La faute aux médias!

La faute aux médias!

Protestinfo propose régulièrement des éditos rédigés par des membres des rédactions de Médias-pro.

Joël Burri, rédacteur responsable de Protestinfo, propose aux lecteurs, comme à ceux qui ont un message à communiquer, d’adopter une éthique de leur activité.

PHOTO: CC(by) Jon S

Le rejet de Trump par l’ensemble des médias aurait eu comme effet pervers de conforter l’image du nouveau président des Etats-Unis comme combattant anti-système. Cette analyse faite mainte fois au lendemain de l’élection du milliardaire n’est probablement pas dénuée de fond. Il est vrai qu’aujourd’hui la cote de confiance du «système» doit être presque aussi bas que celle des médias. Les Eglises en savent quelque chose, puisque si le religieux se porte bien, les communautés historiques – celles qui font partie du système – s’érodent.

C’est justement pour cette raison qu’il me semble un peu léger de se contenter du «la faute aux médias» ambiant. Presque plus personne ne les consomme! C’est quand même étrange d’accuser un mourant d’être un leader d’opinion! Le fait que l’ultime édition de L’Hebdo soit sous presse, en est un exemple. On peut dénoncer ces grands groupes de presse qui ne gèrent leur entreprise qu’à la seule boussole de leurs finances, mais il faut tout de même avoir conscience que le nombre de consommateurs de médias qui analysent l’info diminue.

Le web a eu deux effets qui ont bouleversé l’économie des médias. Il a montré ce sur quoi les gens cliquent vraiment et il a poussé les éditeurs à chasser le clic pour garantir tant bien que mal leurs revenus publicitaires. Non, spontanément, ce n’est pas le face à face entre politiciens avant une votation d’importance qui rapporte le plus! La qualité de la hiérarchisation de l’information en a été ainsi profondément dégradée sur les unes de tous les sites d’information: on ne met plus en avant ce qui est important pour un média conscient de son rôle d’acteur de la démocratie, on met en avant ce qui fait vendre. La faute aux journalistes? La faute aux lecteurs? Probablement les deux, puisqu’aucune des deux catégories n’a pris son rôle suffisamment au sérieux pour se conforter à une éthique minimale de son activité.

Et l’avènement des réseaux sociaux qui prennent une place désormais majoritaire dans les choix de lecture a encore accéléré le mouvement. La paresse intellectuelle des internautes paraît sans borne: combien de fois lit-on des commentaires sur Facebook écris des gens qui n’ont visiblement pas cliqué sur le lien partagé et ne donnent leur avis sur la base du titre et des premiers mots du texte reproduis! Souvent, ils sont même repartagés sans être lus.

Mais la légèreté dans la vérification de l’information de médias pressés d’engendrer le plus possible de clics a aussi conforté la défiance anti-système dont sont victimes les journalistes. Là aussi, les conséquences sont importantes. Aujourd’hui, la moindre rumeur sur les réseaux sociaux paraît bien plus crédible qu’une enquête faite avec soin par un média sérieux. On se méfie du système: «ils se tiennent entre eux», «c’est tous des magouilleurs». De façon un peu polémique, je dirais que dans le domaine du religieux, on vit un peu la même chose. Ces pasteurs formés par des grandes universités sont incapables de donner des réponses simples, «c’est bien la preuve qu’ils ont quelque chose à cacher».

Alors oui, je crois que la théorie du complot, la paresse du lecteur, la pression financière sur les médias mettent en danger la démocratie. Oui, comme lecteur j’essaie de me forcer à une certaine hygiène en variant mes sources d’information, en lisant des journaux papier proposant une hiérarchie de l’information un peu préservée ou en me forçant un peu à m’informer aussi sur des sujets que je sais importants, mais qui ne m’intéressent pas. J’applaudis d’ailleurs les différents médias qui proposent des outils pour différencier une vraie information d’une fausse. Bravo Le Temps, bravo, Le Monde!

Mais revaloriser la responsabilité du lecteur ne suffit pas. Il faut surtout communiquer selon les standards de son temps. Pour donner une information rigoureuse ou pour mettre en doute une idée reçue, dire «c’est plus compliqué que ça» avant de débiter une théorie complexe, ne fonctionne plus. Aujourd’hui, il faut rendre le message attractif. Il faut faire court, accessible, séduisant et rigoureux. Et pour ma part, je crois que ce pensum montre qu’il y a encore du boulot!