Quand Genève interdisait Noël
Décorations flamboyantes, magasins bondés, vin chaud et course aux cadeaux, impossible de manquer l’effervescence de Noël. Et pourtant, pendant près de deux siècles, Genève n’a pas célébré cette fête. Le réformateur Jean Calvin l’avait interdite. Dans un sermon du 25 décembre 1550, il va même jusqu’à réprimander ses ouailles, venues particulièrement nombreuses ce jour-là. «Je vois aujourd’hui plus de peuple que d’habitude au sermon. Et pourquoi? C’est le jour de Noël, allez-vous dire. Et qui vous l’a dit? C’est ce que croient les pauvres bêtes, car voilà comment il faut appeler tous ces gens qui sont venus aujourd’hui au sermon pour l’honneur de la fête de Noël», tonne le réformateur Jean Calvin.
«Calvin enguirlande ses paroissiens, car, pour lui, célébrer des fêtes qui ne sont pas fixées par la Bible, c’est adhérer à la superstition des papistes», explique Michel Grandjean, professeur d’histoire du christianisme. «Si vous pensez que Jésus Christ serait né aujourd’hui, vous êtes des bêtes, je dirais même plus, des bêtes enragées», fulmine Calvin. «En effet, du point de vue historique, rien ne permet d’établir la date de la naissance de Jésus», précise le professeur. La fête du 25 décembre a des origines païennes, elle célébrait le soleil invaincu. Au IVe siècle, les chrétiens s’en emparent et en font le jour de naissance de Jésus.
Mais pour Calvin, «aucun jour n’est meilleur que l’autre» pour célébrer Dieu. «Si nous nous laissons misérablement aller à vouloir établir un culte à Dieu selon notre propre fantaisie, eh bien, c’est Dieu qui est blasphémé», ajoute-t-il encore dans son sermon. De 1550 au début du XVIIIe siècle, Genève ne célébrait pas Noël. «Le contexte de Calvin était particulier et répondait à des objectifs missionnaires spécifiques», souligne le pasteur Emmanuel Fuchs, président de l’Église protestante de Genève qui présidera le culte du 25 décembre prochain, à la cathédrale Saint-Pierre.
La position de Calvin est dans la droite ligne des changements instaurés à la Réforme. «Les protestants suppriment toutes les fêtes liées aux saints et au calendrier liturgique traditionnel célébrées par les catholiques, comme l’Immaculée Conception», ajoute Michel Grandjean. «Reste seulement le dimanche, jour consacré à l’instruction par le sermon», précise Christian Grosse, professeur d’histoire et d’anthropologie des christianismes modernes. Une façon de désacraliser le calendrier? «Non, les réformateurs n’ont pas désenchanté le temps religieux, mais plutôt consacré l’ensemble du temps à l’approfondissement de la foi», souligne encore le professeur.
Pourtant, à la même période, le reste de la Suisse, protestants y compris, fêtait Noël. «Les Églises de tradition zwingliennes, comme Berne et ses conquêtes vaudoises célébraient cette fête. Genève était isolée, à tel point que cela va poser des problèmes tout au long du XVIIe siècle. Les protestants de Berne, Bâle et Zurich s’étonnaient de ces Genevois qui fêtaient la délivrance temporelle avec le culte de l’Escalade (ndlr. la victoire de Genève sur les troupes du duc de Savoie), mais ne faisaient rien pour la délivrance de toute l’humanité par Dieu», explique Michel Grandjean.
Au début du XVIIIe siècle, l’interdiction tombe sous la pression du Conseil de Genève, l’ancêtre du Conseil d’État. «Noël est une fête que l’on veut célébrer», affirme Michel Grandjean. Selon le professeur, il s’agit d’un message qui touche tout un chacun. «On fête la fragilité de Dieu qui vient tel un enfant dans le monde. Tous les humains et même tous les mammifères protègent leurs petits, car ils sont fragiles et en même temps, rien n’est plus précieux. Ce paradoxe touche tout le monde. Le message de l’Évangile selon lequel Dieu se fait le plus fragile rejoint quelque chose qui fait vibrer tout le monde», explique Michel Grandjean. «L’incarnation est la particularité du christianisme. Ce message préfigure tout l’Évangile», ajoute Emmanuel Fuchs. D’ailleurs, le mystère de la nativité continue d’attirer grand nombre de personnes. Près de cinq siècles après Calvin, et malgré la sécularisation de la société, les églises font toujours le plein à Noël.