Autrefois officiellement athée, la Chine connaît aujourd’hui un boum religieux

Autrefois officiellement athée, la Chine connaît aujourd’hui un boum religieux

Grand connaisseur de la Chine, le journaliste Ian Johnson témoigne de l’important retour des pratiques spirituelles dans ce pays. Des millions de personnes en recherche de sens et de sentiment d’appartenance rejoignent les centaines de lieux de prière qui ouvrent chaque année.

, RNS/Protestinter, Davis (Californie)

Lorsque Ian Johnson s’est rendu en Chine pour la première fois, comme étudiant, il y a une trentaine d’années, il avait estimé que la religion y était morte. Mais ce journaliste américain, lauréat du Pulitzer, désormais basé à Berlin et Beijing est témoin d’une transformation qu’il décrit dans «The Souls of China: The Return of Religion After Mao» (Les âmes de la Chine: le retour de la religion après Mao), publié en avril.

La Chine connaît «l’un des grands réveils religieux de notre époque», écrit Ian Johnson. «Au travers du pays, des centaines de temples, mosquées ou églises ouvrent chaque année. Elles attirent des millions de nouveaux fidèles. Et la foi et les valeurs redeviennent centrales dans une discussion nationale sur comment organiser la vie chinoise.» Le journaliste continue «Ce n’est plus la Chine que nous connaissions.»

Une société à la dérive

Anciennement officiellement athée, la Chine a connu un développement important depuis la mort de Mao Zedong en 1976. La migration de masse de la campagne vers les villes a bouleversé le fonctionnement familial et les systèmes d’aides. De nombreuses personnes n’ont plus confiance en leur gouvernement depuis le massacre de la place Tian’anmen en 1989. Et malgré un contrôle gouvernemental serré, la globalisation véhiculée par internet et la culture de masse, ont amené des influences extérieures dans le pays.

Pour Ian Johnson, il en résulte une société confuse, à la dérive, en recherche de points d’ancrage. Dans la nouvelle Chine, «les Eglises et autres groupements religieux, fournissent une communauté, un sentiment d’appartenance, l’impression de faire partie d’un groupe qui partage des valeurs», explique le journaliste entre deux morces de gâteau à la carotte, à la cafeteria de l’Université de Californie, à Davis, avant de donner une présentation à un groupe d’étudiants.

«Les Chinois perçoivent leur société comme corrompue et chaotique, sans centre de gravité et sans valeurs morales», explique-t-il. «Les groupements religieux sont des refuges contre la société séculière radicale dans laquelle ils se trouvent.» Comme le dit une personne citée dans le livre de Ian Johnson: «Nous pensions que nous n’étions pas heureux parce que nous étions pauvres. Mais désormais, de nombreux Chinois ne sont plus aussi pauvres, et pourtant ils restent malheureux. Alors nous avons réalisé qu’il manquait quelque chose dans notre vie spirituelle.»

Cela n’a pas toujours été le cas. A la fin du XIXe siècle, il y avait un million de temples en Chine, et la religion colorait chaque aspect de la vie publique et privée. Mao a détruit la moitié des temples du pays. La religion—ce qu’il en restait— s’est marginalisée.

Une question taboue

En 2015, un sondage WIN/Gallup classait la Chine comme le pays le moins religieux au monde avec 61% d’athées dans la population. Seulement 7% des Chinois se déclaraient religieux. Mais comme l’écrit Ian Johnson, les instituts de sondages occidentaux échouent à avoir des chiffres fiables sur cette question. La religion est tellement politisée en Chine, que la plupart des personnes interrogées préfèrent répondre «non» quand on leur demande s’ils appartiennent à un mouvement religieux. Quand on leur pose des questions plus pratiques telles que «Participez-vous à des célébrations religieuses?» ou «croyez-vous au paradis?», le niveau de religiosité augmente.

Un sondage de 2005, mené par une université chinoise, avait conclu que 31% de la population, environ 300 millions de personnes, étaient croyantes. Deux tiers sont bouddhistes, daoïstes ou membres d’une religion populaire, alors que 40 millions de personnes se disent chrétiennes.

Témoignages de première main

Dans son livre, Ian Johnson fait une expérience de première main du réveil en cours. Il a participé à la vie d’une communauté protestante épiscopalienne à Chengdu, à des cérémonies daoïstes à Shanxi et s’est rendu avec des bouddhistes de Beijing dans des grottes pour prier.

Son ouvrage a reçu un accueil généralement enthousiaste. Son œil de reporter et ses talents d’écrivain pour décrire et illustrer la transformation en l’espace d’à peine 35 ans de la vie religieuse chinoise, de groupes de maison plus ou moins secrète vers un réveil religieux qui s’affiche sur la place publique. «Je pense que ce que Ian montre, c’est la diversité des mouvements religieux qui connaissent un réveil», a expliqué Jeffrey Wasserstrom, professeur d’histoire, spécialiste de la Chine, à l’Université de Californie, en introduction de la conférence de Davis. «Il fait un travail ethnographique permettant de connaître le peuple et ses pratiques religieuses, là où une démarche académique se serait intéressée plus spécifiquement à l’une des traditions.»

La religion fait peur

Mais le boum religieux a ses limites. Le gouvernement chinois ne reconnait que 5 religions—bouddhisme, daoïsme, islam, catholicisme et protestantisme. Et falun gong reste interdite. C’est d’ailleurs une série d’articles pour le Wall Street Journal sur l’éradication de cette spiritualité qui a valu le Pulitzer à Ian Johnson.

En Chine, il y a des Eglises d’Etat, avec des clergés employés par l’Etat et dont les sermons sont validés par les autorités. D’autres lieux de prière sont sous surveillance. Dans son livre, Ian Johnson raconte une veillée de Noël surveillée par des agents du gouvernement au fond de la salle.

Malgré cela, la restauration du religieux depuis l’époque de Mao est significative. Ian Johnson fait le lien avec le grand réveil américain qui a traversé le XIXe siècle et qui a vu la naissance de nombreux mouvements religieux dont le mormonisme et l’évangélisme. Pour le journaliste, le mouvement chinois va se poursuivre et il prédit que le christianisme connaîtra la plus forte croissance. «Quand la Révolution culturelle—une période de 30 ans— s’est terminée, les gens se demandaient “Reste-t-il des chrétiens en Chine?”», explique-t-il. «Mais ce qui s’est passé c’est que, bien que caché, le christianisme –protestantisme ent particulier– a connu une forte progression. Il y avait un million de protestants chinois en 1949, ils sont 50 millions aujourd’hui. C’est énorme.»

Le christianisme et toute autre religion restent limités dans leur épanouissement. L’Etat ne va pas renoncer à son rôle de contrôle des religions. «Bien que les autorités soient officiellement athées, elles veulent garder une main sur les religions. Elles ont peur des religions», explique Ian Johnson. «C’est une force qui échappe au politique. Vous pouvez essayer de contrôler la religion, mais l’allégeance d’une personne croyante est partielle. Son allégeance à Dieu est supérieure et plus forte.»