La persécution des témoins de Jéhovah en Russie est «pire que jamais»

La persécution des témoins de Jéhovah en Russie est «pire que jamais»

Les témoins de Jéhovah subissent d’intenses persécutions, depuis que la Cour suprême de Russie a qualifié cette communauté de «groupe extrémiste», au même titre que l’Etat islamique

Photo: Le juge de la Cour suprême de Russie © RNS/Reuters/Maxim Shemetov

(RNS/Protestinter)

Depuis que la Cour suprême de Russie a qualifié les témoins de Jéhovah de groupe «extrémiste», des vandales ont ciblé les adeptes et leurs comptes bancaires ont été gelés. Des pierres ont été jetées dans une salle de réunion de Saint-Pétersbourg et quelqu'un a essayé de brûler la maison d'un témoin à Moscou, selon un porte-parole de l'Eglise.

Le jugement semble avoir encouragé ceux qui éprouvent de la rancune envers les témoins. Cette minorité religieuse a souffert davantage que la plupart des Russes sous Vladimir Poutine. Et alors que l'Eglise orthodoxe russe jouit du soutien de l'Etat, le harcèlement des homosexuels et d'autres groupes marginalisés a augmenté dans les dernières années. «Nous espérions que la Cour se rendrait compte que nous ne sommes pas une menace», a déclaré Robert Warren, un porte-parole des témoins basé dans leur quartier général mondial de New York. «Mais maintenant, la situation est pire que jamais».

Selon les responsables de cette communauté et les experts des droits de l'homme, la décision du tribunal n'a pas été pleinement appliquée. Des offices se poursuivent dans certains centres des 100'000 adeptes de Russie. Mais la possibilité que le gouvernement interdise complètement les cérémonies de cette communauté se profile.

Détérioration de la situation au Kazakhstan

Alors que les témoins de Jéhovah vont faire appel - encouragés par la condamnation de la décision judiciaire de la part des organes nationaux et internationaux, y compris du Département d'Etat américain -, ils ne sont pas optimistes quant au renversement de la décision. Et ils s'inquiètent pour leurs frères à la frontière au Kazakhstan, une ancienne république soviétique.

«A certains égards, la situation au Kazakhstan s'est détériorée encore plus rapidement», a relevé Felix Corley, un militant des droits religieux basé à Oslo qui édite le «Forum 18 News Service», un média qui traite des abus dans l'ex-Union soviétique et en Europe de l'Est. Plus tôt ce mois-ci, Teymur Akhmedov un témoin de 61 ans au Kazakhstan - un chauffeur de bus à la retraite qui lutte contre le cancer - a été condamné à cinq ans de prison et interdit de prédication pendant trois ans après la fin de son incarcération. Un tribunal l’a condamné pour incitation à la «haine ethnique, sociale, religieuse, familiale et raciale».

Les témoins de Jéhovah ont déclaré qu'il partageait paisiblement ses croyances avec un groupe de jeunes hommes qui lui ont posé des questions sur sa foi. Des témoins travaillent sur l'appel de Teymur Akhmedov et disent que depuis la décision de la Cour suprême de Russie, la propagande anti-témoin s'est propagée au Kazakhstan. Récemment, une chaîne de télévision populaire a signalé que ce groupe religieux en Russie avait planifié un bombardement et a spéculé que cela pourrait arriver au Kazakhstan, a relaté Bekzat Smagulov, le porte-parole de l'affaire Akhmedov.

Persécutés et apeurés

«La plupart des gens ont peur», a constaté Bekzat Smagulov à propos des 18’000 Témoins du Kazakhstan. En Russie, où les autorités ont déclaré officiellement le groupe illégal, les craintes sont encore plus fortes. La surveillance et la poursuite des témoins ont commencé, il y a plusieurs décennies, et impliquent tous les ordres de gouvernement du ministère de la Justice en passant par le FSB (le successeur au KGB) et la police locale.

Mais la Russie ne peut honnêtement craindre la violence des témoins, a souligné Felix Corley. «Je ne peux pas croire qu’ils pensent réellement que cette communauté religieuse minoritaire va sortir et tuer des gens». Pourtant, le tribunal après six jours et 30 heures de témoignage a considéré que les témoins étaient une menace pour l'Etat. Il a fait arrêter toutes leurs activités et a permis la saisie de leurs biens.

Rachel Denber, la directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale de Human Rights Watch, a qualifié l'affaire d’ «absurde». Plus précisément, les procureurs russes ont accusé le groupe de violer une loi anti-extrémisme de 2002. Mais les activistes pensent que le gouvernement utilise justement cette loi de défense des droits de l'homme pour harceler les groupes que Poutine et ses alliés désapprouvent.

Cette loi interdit à tout groupe, à l'exception de l'Eglise orthodoxe et de quelques autres traditionnels, de revendiquer le véritable chemin vers le salut. Les témoins de Jéhovah, comme beaucoup de dénominations, font une telle revendication, a souligné Rachel Denber, mais pas d'une manière qui devrait les faire atterrir sur la même liste de hors-la-loi qui comprend Al-Qaïda et le groupe Etat islamique.

Défier l’Occident

Les liens des témoins avec l’Occident sont également particulièrement suspects dans la Russie d'aujourd'hui, qui cherche à défier l'Occident en tant principal négociant international, a ajouté Rachel Denber. La majorité des témoins vivent aux Etats-Unis. Et bien que les témoins de Jéhovah considèrent le Christ comme leur fondateur, le groupe moderne de cette communauté s'est formé à Pittsburgh, où des étudiants ont commencé à écrire les croyances des témoins, à la fin du XIXe siècle. Parmi ces croyances, on retrouve le pacifisme.

Les huit millions de témoins - qui se trouvent sur le continent américain, en Europe, en Afrique et en Asie - évitent la violence et ne rejoignent pas l'armée, ce qui pose des questions sur leur patriotisme même lorsqu'ils trouvent d'autres moyens de servir leurs pays. Mais leur pacifisme rend également leur étiquette d’«extrémiste» encore plus confuse à ceux du monde occidental qui les connaissent comme des gens bien élevés qui sonnent à la porte et leur demandent s'ils peuvent leur offrir le journal de la communauté.

Et bien que cette minorité religieuse ait été harcelée dans de nombreux pays, en Russie, elle souffre plus fortement et est généralement considérée comme une secte - un groupe qui rejette une grande partie du christianisme orthodoxe, y compris dans sa compréhension trinitaire de Dieu. Un autre aspect de cette communauté peut amener leurs persécuteurs à se sentir menacés: «Ils sont très bien organisés», a déclaré Rachel Denber. Le siège russe des témoins près de Saint-Pétersbourg est affilié à près de 400 organisations locales à travers le pays. A l'international, le groupe dispose d'une presse active et d'une littérature originale.

Les autorités russes ont restreint de nombreux autres groupes religieux, dont diverses sectes protestantes, les Falun Gong et les Hare Krishnas, ainsi que les athées, a ajouté Felix Corley. Mais ces groupes ne font pas face à des mesures des éliminations en tant qu'organisation religieuse comme les Témoins de Jéhovah, car contrairement aux témoins, ils n'ont jamais eu à s'inscrire auprès du gouvernement. «Ils ne peuvent pas être liquidés en tant qu'entité juridique parce qu'ils n'ont jamais eu de statut juridique», a précisé Felix Corley. Si les appels en Russie et au Kazakhstan échouent, les Témoins de Jéhovah porteront les affaires devant la Cour européenne des Droits de l'Homme.