Sans Bolsonaro, les évangéliques du Brésil peuvent se réinventer
Depuis que Luiz Inácio Lula da Silva a battu Jair Bolsonaro au second tour de l'élection présidentielle brésilienne, le 30 octobre, les internautes de gauche publient à tout-va sur les réseaux sociaux des vidéos réalisées quelques jours avant le vote dans lesquelles des pasteurs évangéliques bolsonaristes présagent de sa réélection. Les messages sont souvent accompagnés de la légende «profetizou errado» (il a mal prophétisé).
Ces posts sont une provocation claire contre les dirigeants pentecôtistes et néo-pentecôtistes qui ont apporté un soutien inconditionnel à Jair Bolsonaro depuis la campagne électorale de 2018. Au cours des derniers mois, les pasteurs de grandes églises ont non seulement ouvert leurs portes au président d'extrême droite et à ses alliés, mais ils ont aussi utilisé toutes les ressources à leur disposition pour convaincre leurs fidèles de voter pour lui. Sans oublier le recours aux plus basses, à savoir les fake news, la panique morale et les théories du complot.
Silas Malafaia, chef de l'Assemblée de Dieu Victoire en Christ, a prêché dans les temples et sur les réseaux sociaux contre Lula pendant des mois. Dans une vidéo publiée le 14 octobre, cet allié parmi les plus fidèles de Bolsonaro a accusé le Parti des Travailleurs (PT) de Lula de planifier «l'érotisation des enfants dans les écoles»: les membres du PT défendent historiquement l'éducation sexuelle dans les écoles et l'enseignement du respect de la diversité sexuelle. «La Bible dit que le père du mensonge est le diable et je crois que Lula est un enfant unique», a-t-il alors déclaré. «Je veux, au nom de Jésus, réprimander cet esprit de mensonge!»
La forte alliance des évangéliques avec Jair Bolsonaro a poussé de nombreux fidèles d'autres courants politiques à quitter leurs Eglises. De nombreuses situations d’embarras et de préjudices ont été rapportées aux quatre coins du pays. Avec cet échec électoral, de nombreux chrétiens espèrent qu’il y aura une reconfiguration du pouvoir dans le milieu évangélique brésilien. «Ces dirigeants ont impliqué Dieu dans leur quête de pouvoir et ont donné à leur position politique une nature divine. Ils sortent de cette élection très démoralisés», formule le pasteur baptiste Ariovaldo Ramos, qui coordonne un front d'évangéliques progressistes.
Selon Ariovaldo Ramos, de nombreux fidèles vont commencer à chercher d'autres dirigeants, ce qui entraînera des divisions et des conflits internes dans les grandes Eglises qui ont rejoint le bolsonarisme. Même analyse du côté de Valéria Vilhena, théologienne pentecôtiste et docteur en éducation, qui souligne qu'un véritable processus de cooptation de larges secteurs évangéliques a été engagé avec le bolsonarisme.
«C'est triste qu'ils en soient arrivés là à cause de lectures théologiquement erronées, extravagantes, littéralistes et décontextualisées de la Bible», exprime-t-elle. Cela a généré, dit-elle, un abattement social des évangéliques, qui ont fini par porter la culpabilité d'avoir élu Jair Bolsonaro, bien que d'autres segments de la population non religieux l'aient également soutenu.
Valéria Vilhena coordonne un groupe appelé «Evangéliques pour l'égalité des genres», qui offre une formation politique et théologique aux femmes chrétiennes. Elle est d’avis que le gouvernement Lula permettra l'expansion des activités du groupe. «Nous aurons un environnement plus démocratique et plus sûr pour discuter de ces questions. Ces dernières années, on avait même peur de porter une chemise rouge (associée à la couleur du PT, ndlr.)», raconte-t-elle. Avec le pasteur Ariovaldo Ramos, ils sont convaincus que leurs groupes sauront offrir aux évangéliques mécontents de l'adhésion de leurs Eglises au bolsonarisme un nouveau chemin de foi et de communion.
Restent cependant des incertitudes quant à la façon dont le monde évangélique réagira au départ de Bolsonaro. Le pasteur Juarez Marcondes, un membre éminent de l'Eglise presbytérienne brésilienne, rappelle que les candidats avaient une très petite différence de voix (Lula avait 50,9%, Bolsonaro 49,1%) et que de nombreux politiciens conservateurs et chrétiens ont été élus au Congrès et aux gouvernements des États. «Le premier tour de l'élection a révélé que nous avons une société conservatrice. Si le président n'a pas été réélu, c’est uniquement parce que sa figure suscite l'antipathie d'une partie de l'électorat», argumente Juarez Marcondes.
Son Eglise avait deux ministres dans le gouvernement Bolsonaro et, pour de nombreux chrétiens de gauche, il été clair que celle-ci adhérait au bolsonarisme. Le pasteur nie cette accusation, affirmant que les presbytériens invités à rejoindre le gouvernement l'ont fait individuellement et non sous la pression de l'Eglise.
Juarez Marcondes ne pense pas que Lula persécutera les chrétiens au Brésil, comme l'ont prédit de nombreuses fake news diffusées pendant la campagne. Toutefois, il avertit que le nouveau gouvernement devra écouter cette partie de la société qui ne l'a pas soutenu électoralement. «Cette conciliation potentielle dépendra sera davantage du ressort du nouveau président que des Eglises. Il faut qu'il comprenne que ces chrétiens conservateurs représentent une large partie de la population et qu'il doit faire un geste de rapprochement», renvoie-t-il.
Lula a remporté l'élection avec un large front, composé de son parti de gauche et de partis du centre et de droite. Francisco Borba Ribeiro Neto, coordinateur du Centre Foi et Culture de l'Université pontificale catholique de Sao Paulo, souligne que le dialogue avec les Eglises évangéliques ne devrait pas être de la responsabilité du PT, mais d'autres groupes politiques du front de Lula. «Si cette relation est bien gérée et que le gouvernement remporte un certain succès dans le domaine économique, Lula pourrait réintégrer les évangéliques dans ses rangs, considérant que plusieurs de ces groupes l'ont soutenu dans ses mandats précédents entre 2003-2010», analyse-t-il.
Francisco Borba Ribeiro Neto ne considère pas que les évangéliques perdraient ou assoupliraient leurs valeurs s'ils rejoignaient le gouvernement Lula, mais plutôt qu'ils cesseraient de chercher à les exprimer politiquement. «Ils reviendraient à vivre de telles valeurs uniquement sur le plan personnel et culturel», argumente-t-il. De son côté, Valeria Vilhena se dit prête à collaborer de toutes les manières possibles. «Je vais travailler dur pour que de plus en plus d'évangéliques puissent quitter ces dirigeants qui les manipulent politiquement», conclut-elle.