Rita Famos vise la présidence de l’Église évangélique réformée de Suisse

Rita Famos vise la présidence de l’Église évangélique réformée de Suisse

Candidate officielle à la présidence de l'Église évangélique réformée de Suisse depuis le mois de septembre, Rita Famos dévoile aujourd’hui ses aspirations. Interview.

Pasteure depuis près de vingt ans, la bernoise Rita Famos a non seulement fait partie du Synode de l’Église réformée zurichoise (organe délibérant) pendant sept ans, avant de rejoindre l’exécutif de la Fédération des Églises protestantes de Suisse, devenue l'Église évangélique réformée de Suisse (EERS) en janvier dernier. Cette femme d’Église est aussi passé par la case médias. Entre 2009 et 2011, elle a animé l’émission «Wort zum Sonntag» à la SRF de 2009 à 2011.

Aujourd’hui, Rita Famos brigue la présidence de l’EERS. En concurrence avec la candidate romande Isabelle Graesslé, la candidate alémanique explique ses motivations. Elle dévoile également ses positionnements théologiques, son opinion face à l’affaire Gottfried Locher (président démissionnaire de l’EERS), au mariage pour tous ou encore aux prochaines votations sur les multinationales responsables.

 

Pourquoi convoitez-vous la présidence de l'Église évangélique réformée de Suisse?

L'Église réformée me tient beaucoup à cœur. Je m'y suis engagé depuis ma jeunesse. Au fil de mes expériences, j'ai acquis les outils nécessaires à la fonction de présidente: en 18 ans un ministère pastoral, j’ai appris à connaître la «base» de l'Église. En tant qu'ancienne membre du Conseil de la Fédération des Églises protestantes de Suisse (ancêtre de l’actuelle EERS), je suis familière du pouvoir exécutif. Je connais aussi le parlement de l’Église, puisque j’ai présidé le Synode de l’Église zurichoise. En outre, je dirige aujourd’hui un service de 100 employés. J'ai de bonnes relations avec le milieu de l'œcuménisme, mais aussi avec les médias. Autant d’expériences que je souhaite mettre à disposition de l'EERS.

Au-delà de vos qualifications, qu'est-ce qui vous attire dans cette fonction, au sein d’une institution actuellement dans la tourmente.

Il est vrai que les événements autour de la démission de Gottfried Locher ont ébranlé l'EERS. Mais c'est précisément dans cette situation que je souhaiterais apporter ma contribution. J’aimerais donner à cette Église un visage moderne, défendre une Église dans laquelle les femmes et les hommes sont égaux, une Église aux voix multiples et diversifiée. L'EERS a posé la première pierre avec une nouvelle constitution, entrée en vigueur le 1er janvier 2020. Il faut maintenant la remplir de vie.

Concrètement, que proposeriez-vous résoudre la crise de l'EERS?

Il faut utiliser les espaces créés par la nouvelle constitution. Nous pourrions par exemple organiser un synode afin de définir plus clairement les futurs champs d'action de l'Église Ces derniers ne pourront pas être définis seulement par le président ou par le Conseil, mais bien dans un processus de recherche auquel les Églises membres sont invitées à participer. Si j'étais présidente, j’établirais une nouvelle culture.

Et comment?

Mon agenda sera littéralement ouvert, accessible à tous. C’est ainsi que nous fonctionnons à l'Église de Zurich, ainsi il est toujours possible de savoir qui est impliqué et sur quoi chacun travaille. J'apprécie beaucoup cette visibilité. D'un autre côté, j’utilise l’image de l’«agenda ouvert» comme une métaphore. L'instauration de la confiance est centrale dans la situation actuelle. Il me semble important que les gens sachent quelles sont mes intentions et quels projets je souhaiterais faire avancer.

Des voix s'élèvent aujourd'hui pour réclamer une restructuration de l'EERS. Les idées vont d'une présidence tournante, à l’instar du Conseil fédéral à un renforcement de la présidence en place. Que pensez-vous de ces idées?

J'ai une opinion très claire à ce sujet: nous avons consacré près de 15 ans de travail à cette nouvelle constitution. Elle a été adoptée à la quasi-unanimité et n'est en vigueur que depuis dix mois. Il serait fatal de tout jeter par-dessus bord maintenant et tout recommencer. Nous n'avons pas besoin d’une nouvelle structure, mais d'une nouvelle culture. Donnons donc d'abord une chance à la constitution. Au bout de deux ou trois ans, nous pourrons voir si des ajustements sont nécessaires.

Le Conseil est-il suffisamment fort pour assumer sa part du leadership, telle que prévue par la constitution?

Une chose est claire: il y aura un nouveau président et un nouveau membre du Conseil. Cela va certainement créer une nouvelle dynamique. Pour ma part, j'aimerais beaucoup renforcer et responsabiliser les différents membres du Conseil, afin qu’ils puissent aussi rendre public les champs d’action dans lesquels ils sont actifs. Ma conception du leadership n'est pas que de décider seule, mais que les choses soient élaborées de manière participative.

La crise de l'EERS a commencé avec la plainte déposée contre Gottfried Locher pour comportements abusifs. Cette plainte, ainsi que la manière dont le Conseil l'a traitée, feront l'objet d'une enquête. Les mesures prises jusqu'à présent vous semblent-elles suffisantes?

