D’après l’aumônier du stade de Francfort, l’Église a des choses à apprendre du football

D’après l’aumônier du stade de Francfort, l’Église a des choses à apprendre du football

La Coupe du monde de football s’ouvrira jeudi prochain en Russie. Des millions de personnes suivront avec passion le parcours de leur équipe nationale. «L’Église doit très certainement tirer des leçons de cette capacité à susciter l’enthousiasme», a déclaré Eugen Eckert, pasteur protestant de la chapelle du stade Commerzbank-Arena de Francfort. Interview.

Photo: CC(by-nc-nd) Paul Domenick

Propos recueillis par Patricia Averesch, Francfort-sur-le-Main, EPD/Protestinter.

L’équipe allemande jouera son premier match le 17 juin contre le Mexique. Pouvons-nous donc prier pour sa victoire?

Eugen Eckert: Dans la chapelle du stade de Francfort, nous ne prions jamais pour voir gagner notre équipe. C’est un collectif bien entraîné, et nos joueurs sont des professionnels compétents. Pour eux, il suffira de donner le meilleur d’eux-mêmes. Nous préférons prier pour que le match se déroule dans les règles et qu’il n’y ait aucune blessure parmi les joueurs ou les spectateurs. Nous souhaitons aussi aider les gens à voir le football comme un jeu et à se rendre compte qu’à l’issue des 90 minutes du match, la vérité de l’existence viendra toujours se replacer sur d’autres terrains. Mais naturellement, je n’ai rien contre le fait que le foot aussi puisse nous apporter des miracles —comme lorsque la finale de la Coupe d’Allemagne a opposé l’Eintracht Francfort au Bayern Munich, nous prouvant que oui, David peut bel et bien triompher de Goliath.

L’Église protestante d’Allemagne (EKD) compte environ 22 millions de fidèles, contre les sept millions de licenciés de la Fédération allemande de football. Et pourtant, dans la République fédérale, les stades attirent bien plus que les lieux de culte. Dans quelle mesure l’Église peut-elle apprendre du football?

L’Église doit très certainement tirer des leçons de la capacité à susciter l’enthousiasme de ce sport. C’est quelque chose qu’on retrouve parfois aussi lors des congrès synodaux, catholiques, ou pour certains cultes spécifiques. Mais en règle générale, nos Églises ne peuvent offrir les rebondissements du football, qui font la différence entre victoire et défaite; l’issue des événements n’y est pas ouverte. Dans le cadre d’un culte, chaque élément, du jeu d’orgue à la conclusion, est si soigneusement préparé et calibré qu’aucune surprise n’y est possible. Bien que l’auditoire puisse se joindre aux chants et aux prières, pour le reste, il se contente d’attendre passivement la fin de la célébration. Lors d’un match, au contraire, le public est libre de réagir spontanément. Les supporters sont pleinement impliqués, avec chaque fibre de leur être —quelle différence si les Églises suscitaient une telle passion chez leurs fidèles! Par ailleurs, ce sport est un immense moteur d’intégration: en Allemagne, on aurait peine à trouver un seul club qui ne compte aucun joueur issu de l’immigration. Au contraire, ces populations se font de plus en plus minoritaires dans la plupart des paroisses. L’Église a là un énorme retard à combler.

On trouve aujourd’hui des cimetières réservés aux membres d’un même club, des cultes organisés dans le cadre du football et des albums Panini que les collectionneurs vénèrent comme la Bible. En quoi le football se rapproche-t-il de la sphère religieuse?

Il s’appuie énormément sur des symboles liés à la foi. J’y vois un profond besoin de spiritualité chez la population. Par exemple, le chemin menant au stade, le «temple du football», n’est pas sans rappeler un pèlerinage. La pelouse y est considérée comme sacrée, si bien que seuls les joueurs vêtus de «l’habit liturgique» —le maillot de leur club— sont en droit de la fouler. Ils y sont également entourés de petits, ce qui rappelle les enfants de chœur présents aux côtés du prêtre lors des cultes catholiques. Et quand le public vit une expérience unique, il l’évoque aussi par des hyperboles à caractère religieux, telles que le terme de «dieu du football». Plutôt que de critiquer ces parallèles, nous ferions mieux de nous y appuyer, en touchant les populations éloignées de l’Église là où persistent des points de contact: dans l’expérience quasi religieuse du football.