Église réformée Suisse: commission d’enquête pour dossier épineux
L’année 2020 aurait dû marquer le 100e anniversaire de la Fédération des Églises protestantes de Suisse (FEPS) et sa transformation en Église évangélique réformée de Suisse (EERS). Le coronavirus et la démission du président du Conseil (exécutif) de l'EERS Gottfried Locher, mis en cause dans une affaire de harcèlement, ont donné un sérieux coup de frein aux festivités. Bien que déjà complexe à gérer, cette dernière affaire s’est encore obscurcie lorsque l’on a appris que Sabine Brändlin, membre de l'exécutif en partie en charge du dossier qui avait démissionné en avril pour des raisons personnelles, l’avait fait parce qu’elle avait entretenu une relation d’ordre privé avec l’intéressé. À cela se sont encore ajoutés les témoignages d’autres femmes qui ont voulu souligner le comportement souvent inadapté de l’ancien président avec la gent féminine. Bref, de quoi alimenter les choux gras de la presse, principalement alémanique, engendrant imprécisions et spéculations. «Même si nous avons tout de même pu observer un certain rayonnement des Églises en période Covid, c’est comme si nous avions vécu une véritable éclipse avec cette crise», a introduit en début de session Pierre-Philippe Blaser, membre du Conseil de l’EERS et président du Conseil de l’Église réformée fribourgeoise.
Afin de pouvoir gérer au mieux ce dossier qui secoue l’ensemble de l’institution, le Synode (organe délibérant) de l’EERS a donc décidé de mettre sur pied une commission temporaire. Elle a pour mission de garantir l’enquête externe menée par l’étude d’avocats mandatés par le Conseil de l’EERS. Parmi ses tâches: déterminer si les reproches à l’encontre de l’ancien président sont justifiés, savoir si des mesures de protection adaptées existaient durant la période concernée et/ou si elles ont été mises en place par la suite. La manière dont le Conseil a traité la plainte sera également à prendre en compte.
Après discussion, il a été accepté que des membres qui ne soient pas délégués au Synode puissent faire partie de cette commission, surtout si leur domaine d’expertise est pertinent. Cette décision concernait le cas particulier de la présidente de la conférence des Femmes protestantes en Suisse Gabriella Allemann. «Si quelqu’un est qualifié pour participer à cette commission, c’est bien elle qui connaît le dossier. Elle a notamment organisé des discussions en lien avec les débats engendrés par le mouvement #MeToo. Cela contribue également à renforcer notre crédibilité envers l’extérieur et les médias», a souligné Andreas Zeller, président du Conseil des Églises réformées Berne-Jura-Soleure.
Gabriella Allemann a donc été élue aux côtés de Rolf Markus Berweger (ZG), Corinne Odile Duc (ZH), Barbara Hirsbrunner (GR), Roland Stach (BEJUSO), Lars Syring (AI/AR) et Marie-Claude Ischer-Wagner, présidente de l’Église réformée vaudoise, qui prendra également la même casquette au sein de la commission. «Nous vous remercions pour la confiance témoignée. Nous allons nous mettre au travail avec rigueur et honnêteté pour répondre au mandat que vous nous avez confié», a-t-elle communiqué aux délégués.
Le travail de la commission s’étendra de septembre 2020 à juin 2021. Elle rendra son rapport au Synode d’été 2021. Elle analysera le rapport d’enquête externe de l’Étude d’avocats Rudin Cantieni, en tirera les conclusions nécessaires et soumettra ses propositions au Synode le cas échéant.
C’est un soulagement pour le Bureau du Synode, qui était jusqu’ici seul en charge du dossier. Pour ses membres, les derniers mois ont été plus qu’éprouvants et ont grandement surchargé leurs emplois du temps.
«L’affaire» a également eu des répercussions financières, qui ont demandé à être clarifiées par plusieurs délégués. En effet, depuis janvier, pas moins de 200'000 francs ont été dépensé en frais d’avocats, de communication et de traduction. Une grande partie des frais juridiques de la plaignante ont été pris en charge. De plus, l’ancien président bénéficie d’une indemnité de licenciement suite à un arrangement entre parties qui reste confidentiel. Conscient que le Conseil a agi dans l’urgence afin de préserver les intérêts supérieurs de l’EERS, Christophe Weber-Berg, président du Conseil de l’Église d’Argovie s’est dit surpris du montant des dépenses. «En faisant mes calculs, cela voudrait dire que les bureaux d’avocats ont travaillé plus de 300 heures sur ce cas, tout comme les services de communication. Il est légitime de se poser la question de ce qui se cache derrière cette somme.» Il a notamment invité le Conseil à être aussi transparent que possible afin d’éviter toute méprise sur la question.
Une transparence qui a également été demandée par le délégué des Églises réformées Berne-Jura-Soleure Christoph Knoch. À l’heure des questions, il a interpellé le Conseil sur les nombreux courriers de sorties d’Église qui se basent sur la démission de Gottfried Locher. Cette problématique n’est pas prise à la légère par le Conseil, qui comprend que la crise actuelle ait engendré de la méfiance et qui fait tout pour maintenir le dialogue en clarifiant les faits, en étant attentif, professionnel et surtout transparent.
