Fâchés par Israël, les juifs américains envisagent des campagnes de communication

Fâchés par Israël, les juifs américains envisagent des campagnes de communication

L’accord concernant la création d’un espace de prière pluraliste a été négocié pendant trois ans, mais sous la pression des orthodoxes le gouvernement israélien l’a rompu. Les communautés juives américaines prévoient de contre-attaquer par de la communication en faveur de la pluralité au sein du judaïsme.

Photo: Le mur des Lamentations CC(by-nc-nd)Leah L

, Jérusalem, RNS/Protestinter

Les dirigeants juifs américains ont été scandalisés par la décision récente du gouvernement israélien de rompre l’accord qui prévoyait la création financée par l’Etat d’un espace de prière pluraliste devant le mur des Lamentations. Ils ont l’intention de plaider leur cause directement devant le public israélien. «Nous voulons que la communauté juive d’Israël comprenne pourquoi nous sommes fâchés», explique Jerry Silverman, président et directeur des Fédérations juives de l’Amérique du Nord. «Il ne s’agit pas ici d’une question conservatrice ou réformiste. C’est une question juive, une question d’unité.»

Dix-sept mois après que le Cabinet israélien a approuvé la mesure, le gouvernement a annoncé le 25 juin qu’il construirait cet espace de prière, mais sans les changements structurels promis qui lui donnerait un statut égal aux autres espaces de prière orthodoxes, et sans l’intervention des juifs non orthodoxes à qui l’on avait promis un rôle central dans l’entretien de ce site. Ces éléments faisaient pourtant partie d’un accord que des représentants des mouvements de réforme, des conservateurs, des Fédérations juives de l’Amérique du Nord et du groupe de prière féministe «Femmes du Mur» ont passé trois ans à négocier avec le gouvernement israélien. Et les organisations concernées n’ont pas l’intention de reculer.

Mais à tous les points de vue, la tâche sera difficile pour faire comprendre aux juifs d’Israël quelles sont leurs communautés, leurs objectifs et leurs valeurs. L’année dernière, les dirigeants réformistes et conservateurs ont salué l’accord comme une reconnaissance sans précédent de la part des autorités israéliennes des droits des juifs non orthodoxes dont les rabbins et institutions ne reçoivent aucun fonds du gouvernement israélien. Le rabbinat orthodoxe en chef possède la seule autorité sur les mariages, divorces et budgets juifs. Mais le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui soutenait activement l’accord, est revenu sur sa décision à cause de la pression exercée par ses partenaires en coalition ultra-orthodoxes, qui menacent de faire tomber son gouvernement s’il faisait des concessions envers les non-orthodoxes.

Juifs de la diaspora trahis «une fois de plus»

Gary Rosenblatt, éditeur du «New York Jewish Week», a écrit que la déclaration du gouvernement a donné l’impression aux juifs américains qu’ils étaient trahis et qu’ils perdaient leur légitimité. «Le gouvernement israélien a tous les droits de prendre des décisions politiques pour ses propres intérêts et, on espère, dans l’intérêt de ses citoyens. Mais il ne peut s’attendre à une loyauté infaillible des millions de juifs de la diaspora qui sont témoins — une fois de plus — des promesses brisées du gouvernement», écrit Gary Rosenblatt.

Le rabbin Steven Wernick, président de la Synagogue unie du judaïsme conservateur, a déclaré que son mouvement projette de faire une campagne éducative et publique dirigée vers la majorité des juifs d’Israël qui ne sont pas orthodoxes, mais qui considèrent que l’orthodoxie est la seule forme légitime du judaïsme. «Nous voulons qu’ils comprennent que notre combat n’est pas juste pour le Kotel», explique-t-il en utilisant le terme hébreu désignant le mur des Lamentations. «Cela fait partie d’un plus large combat contre l’emprise du rabbinat et de l’extrémisme (orthodoxe) croissant dans le quotidien israélien. Nous avons besoin de collaborer pour changer le statu quo religieux. Nous voulons développer nos relations avec des alliés politiques en Israël.»

Anat Hoffman, présidente d’origine israélienne des «Femmes du Mur», craint que les juifs américains frustrés se désengagent d’Israël. «Les juifs américains doivent s’engager différemment, soutenir les Israéliens qui combattent pour le changement. Les questions de religion et d’état en Israël, que ce soit des femmes priant avec une Torah au Mur, ou les efforts pour bannir les transports en public le jour du sabbat, sont des questions stratégiques pour les juifs américains et israélites», dit-elle.

Juifs américains majoritairement réformistes

La réaction de la Fédération juive de l’Amérique du Nord (JFNA) aux gouvernements israéliens inclura une campagne de sensibilisation dans les villes «sœurs» que l’organisation soutient financièrement et logistiquement au travers d’un programme de partenariat. La JFNA et l’Agence juive pour l’Israël «ont des relations profondes avec ces communautés», souligne Jerry Silverman. Une autre idée du président consiste à réunir les groupes d’adolescents des réformistes, des conservateurs et des orthodoxes modernes pour travailler sur un projet «en accord avec les valeurs juives pour aider les personnes moins fortunées. Ils pourront y trouver une unité», dit-il.

Le rabbin Rick Jacobs, président de l’Union pour le judaïsme réformiste, explique que son mouvement veut que les Israéliens sachent les juifs libéraux américains —qui représentent environ 85% des juifs américains — qui récoltent des fonds et défendent Israël sur les campus et auprès des autorités locales et nationales. La décision du gouvernement israélien pourrait modifier les habitudes américaines. «Nous encourageons les gens à être stratégiques, à verser de l’argent à des organisations et institutions israélites, conformes à leurs valeurs», déclare le rabbin.

Orthodoxie par défaut en Israël

Mais les chances que ces groupes américains fassent changer les esprits en Israël semblent maigres. Même si 63% des Israéliens sont opposés à la décision du gouvernement de geler l’accord sur le Mur, selon un sondage de Hiddush, une organisation de libération religieuse, ils n’appartiennent pas aux mouvements non orthodoxes. «Voilà le hic», explique Joel Alan Katz, éditeur du blog Religion et Etat en Israël. «Le problème est que le concept du judaïsme en Israël est très différent de comment il est perçu en dehors de l’Israël.»

«En Israël, on n’a pas besoin d’une communauté religieuse pour se sentir juif. On enseigne la Bible dans les écoles laïques, il y a la langue hébraïque, l’histoire juive, la géographie. Le concept d’un rabbin en tant que dirigeant communautaire est un concept de la diaspora», souligne Joel Alan Katz. «Le choix religieux est un concept étranger aux Israéliens.» Il compare: «imaginez-vous aller faire les courses pour des céréales, et tous les paquets contiennent du sucre. Vous allez penser que les céréales sucrées sont le seul choix. S’il n’y a pas de demande pour des céréales sans sucre — autrement dit, pas d’autres sortes de judaïsme parce que l’orthodoxie a le monopole sur la religion — comment allez-vous accepter quelque chose de nouveau?»