À Lima, l’adhésion à une Église évangélique est souvent liée à une ascension sociale

À Lima, l’adhésion à une Église évangélique est souvent liée à une ascension sociale

Le protestantisme évangélique est en fort développement au Pérou. De nombreux démunis quittent le catholicisme guidés par des pasteurs qui ne s’occupent pas que de leur vie spirituelle, mais qui sont de véritables coaches de vie.

Photo: À Lima, l’Église devient lieu de fondation d’entreprise. Ici, l’Église évangélique d’El Agostino.

Il y a deux ans encore, Maria vivait dans un garage avec ses deux fils. Comme la majorité des habitants de Comas, quartier défavorisé de Lima où le taux de chômage s’élève à 30%. Aujourd’hui, Maria a pu acquérir une vraie maison, modeste il est vrai, mais construite en briques. Elle est sa propre chef, gérant une autoentreprise de mototaxi. Tout a commencé au moment où un de ses deux fils est entré à l’école Gutenberg. Dans cette école privée, un pasteur protestant entretient un bureau de consultation. Il a recommandé à Maria de suivre des cours d’économie.

Maria a alors pris l’habitude de placer régulièrement de l’argent. Elle a acheté une mototaxi et fondé son autoentreprise. Aujourd’hui, elle s’est acquittée de toute la somme de 12’000 soles (= 3600fr.) pour sa mototaxi. Grâce à l’Église évangélique libre, Maria est devenue chef d’entreprise.

L’enjeu économique d’une adhésion religieuse

Ainsi à Lima, le choix d’une Église se fait aussi en fonction de ses nécessités financières et à ses besoins professionnels. Le pasteur évangélique postmoderne est avant tout un bon coach, et le protestantisme évangélique se présente aujourd’hui à Lima comme la religion des autoentrepreneurs. Dans certains quartiers de Lima, on trouve une Église évangélique tous les coins de rue. Baptistes, pentecôtistes, ou Églises dites «très libres». Les évangéliques peuvent ainsi représenter jusqu’à 40% de la population de certaines parties de l’agglomération. La grande majorité de ces protestants étaient auparavant catholiques. Et jusqu’à 25% des fidèles vont dans Eglise libre qui n’est pas située dans leur quartier.

Chaque jour amène de nouveaux démunis venus des zones montagneuses. Ils s’installent dans la banlieue de Lima dans l’espoir d’y trouver une vie meilleure. La capitale est située au milieu d’un désert, ainsi dans un premier temps ces nouveaux habitants se contentent de casser de la pierre dans des carrières. Mais ils rêvent tous de fonder leur autoentreprise.

Dans les bureaux des deux écoles Gutenberg, les pasteurs de l’Alliance évangélique proposent un suivi aux familles des élèves. Dans ce cadre, pasteur et fidèle rédigent un plan de désendettement et de création d’autoentreprises.

Pasteurs protestants: de renégat à coaches de vie

Uwe Heimowski est délégué allemand de l’Alliance évangélique. Il s’est rendu au Pérou. Interview

Jusqu’à tout récemment, les protestants péruviens étaient vus comme des renégats. Quels sont aujourd’hui les avantages économiques de l’appartenance à une Église libre?

La situation évolue. Il y a plus d’ouverture qu’il y a dix ans. Entre 80 et 90% de la population du Pérou est aujourd’hui catholique, mais le nombre de protestants est en croissance. Par exemple, le président du Parlement est membre d’une Église évangélique. Au-delà des raisons spirituelles, les Péruviens adhèrent à une Église évangélique pour des avantages pratiques: elles s’engagent activement dans les écoles pour accompagner les gens.

Si le président du Parlement péruvien ne cache pas au public son appartenance à l’Église évangélique, il montre en même temps comment il met son christianisme en pratique: en soutenant des initiatives qui aident les enfants démunis.

Et dans leur vie quotidienne, est-ce que cela a un impact?

D’abord, la lutte contre l’alcoolisme et la consommation de drogue. Les pasteurs et les aumôniers accompagnent toute la famille et aident le toxicomane à commencer une thérapie de sevrage. Ensuite, si le fidèle est endetté, le pasteur évangélique lui propose de rédiger ensemble un plan de remboursement. Si le croyant rêve de se lancer comme indépendant, il rédige un plan de financement pour son autoentreprise. Le spectre des Églises à Lima est beaucoup plus coloré et divers qu’en Europe: en plus des Églises, il existe un grand nombre d’ordres religieux qui sont actifs sur le terrain et proposent un soutien.

Comment le pasteur arrive à faire venir des fidèles d’un autre quartier? Est-ce qu’il se déplace pour faire de la publicité?

Beaucoup de pasteurs sont très souvent en route. Dans les rues, ils font ce qu’on appelle du street-work: c’est-à-dire qu’ils déménagent dans les favelas et partagent leur vie avec les pauvres. Ils fondent des Églises dans tous les quartiers, car les personnes démunies n’ont pas les moyens de voyager, donc c’est le pasteur qui voyage.

La proportion de convertis doit ainsi être importante dans ces Églises.

Comme les protestants au Pérou sont statistiquement en croissance, il y a parmi eux un grand nombre de néo-convertis. Leur conversion est bien particulière, car ces néo-convertis ne se sont pas convertis dans une réflexion individuelle, mais c’est toute leur famille qui a adhéré à l’Église évangélique.

Pour quelles raisons?

Les pasteurs — et avec eux des aumôniers qui ont reçu une formation psychologique spécialisée pour travailler dans les quartiers pauvres — accompagnent les parents dans la fondation d’une existence économique. Et ils leur donnent des conseils pratiques pour se libérer de leur dette. Dans ce travail, les pasteurs et les aumôniers prennent toujours en perspective la famille entière. Cela implique par exemple qu’ils accompagnent leurs enfants et les jeunes, car il y a à Lima une énorme criminalité en bande. Les pasteurs accueillent les jeunes qui autrement trouveraient leur refuge dans ces organisations criminelles.

Pourquoi ce sont en particulier les personnes qui adhèrent à une Église évangélique qui montent dans la hiérarchie sociale?

Parce que de façon générale, les Églises libres prêchent: «Tu peux évoluer!» Cela constitue une différence avec le discours catholique qui console les démunis en regardant la souffrance du Christ. Les évangéliques disent aussi: «avec la foi, tu peux sortir de la misère!»

Comment les pasteurs-coaches financent-ils leur activité?

Ils sont complètement financés par les Églises libres. Mais il est vrai que ces ministres observent que le coaching sert à l’épanouissement financier de leur Eglise: si les membres de leur communauté gèrent mieux leurs finances et vivent dans l’aisance et dans le confort, cela a des répercussions sur le soutien qu’ils peuvent apporter à leur pasteur.