasteur Vincent Schmid, longtemps membre de l’équipe pastorale de la cathédrale Saint-Pierre, témoigne quant à lui de l’enjeu que représentait à ses yeux cet exercice particulier: «Il ne faut pas se le cacher: le culte radio est la plus grande paroisse de Suisse romande. Et si j’ai toujours été très attentif à mes prédications, celles qui sont diffusées demandent un grand travail de pédagogie autour du message.» Un investissement largement récompensé par «des caisses entières» de courriers de remerciements - mais aussi de critiques. «C’était d’ailleurs plus intéressant de répondre aux reproches qu’aux félicitations», s’amuse-t-il.