Son Dieu est aussi maternel que paternel

Son Dieu est aussi maternel que paternel

Première femme à la tête de l’Église évangélique réformée de Suisse, la pasteure Rita Famos se bat pour plus de diversité à tous les étages de son institution.

Derrière les baies vitrées d’une maison de maître, située en face de l’ambassade du Congo à Berne, Rita Famos a les mains vissées sur une grande tasse de thé. Au siège de l’Église évangélique réformée de Suisse (EERS), dans son bureau élégamment décoré, la présidente de la faîtière protestante est entre deux rendez-vous. Ou peut-être entre deux trajets la menant vers une des Églises cantonales? «Chaque année, depuis ma prise de fonction, j’amortis très rapidement mon abonnement général», s’amuse-t-elle.  

Depuis son élection en 2020, Rita Famos, première femme à la tête de l’EERS, s’étonne chaque jour de voir la diversité fonctionner à plusieurs vitesses en Suisse. Car si elle a repris le siège de Gottfried Locher, poussé à la démission à la suite d’une plainte pour harcèlement déposée par une collaboratrice, Rita Famos est en butte à certaines critiques faciles souvent prononcées à l’égard de toutes les Églises chrétiennes.

«Je crois pouvoir dire que nous sommes une Église progressiste. Notre fonctionnement démocratique permet toujours aux meilleures idées de s’imposer. Et c’est ainsi que, depuis cinq cents ans, nous pouvons réagir aux changements dans la société.» Au placard, les mâles blancs de plus de 50 ans? «Je suis fière que notre Église prenne véritablement en compte le potentiel des femmes, et ce dans tous les cantons suisses, même s’il y a encore du chemin à faire», se félicite Rita Famos. Et de lâcher, dans un sourire: «Et nous aurons toujours besoin des hommes… Sinon, plus de diversité!»

Pas de Röstigraben

À l’aise en français, Rita Famos n’était pas aussi fluide dans la langue de Molière au début de son mandat: «Malgré ce merveilleux accent bernois, Rita a fait beaucoup de progrès depuis deux ans», salue Jean-Baptiste Lipp, président de la Conférence des Églises réformées romandes (CER). «Rita Famos est une femme de terrain et elle a à cœur de fédérer tous les réformés de notre pays», souligne le Vaudois. 

Ainsi, fendant facilement le Röstigraben, la présidente a notamment été étonnée de voir qu’à Neuchâtel, où l’État est séparé de l’Église, l’installation  d’Yves Bourquin à la tête de l’Église évangélique réformée du canton de Neuchâtel (EREN) avait malgré tout fait se déplacer tous les officiels. «J’ai également été ravie de voir l’interculturalité présente à Genève, où le culte donné par une pasteure d’origine africaine a rassemblé un public très mélangé.» Une réalité qui, de l’aveu de Rita Famos, n’est pas vraiment la même à Berne. 

À Zurich, en revanche, Rita Famos se félicite de la présence de nombreuses Églises issues de la migration. Pasteure et aumônière pendant presque une vingtaine d’années à Uster et dans le quartier de Zurich Enge, elle a notamment fait partie d’un comité pilote pour l’installation d’une aumônerie d’hôpital musulmane. «C’était une expérience magnifique, née de la collaboration entre protestants et catholiques, l’État et la faîtière des musulmans dans le canton de Zurich, se souvient-elle. Nous avons mis en place une formation afin que les musulmans puissent bénéficier d’un service d’aumônerie, et nous avons beaucoup appris les uns des autres.»

Des principes clairs

Domiciliée à Uster dans le canton de Zurich, où son mari, conseiller municipal, est responsable des Finances, Rita Famos y a également quelques souvenirs de pasteure. «Je ne pourrais pas diriger l’Église sans toutes ces expériences fondatrices», reconnaît-elle. Lui revient alors très vite en tête le service funèbre d’un jeune garçon, décédé d’une crise cardiaque. «En tant que mère, organiser des funérailles pour un enfant est intolérable. Mais jusqu’à aujourd’hui, je suis restée en contact avec la mère de ce garçon. Il semble que je l’ai bien accompagnée dans son deuil», déclare-t-elle avec émotion. «À chaque fois que nous nous croisons, à Uster, nous nous retrouvons comme des amies.»

Veronika Brandstätter, professeure de psychologie de l’Université de Zurich et amie de Rita Famos depuis près de vingt ans, reconnaît elle aussi à la présidente de grandes qualités humaines. «Sa très grande attention aux autres en a fait pour moi une vraie sœur d’âme», dit-elle émue. Ces deux mères ayant toujours travaillé à 100% se sont souvent aidées pour garder leurs deux enfants, quand leurs fils étaient camarades de classe. «Je suis très fière de son parcours. Et si Rita est parvenue où elle est aujourd’hui, je crois que c’est avant tout grâce à la clarté de ses principes.»

Dieu le Père?

Élevée par une mère aimante employée dans l’administration d’une usine de papier, Rita Famos n’a jamais connu son propre père. Elle est la seule d’une fratrie de trois enfants à avoir fait des études universitaires. «C’est grâce à la théologie féministe que j’ai pu travailler sur cette notion d’un Dieu aussi maternel que paternel, moi qui n’ai pas eu de figure masculine de référence», avoue Rita Famos. L’homme de sa vie, c’est Cla Famos, professeur titulaire de théologie à l’Université de Zurich, rencontré pendant ses études. 

«Mon mari et moi avons le même souci d’une spiritualité quotidienne», souligne Rita Famos, qui semble alors remettre sa casquette de présidente en insistant sur l’importance du culte et d’une vie de foi partagée avec les autres: «Vous aurez toujours besoin d’un voisin qui prie ou chante pour vous et avec qui vous pouvez discuter et développer les questions de foi.»

Enfin, en ce début d’année 2023, elle se permet de souhaiter aux réformés de «garder de l’espérance». Et à ceux qui ne croient pas en Dieu? «L’espérance n’est pas uniquement religieuse. Mais je leur dirais surtout de ne pas être individualistes et de prendre leurs responsabilités pour s’engager dans la société.»

BIO EN DATES

1966 Naissance à Zweisimmen dans le canton de Berne.

1985-1992 Démarre ses études de théologie, à l’Université de Berne puis à Richmond (Virginie) aux États-Unis et à Halle, RDA.

1993 Devient pasteure de la paroisse d’Uster jusqu’en 2005,  puis de celle de Zurich Enge (2005-2011).

1996 Naissance de son premier enfant, avant le deuxième en 1997.

2011 Participe à la direction de la formation au sein des Églises réformées suisses alémaniques (jusqu’en 2013), puis est nommée directrice de l’aumônerie à l’Église évangélique réformée du canton de Zurich.

2020 Devient la première femme élue à la tête de l’Église évangélique réformée de Suisse (EERS).