Églises réformées: une théologie 100% queer
Les Eglises réformées de Suisse militeraient-elles pour le queer? C’est en tout cas l’impression que donne la conjonction, cet automne, de trois actualités allant dans ce sens, à commencer par la «Conférence Femmes de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS)», qui a décidé de consacrer sa rencontre annuelle, le 31 octobre à Berne, aux «identités de genre en Eglise». Mais encore: le 17 novembre, la Société vaudoise de théologie organise à l’Université de Lausanne une après-midi d’études, baptisée «Extravagantes bénédictions?», qui réunira plusieurs théologiens et drag-queens pour discuter de «l’accompagnement nuptial des personnes LGBTQI +». On notera également la publication de Théologie queer aux éditions genevoises Labor et Fides et celle de l’étude «Transgenrisme et christianisme», signée Olivier Moos, chargé de recherche à l’Institut Religioscope de Fribourg.
Mais qu’entend-on par transgenrisme? Le terme renvoie à toute personne présentant une identité de genre inattendue par rapport à son sexe biologique. On parle également de personnes queers quand l’orientation ou l’identité sexuelles ne correspond pas aux modèles dominants: l’homme et la femme. Dans son livre Théologie queer, l’Américaine Linn Marie Tonstad assène même que «ce n’est en aucun cas la morphologie génitale qui détermine le genre».
Selon la pasteure zougoise Irene Schwyn, qui prendra la parole à la Conférence Femmes, «les efforts en direction de l’inclusivité, dans nos milieux d’Eglises, se sont presque exclusivement concentrés sur les personnes homosexuelles». Aujourd’hui, il semble primordial à de nombreux théologiens et ministres réformés de manifester leur ouverture aux personnes non binaires, trans, genderqueer, de genre fluide ou agenres. Selon la théologienne Joan Charras Sancho, qui interviendra à l’Université de Lausanne, ces minorités représenteraient «environ 15% de la population».
L’accueil inconditionnel, chez les réformés, verserait-il dans l’activisme? Manifestement ouverte sur les questions d’inclusivité, la faîtière des Eglises réformées prétend «accueillir spirituellement et théologiquement toutes les identités de genre», comme l’explique sa présidente Rita Famos. Selon la pasteure, «certaines Eglises membres ont récemment créé des postes dans lesquels des personnes ayant des identités de genre minoritaires sont invitées à réfléchir, en tant que croyantes, à leur place dans l’Eglise réformée».
Mais cela ne plaît pas à tout le monde. Selon Joan Charras Sancho, le progressisme n’est en effet pas une réalité pour l’ensemble des réformés: «Notre pluralisme implique une multitude de courants, dont certaines franges plus évangéliques, encore réfractaires à ce genre de questions.» Le chercheur Olivier Moos semble plutôt de cette trempe-là. Dans son étude, il parle d’une «institutionnalisation du wokisme», une tendance qui serait venue des Etats-Unis, où «un grand réveil militant» provoquerait selon lui un phénomène d’«utopie égalitariste». Toutefois, pour Rita Famos, les démarches entreprises par l’EERS viseraient uniquement à «placer la diversité des sensibilités sexuelles et des représentations corporelles dans un rapport positif avec le christianisme».
Chez les théologiens réformés, il semble ne plus faire de doute que les représentations de l’homme et de la femme, qu’Irene Schwyn dit être «formatées culturellement et trop limitantes», doivent désormais être repensées. Selon eux, une relecture des textes permettrait d’ailleurs de légitimer la place des queers dans la communauté de foi.
Pour Ari Lee, ex-pasteur mennonite et drag-queen qui sera présent à l’Université de Lausanne, «Dieu a créé l’être, les humains ont créé le reste tout seuls». Même son de cloche du côté de Christophe Chalamet, professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Genève, selon qui «les créatures voulues par Dieu s’avèrent être bien plus complexes, en ce qui concerne leur sexualité et leur genre, que les schémas binaires» prônés jusqu’à aujourd’hui. Pour Mathias Wirth, professeur de théologie systématique référent de l’EERS, la Bible fait bien mention de «la création de l’humain en tant que masculin et féminin, mais il n’y est pas affirmé qu’il ne puisse en être autrement».
Dans son livre Théologie queer, la professeure de l’Université de Yale avance encore que «Dieu est la différence au-delà de la différence». Mettant l’accent sur l’importance de sortir les représentations divines de toute binarité, elle prétend que «le christianisme, bien compris, est une transgression de frontières». Et d’ajouter: «Les chrétiens croient en un Dieu qui abolit tous les binaires.»
La figure de Jésus, «cet homme déconstruit qui accueille les opprimés de tous les groupes sociaux», comme le relève Joan Charras Sancho, est d’ailleurs abondamment citée par la théologie queer comme exemple d’inclusion totale. De par son existence, «il vient perturber un certain nombre de normes sociales et culturelles, comme la famille», commente encore Christophe Chalamet.
Le christianisme doit-il donc faire du queer l’un de ses combats? Selon Joan Charras Sancho, c’est une évidence, puisque «le christianisme a été le premier mouvement mondial d’intersectionnalité» (convergences des discriminations, ndlr). Pour Christophe Chalamet, pas de doute non plus: «Il est résolument queer, parce que des chrétiens queers s’en réclament et le vivent.»