L’Europe moins chrétienne que l’Afrique?
Cela fait plus de trente minutes que Michel, debout devant son véhicule dans lequel femme et enfants ont pris place, attend patiemment que se vide la salle de l'église. Nous sommes dimanche aux abords d'un église catholique de la ville de Yaoundé, capitale du Cameroun. Ici les cultes se succèdent les uns après les autres et pour ce jour il faut en compter jusqu’à quatre.
Michel 40 ans, catholique pratiquant, a pris ses habitudes avec le second office. La patience est de mise: comme chaque dimanche, les cultes attirent une foule immense.
Ça y est, trente-cinq minutes plus tard, d'un geste il demande à sa famille de sortir du véhicule afin de rejoindre enfin le lieu du service. Pas de minutes à perdre, il faut vite trouver des places pour s'asseoir. La salle est prise d'assaut par des fidèles: hommes, femmes, jeunes et moins jeunes. Au bout d'une heure, plus de places assises. Une ambiance à faire pâlir d'envie ses collègues de l'Occident, où la désaffection des lieux de cultes frappe de plein fouet les Eglises traditionnelles qui voient inéluctablement les salles se vider dimanche après dimanche. En Suisse par exemple, l'Eglise catholique a perdu en 2019 plus de 30 000 de ses membres selon l'Institut suisse de sociologie pastorale de Saint-Gall, un record en la matière.
Nous retrouvons Michel à la sortie du culte. L'Europe, il connaît pour avoir pris l'habitude de s'y rendre dans le cadre des missions professionnelles. Il a pu constater, lors de ses différents passages, cette désaffection des lieux de cultes par les chrétiens des Eglises traditionnelles. Son regard sur cet état de fait? «Je crois fortement que le niveau de confort et de richesse en Occident est un facteur qui explique ce désamour. Quand quelqu'un atteint un seuil d'aisance matérielle, il lui devient difficile de se préoccuper des choses de Dieu», formule-t-il. Et d’expliciter: «Il est compréhensible qu’en évoluant dans un environnement de bien-être matériel, l'être humain veuille se sentir pousser des ailes d'indépendance vis-à-vis de son créateur. Ce sont les mêmes qui abandonnent les églises mais remplissent les restaurants, les salles de spectacles et les stades de foot le dimanche.»
Kinshasa, la capitale de la république du Congo démocratique, est réputée pour la prolifération d’églises au kilomètres carré. Qu'elles soient de courants traditionnels, évangéliques ou encore africaines, Dieu est présent partout dans les rues où il n'est pas rare de croiser des chrétiens qui sèment la bonne parole tout azimuts en évangélisant.
Ruth Ngangoy est enseignante et, comme tous les vendredis, elle profite de sa pause pour prêcher la bonne nouvelle non loin de son travail. Il y a six mois, elle était encore membre de l'Eglise presbytérienne africaine de Kinshasa. Depuis peu, elle a fait le grand saut et rejoint une Eglise évangélique, un courant en plein essor dans le pays et qui recrute massivement parmi les fidèles des Eglises traditionnelles. La désaffection des églises par les occidentaux, elle sait de quoi il en retourne: elle dit en parler souvent avec quelques membres de sa famille vivant à Bruxelles.
Pour elle, ce désintérêt «illustre les derniers temps dont parle la Bible et au cours desquels les gens vont abandonner la foi pour s'attacher à des esprits séducteurs et à des doctrines de démons». Elle en veut pour preuve «ces chrétiens qui délaissent les lieux de cultes et se font enrôlés dans des sectes ou des groupes spirituels aux fondements douteux».
Ruth Ngangoy renvoie également à la responsabilité des ministres du culte, qui ne font à ses yeux pas toujours le travail. «Dans un environnement essentiellement capitaliste et individualiste, même les prêtres et les pasteurs ne trouvent plus de temps pour leurs ouailles», pointe-t-elle. «Combien s'inquiètent-ils de l'absence de tel ou tel autre aux réunions de prières? La nature ayant horreur du vide, les gourous et autres propagandistes de fausses croyances trouvent ainsi un terrain fertile. Car si les chrétiens occidentaux se détournent des lieux de cultes, c'est bien parce qu'ils vont ailleurs», estime-t-elle.
Rodolphe Biket est à la tête d'une entreprise qui excelle dans le marketing digital. Installé dans l'un des quartiers huppé d'Abidjan, il se réjouit de sa nouvelle identité de chrétien baptisé à l'Eglise méthodiste de Côte d'Ivoire. Une bataille pour laquelle sa maman était continuellement au front, se souvient-il. En effet, de Dieu, il ne voulait pas en entendre parler, jusqu'au 24 du mois de septembre dernier où il se décide à franchir le pas et entrer pour la première fois de sa vie dans une église. Depuis lors, il ne manque aucune réunion organisée par son Eglise.
A propos de la désaffection des lieux de cultes par les chrétiens occidentaux, il ne cache pas sa confusion. «Ce sont pour l'essentiel leurs ancêtres qui sont venus avec l'Evangile dans la plupart de nos pays», s’étonne-t-il. «Je trouve cela incompréhensible qu'en tant que petits ou arrières petits-fils, ils ne s'inscrivent pas sur les pas de leurs ancêtres.»
Cette prise de distance est d'après lui renforcée par la séparation entretenue entre le religieux et le politique dans les pays occidentaux. Plusieurs d’entre eux ont en effet relégué la foi à la sphère privée, donnant par contre libre cours aux discours qui au quotidien banalise le sacré au sein des sociétés, explique-t-il. «Malheureusement, l'évolution socio-politique a fait naître des courants et des lignes d'idées , de pensées qui ont fortement contribué à saper la foi de plusieurs chrétiens en Occident», déplore-t-il. Et d’asséner: «Si vous ne voulez pas de Dieu dans vos administrations, vos écoles, dans vos institutions, alors pourquoi voulez-vous que les gens viennent le chercher les dimanches dans les églises?»
Même avis du côté de Ruth Ngangoy, pour qui la liberté religieuse se révèle un concept pervers, à l'origine du tout permis et du tout spirituel. «Dans un univers où l'on peut croire à tout, bien souvent on finit par ne plus croire à rien du tout», déplore-t-elle.