Le désir de Trump d’interdire l’immigration musulmane est largement partagé en Europe

Le désir de Trump d’interdire l’immigration musulmane est largement partagé en Europe

Si des voix se sont fait entendre pour dénoncer la politique anti-immigration de Donald Trump, les sondages montrent que ni en Amérique ni en Europe les populations silencieuses ne condamnent unanimement la politique du nouveau président des Etats-Unis

Photo: Manifestation contre l’interdiction d’immigration en janvier à Washington CC(by-nc-nd) Susan Melkisethian

, Paris, RNS/Protestinter

Alors que des Américains ont manifesté contre la récente interdiction d’entrée sur le territoire prononcée par le président Trump à l’encontre des citoyens de sept pays majoritairement musulmans, des manifestants à Londres, Paris, Berlin et d’autres villes européennes se sont joints au mouvement. Mais de l’autre côté de ce côté de l’Atlantique, le message semblait être «nous sommes avec vous».

Les reportages télévisés couvrant ces manifestations européennes n’ont-ils dit que la moitié de la vérité? Voire moins de la moitié? Si l’on en croit deux sondages d’opinion récents, une majorité de l’Europe est profondément inquiète face à l’immigration musulmane et souhaiterait y mettre fin immédiatement, alors même que les Européens surestiment largement la population musulmane dans leurs pays. Les votants de plusieurs pays soutiennent une interdiction de l’immigration musulmane bien plus stricte que celle pratiquée aux Etats-Unis. Les politiciens défendant une ligne dure anti-immigration gagnent du terrain en Pologne, en Hongrie et ailleurs en Europe occidentale.

Un sondage publié en février par le groupe de réflexion britannique Chatham House révèle que l’impression que les Européens sont opposés à l’interdiction d’entrée sur le territoire américain souhaitée par Donald Trump ne reflète pas une réalité globale. Ce sentiment est avant tout influencé par les commentaires critiques de la chancelière allemande Angela Merkel ou du maire de Londres Sadiq Kan. «Nos résultats sont frappants et inquiétants», peut-on lire dans le communiqué de presse du groupe de réflexion. «Ils suggèrent que l’opposition à toute immigration supplémentaire venant des pays musulmans n’est en aucun cas confinée à l’électorat de Donald Trump aux Etats-Unis, mais qu’elle est assez répandue.»

Le quotidien d’Amsterdam, de Volkskrant, l’un des rares titres européens à avoir enquêté sur la question, souligne l’écart entre la perception et la réalité. «Les Européens ne sont pas du tout aussi négatifs face aux idées du président américain», annonce la publication. «En réalité, une majorité des Européens sont pour un arrêt immédiat de l’immigration.»

L’enquête de Chatham House menée auprès de plus de 10'000 personnes dans 10 pays européens a montré que 55% de tous les répondants étaient d’accord pour dire que la migration de personnes issues de pays musulmans devait s’arrêter, 20% étaient en désaccord et 25% étaient sans opinion. A titre de comparaison, selon un sondage CNN, 47% des Américains soutiennent l’interdiction prononcée par Trump. 49%, selon un autre sondage mené par l’institut Ipsos. En Europe «à part dans deux des dix pays sondés, la majorité est favorable à un frein à l’immigration. Les soutiens sont de 71% en Pologne, 65% en Autriche, 53% en Allemagne», écrit le groupe de recherche. «Il n’y a qu’en Grande-Bretagne (47%) et en Espagne (41%) que ce chiffre passe en dessous de la majorité.»

A l’exception de la Pologne, l’étude montre que les pays les plus opposés à davantage d’immigration ont soit été en première ligne durant la crise migratoire, soit des attaques terroristes ont eu lieu sur le sol, ces dernières années. Parmi les pays qui soutiennent l’interdiction à plus de 60%, l’Autriche et la Hongrie ont été inondées par la vague humaine qui a traversé l’Europe du sud-est en direction de l’Allemagne en 2015. La France et la Belgique ont été le théâtre d’attaques mortelles par des islamistes radicalisés. «Il est également intéressant de noter que dans la plupart de ces Etats, la droite radicale est, à des degrés divers, enracinée comme une force politique et cherche à utiliser la peur de l’islam pour mobiliser les électeurs soit en 2017, soit à plus long terme», souligne le rapport.

Le soutien à l’arrêt de l’immigration ne se limite pas à l’extrême droite, précise l’étude. Les Pays-Bas, la France et l’Allemagne sont confrontés à des élections cette année, et leurs partis d’extrême droite, autrefois minoritaire, s’attendent à des résultats électoraux importants. Si la prophétie ne s’est pas réalisée aux Pays-Bas, il n’en demeure pas moins qu’«il y a des signes que l’opposition publique à l’islam a franchi les frontières politiques, les trois quarts de ceux qui se reconnaissent dans la droite du spectre politique et plus d’un tiers d’électeurs de gauche soutiennent un arrêt de l’immigration», souligne le communiqué.

Un autre sondage important, publié juste avant Noël, par l’institut de sondage Ipsos, basé à Paris, dévoile une raison pour laquelle l’inquiétude envers l’immigration musulmane est si importante. Dans tous les pays européens sondés, les électeurs s’imaginent que la population musulmane est beaucoup plus élevée qu’elle ne l’est en réalité. L’écart entre le fait et le fantasme peut être énorme.

En France, qui abrite la plus importante minorité musulmane d’Europe, les électeurs estimaient que 31% de la population appartenait à la foi islamique. En réalité, seulement 7,5% de la population est musulmane. En Italie, ils représentent 3,7% pour cent de la population, mais les électeurs les estiment à 20%.

La surestimation est également élevée en Allemagne, en Belgique, en Suède et aux Pays-Bas. Même les pays qui n’ont pratiquement pas de musulmans se sont trompés. En Pologne et en Hongrie, la population musulmane est inférieure à 0,1%, mais les électeurs l’ont estimée à 7 et 6% respectivement. Il ne s’agit pas d’une myopie particulièrement européenne, puisque selon Ipsos, aux Etats-Unis où la population musulmane est d’environ 1%, les électeurs l’estiment à 17%. Au Canada, les sondés estiment également que le nombre de musulmans atteint les 17% alors que le chiffre réel est de 3,2%.

Le sondage d’Ipsos montre également que les Européens surestiment aussi largement la croissance future des populations musulmanes. C’est pour cette raison qu’ils s’attendent à une augmentation rapide du nombre de musulmans durant les prochaines années. «L’Europe a-t-elle davantage peur des musulmans que les Etats-Unis?», s’est demandé John Lloyd, rédacteur en chef du Financial Times de Londres, dans une analyse. «La question la plus urgente est de savoir si ceux qui soutiennent l’interdiction d’accès au sol des ressortissants des pays à majorité musulmane mèneront les partis nationalistes à la victoire», estime-t-il. «Qualifier les nouveaux partis d’extrême droit en Europe de “populiste”, revient à les classer comme extérieur au spectre de la politique majoritaire libérale. Admettre qu’ils sont populaires est plus difficile. Mais ils le sont, ou du moins leur politique. La sombre nuit du fascisme n’est pas tombée ni sur l’Amérique ni sur l’Europe et elle n’est pas prête de le faire. Mais la peur et le rejet de l’immigration hantent les deux continents. En 2017, l’Europe montrera, à l’occasion des élections aux Pays-Bas, en France et an Allemagne, à quel point la nuit peut être sombre.»