La santé sexuelle, ignorée de la politique publique

La santé sexuelle, ignorée de la politique publique

Alors que la santé sexuelle concerne chaque individu, il n’existe pas en Suisse de politique publique réservée à ce domaine précis
Question de valeurs? Sujet tabou? Rencontre avec des responsables de Santé sexuelle Suisse.

Photo: CC (by) Yuliya Libkina

Longtemps considérée comme un sujet particulièrement tabou, la question de la santé sexuelle s’est progressivement fait une place sur la scène sociétale et médiatique. Toutefois, il n’existe pas en Suisse de politique publique spécifique pour cette thématique. Promouvant la santé sexuelle et le respect des droits humains, l’organisation faîtière Santé sexuelle Suisse œuvre notamment à travers les cours d’éducation sexuelle à l’école, les prestations du planning familial et la formation des professionnels. Rencontre avec la directrice adjointe Caroline Jacot-Descombes, et la responsable de programmes Gilberte Voide Crettenand.

Parler de santé sexuelle, est-ce encore un sujet tabou?

Caroline Jacot-Descombes: Non, pas de manière générale dans la société. On s’est rendu compte lors de la votation qui attaquait le financement de l’interruption de grosses que la population suisse était vraiment derrière nous et plutôt ouverte à la santé sexuelle. C’est seulement des groupes relativement minoritaires qui s’y opposent.

Quelle est votre approche de la santé sexuelle?

Gilberte Voide Crettenand: Nous développons une approche globale. Pour nous, la sexualité est présente dès la naissance et elle prend des formes d’expression différente au cours de la vie. On peut l’accompagner depuis très tôt parce que le petit enfant a besoin de découvrir son corps et ses émotions. Souvent, les personnes qui ne veulent pas en entendre parler mettent sur la sexualité enfantine l’image d’une sexualité adulte. Quand on parle d’éducation sexuelle, on parle de bien autre chose que de l’acte. Il s’agit de l’accompagnement du développement psychoaffectif et sexuel de l’enfant avec l’importance d’une société qui reconnaît que cela existe et qui construit un discours sur cette thématique.

La jeunesse actuelle a grandi avec la pornographie, accessible facilement sur internet, est-ce que cela a un impact sur son comportement sexuel?

CJD: L’accès est plus facile et nous sommes sûrs que les jeunes en regardent davantage et plus tôt. Mais nous n’avons pas assez de recul pour savoir si ça modifie vraiment leurs rapports à la sexualité. C’est aussi un fantasme des adultes que d’imaginer que les jeunes vont forcément aller regarder des séquences pornographiques. Ils se posent également d’autres questions, notamment comment on fait la première fois, comment on embrasse, comment est-ce qu’on se caresse. Un des défis consiste à leur enseigner l’esprit critique afin qu’ils puissent faire le tri parmi toutes les informations qu’ils découvrent.

Est-ce qu’en 2017, vous êtes encore confrontés à des résistances du religieux?

CJD: Oui, des groupes marginaux, notamment l’association Zukunft Schweiz, qui se réfèrent à ce qu’ils appellent des valeurs chrétiennes remettent en question le droit à la santé sexuelle, le droit de choisir et quasiment l’intégralité de la vision que défend Santé sexuelle Suisse. Toutefois, ils s’opposent surtout à l’éducation sexuelle à l’école et à l’interruption de grossesse et défendent une approche où la sexualité sert à la reproduction, mais pas au plaisir. Quand on regarde un peu plus précisément sur leur site internet, on se rend compte qu’ils contestent, comme beaucoup de mouvements en Europe, ce qu’ils appellent «la théorie du genre». Et derrière cela, l’homosexualité.

GVC: Il s’agit d’une minorité, mais qui fait beaucoup de bruit. En 2013, certains de ces groupes religieux ont soutenu une initiative contre l’éducation sexuelle à l’école demandant que les cours soient dispensés aux élèves plus âgés et avec une approche uniquement biologique. Toutefois, cette initiative qui a finalement été retirée en 2015 a permis d’amener cette thématique sur la scène politique et médiatique et d’expliquer le travail de notre réseau.

Constatez-vous un retour du conservatisme?

GVC: Il y a des cycles. Rien n’est jamais acquis dans ce domaine. Tous les droits, à un certain moment, peuvent être rediscutés et les lois remises en question. Mais nous constatons, tout de même, que les arguments des groupes conservateurs sont de moins en moins soutenus par la population.

CJD: Contrairement aux Etats-Unis, où l’élection de Donald Trump va amener un changement de cap vraiment drastique, la Suisse fait preuve d’une certaine stabilité. Par rapport à l’éducation sexuelle et à l’interruption de grossesse, nous allons globalement vers un mieux et aucun grand acquis n’a été perdu par contre, les attaques reviennent fréquemment.

Quel est le principal défi de Santé sexuelle Suisse actuellement et pour ces prochaines années?

CJD: Il nous manque un cadre national. Notre principal challenge consiste à faire en sorte qu’une politique publique en santé sexuelle soit développée. Il y a beaucoup de réticence sur le plan fédéral pour des questions financières, mais aussi pour des questions de valeurs. S’il n’y a aucune contestation au niveau du parlement envers la pertinence d’un programme national contre le VIH et les infections sexuellement transmissibles (IST) ou pour le planning familial, on est encore loin d’une politique publique en santé sexuelle.

GVC: En fait, il faudrait passer d’une approche basée surtout sur la prévention à une vision qui inclut la promotion. Des lois soutiennent la prévention, mais pour promouvoir un bien-être, une vision positive qui permette réellement de faire des choix, il faudrait changer de paradigmes et ce n’est pas encore dans l’air du temps.