Soutien en faveur des réfugiés de Moria
Profondément affectés par la détresse des réfugiés du camp de Moria, sur l’île de Lesbos, le Synode (organe délibérant) et le Conseil (exécutif) de l’Église réformée de Suisse en appelle à un acte d’humanité. Les incendies qui ravagent l’île ont délogé une grande partie des 12'000 personnes qui vivaient déjà dans des conditions déplorables dans un camp conçu à la base pour un quota de 3000.
Bien que les responsables de l’Église réformée de Suisse saluent l’action humanitaire rapide du Conseil fédéral suite aux incendies, ils estiment que le pays peut en faire plus. Afin de parer au plus pressant, ils demandent aux instances politiques l’évacuation rapide vers la Suisse de mineurs non-accompagnés et de personnes particulièrement vulnérables. De plus, ils souhaitent que le Conseil fédéral mette tout en œuvre pour accueillir le plus grand nombre de personnes possible en Suisse avec une prise en charge adaptée, un hébergement et une procédure d’asile équitable. Une demande déjà adressée dans leur appel de Pâques, qui n’a malheureusement rien perdu de son actualité.
Pour les responsables de l’Église, «notre pays a non seulement les capacités et les moyens de le faire, mais peut aussi compter sur ses facultés d’intégration et la solidarité de la population». Les Églises sont également prêtes à prendre leurs responsabilités en accueillant ces personnes et en contribuant à ce qu’ils trouvent leur place en Suisse.
Les autres points du Synode
Plate-forme communication
«Le numérique est la nouvelle norme», a souligné le membre du Conseil de l’Église Ulrich Knoepfel, lors de la présentation du dossier. Il a également observé que les canaux numériques ont pris tout leur sens durant la pandémie. Conscients qu’il est indispensable de pouvoir bénéficier d’une plate-forme de qualité, le Synode a adopté le budget de 259'000 francs pour la mise en place du projet. Une fois le plus gros travail effectué, les coûts annuels se montaient à la somme de 187'000 francs. La manière de pouvoir toucher les plus jeunes devra encore être analysée.
Règlement du Synode
Prévue initialement en novembre 2019, la première lecture du nouveau règlement a enfin pu être achevée. Ce document qui formalise le principe et les modalités de travail du Synode et des commissions sera soumis à une deuxième lecture en novembre et devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2021.
Soutien aux œuvres
Les contributions 2021 pour Mission 21 et DM-échange et Mission ont été acceptées. Elles s’élèvent à 955'150 francs. Délégué vaudois et membre du Conseil du DM-échange et Mission, Jean-Luc Blondel a remercié le Synode de ce vote et a souligné la volonté des deux œuvres de renforcer leur collaboration.
Le Synode a également pris connaissance des comptes et des rapports annuels de l’Entraide protestante Suisse (EPER) et de Pain pour le prochain (PPP), deux œuvres qui vont prochainement fusionner.
L’EPER a été très active dans le secteur de l’asile et des consultations juridiques malgré des restrictions budgétaires conséquentes. Les sommes attribuées à l’aide humanitaire et au développement ayant baissé, les responsables ont procédé à un plan de consolidation qui les a contraints à abandonner certains programmes, à réduire des postes et à procéder à des licenciements. Pour 2021, la somme cible attribuée à l’EPER par l’EERS reste inchangée, soit 2'448'962 francs, tout comme celle destinée à son service des réfugiés qui se monte à 1'034'965 francs.
Concernant PPP, l’année 2020 aura des répercussions financières importantes. Les dons escomptés durant la campagne de carême sont en effet moindres, conséquence directe liée à la pandémie du coronavirus. La situation a toutefois obligé la campagne à se réinventer et à faire preuve de créativité. Les quelque 80'000 roses précommandées qui n’ont pas pu être vendues ont été distribuées dans les hôpitaux permettant ainsi de témoigner un geste de soutien aux soignants. L’œuvre a également bénéficié d’une certaine visibilité avec des cérémonies en souvenir des glaciers.
Collecte en faveur de Bossey
Le Synode a également décidé de soutenir l’Institut œcuménique de Bossey en organisant, en 2021, une collecte dont la cible est fixée à 60'000 francs. Une démarche saluée par le délégué des Églises Berne-Jura-Soleure Christoph Knoch qui a souligné l’importance d’épauler ce centre qui enseigne une théologie prônant le dialogue et la tolérance face à l’implantation croissante de lieux fondamentalistes à l’américaine.
Rapport et comptes 2019
Les délégués ont encore juste eu le temps d’approuver le rapport d’activité 2019 de l’ancienne Fédération des Églises protestantes de Suisse. Ruth Pfister, membre du Conseil a confirmé la volonté de continuer dans la lignée des projets et objectifs mentionnés dans le document. Faute de temps, les comptes 2019 seront traités en novembre.
Vers une présidence féminine
Le prochain Synode, qui se déroulera du 1er au 3 novembre prochain à Berne, procédera à l’élection de la présidence du Conseil. Deux candidates sont actuellement en lice: la pasteure zurichoise Rita Famos, directrice du service de l’accompagnement spécialisé de l’Église cantonale de Zurich et la pasteure vaudoise Isabelle Graesslé, ancienne directrice du Musée international de la Réforme. Les candidatures sont encore ouvertes jusqu’au 19 septembre.