J'ai un bon pressentiment à ce sujet. Tous les éléments nécessaires à une enquête menée en bonne et due forme ont maintenant été réunis. Le fait que les délégués du Synode de l’EERS aient mis en place une commission d’enquête pour les personnes concernées est positif. C'est très important: aucune femme ayant subi un abus sur son lieu de travail ne contactera directement les membres du Synode. C'est pourquoi l’anonymat est nécessaire.

Vous avez vous-même été membre du Conseil sous la présidence de Gottfried Locher de 2011 à 2014. Que dites-vous à ceux qui vous considèrent comme inéligible, parce que vous pourriez être impliquée dans l'enquête?

Je suis heureuse que vous souleviez ce point, car cette objection m’a déjà été soumise. Je tiens à dire qu’il n'y a eu aucune preuve de faux pas pendant mon mandat au Conseil. Néanmoins, il est juste qu’une enquête ait été faite et soit aussi portée au Conseil. Je n'ai rien à cacher. Tous ceux qui me connaissent savent que pour moi, il y a aucune tolérance en ce qui concerne les comportements abusifs.

Revenons à vous personnellement. Quel a été votre parcours de chrétienne?

J'ai grandi dans une paroisse réformée classique, avec l'école du dimanche, l'enseignement confessionnel et une foi façonnée par le piétisme bernois. Pendant ma jeunesse, j’ai appris que la foi était en rapport avec la vie quotidienne. L'activité diaconale ou la lecture quotidienne de la Bible sont tout à fait normales pour moi. Elles me façonnent encore aujourd'hui. Au cours de mes études, j’ai découvert la théologie libérale à la théologie féministe, qui sont également importantes pour moi.

Gottfried Locher a souvent recherché le contact avec les courants évangéliques et les Églises libres, ce qui lui a valu éloges et critiques. Où en êtes-vous surs cette question?

Je suis toujours en contact avec des familles et des amis de jeunesse qui sont membres d'Églises libres. Nous avons de très bonnes relations même si, théologiquement, je viens d’un endroit différent. Je connais leur langage et leur piété, j'en ai une approche familière, mais non dépourvue de sens critique. J'attesterais donc ici de ma compétence à construire des ponts entre les différentes communautés.

L'année dernière, l'EERS s'est prononcé en faveur du mariage pour tous. Ce processus s'est accompagné d'une guerre de tranchées féroce, montrant combien il était difficile de réunir les courants évangéliques et libéraux sous un même toit. Que pensez-vous de ce débat?

D'une part, c'est notre force que d'être une Église à plusieurs voix, une Église pour tout le peuple. Cela signifie que sous notre toit, il y a de la place pour une vaste gamme théologique et nous devons supporter le fait qu'il n'y ait pas d'«unité de doctrine». D'autre part, c'est précisément de cet état de fait que se pose la question de savoir comment traiter les opinions minoritaires. Dans le cas du mariage pour tous, par exemple, nous n'avons pas encore clarifié la question.

Que voulez-vous dire?

Prenons pour exemple quelqu'un appartienne à une Église cantonale membre et penserait que l'homosexualité est un péché. Je lui dirais alors: «Prenons un verre ensemble», et je lui expliquerais pourquoi j'arrive personnellement à une conclusion différente, basée sur l'Évangile. Malgré nos différences, nous sommes membres de la même Église. Mais la situation est différente lorsqu’un pasteur s'exprime de cette manière. Les gens peuvent être blessés. Les Églises cantonnales doivent examiner attentivement la manière dont elles traitent leurs ministres. En fait, il me semble que, ainsi, nous évitons une controverse. Si vous voulez être une Église à plusieurs voix, alors vous confronter à ces sujets et en débattre - comme c’était le cas lors des disputes de la Réforme.

Êtes-vous personnellement en faveur du mariage pour tous?

Si deux personnes veulent partager la vie l'une de l'autre et désirent le promettre devant Dieu et leurs proches, alors je mènerais certainement à bien une telle célébration. Peu importe qu'il s'agisse de bénédictions comme maintenant ou que nous soyons autorisés à organiser des mariages à un moment donné.

La question des multinationales responsables soumise au vote le 27 septembre prochain est aussi une question qui préoccupe l’Église. Le principal point de discorde n'est pas tant le sujet en lui-même, que de savoir comment l'Église compte s’impliquer.

Notre mission fondamentale est d'être proche des gens, une proximité qui nous permet de remarquer des problèmes personnels et structurels. Il nous appartient alors de les nommer et d'apporter des solutions à la lumière de notre culture chrétienne. C'est ce qui a été fait par nos œuvres d'entraide sur la question de la responsabilité des entreprises, et j'en suis très fière. Cependant, nous devons rester indépendants. Une Église n’est ni un parti politique ni une organisation lobbyiste.

Revenons à votre candidature. Vous vous présentez pour la deuxième fois à la présidence. Comment se déroule la campagne électorale?

Très bien, à mon avis. La deuxième candidate, Isabelle Graesslé, et moi-même sommes toujours invitées ensemble aux auditions, ce qui est bien sûr passionnant, car nous écoutons toujours ce que l'autre candidate répond aux questions des délégués. Je pense que c'est une procédure très ouverte, équitable, et j'en suis très heureuse.