Liberté de conscience ou droits LGBT: les Etats-Unis face à un dilemme juridique

Liberté de conscience ou droits LGBT: les Etats-Unis face à un dilemme juridique

Le droit à la liberté de conscience est-il compatible avec la protection des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles ou transgenres? Cette question qui agite les législateurs américains était au cœur d’une rencontre à la mi-janvier à l’Université Yale
Le but: trouver une législation acceptable pour les deux camps, une tâche ardue.

Photo: Aux Etats-Unis, 21 Etats ont prévu des lois anti-discrimination à l’adresse des personnes LGBT. CC(by) krytofr

Par Kelsey Dallas Deseret News/RNS/Protestinter

Les Etats-Unis sont déchirés par une polémique, avivée par la légalisation par la Cour Suprême américaine du mariage entre personnes du même sexe il y a un an et demi. Comment protéger la liberté de conscience – le droit, qui englobe la liberté de religion, à vivre selon ses valeurs et principes — tout en protégeant les personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres)? Que faire quand, par exemple, un patron refuse d’embaucher une personne gay au nom de ses convictions religieuses?

L’effet Donald Trump

La question devient pressante à cause d’un certain flou juridique qui met les entreprises en difficulté. Les protections anti-discrimination dans le logement ou l’emploi sont toujours plus fréquentes dans les villes américaines, résultat de l’engagement des défenseurs des droits LGBT au niveau local. Mais la législation n’est pas uniforme dans tout le pays. Au niveau fédéral, vingt et un Etats américains ont mis en place une forme ou une autre de protection contre les discriminations.

Ces lois sont actuellement très discutées pour une autre raison: l’élection de Donald Trump. Certains s’attendent à ce que, soutenu par un Congrès à majorité républicaine, il réaffirme l’importance centrale de la liberté de conscience et de religion. «La perspective d’une ou plusieurs nominations conservatrices à la Cour Suprême pourrait pousser la communauté gay à conclure de manière préventive un compromis politique», estime Jonathan Rauch, associé en études gouvernementales à l’Institution Brookings. «Quant aux conservateurs, ils seront au contraire moins enclins à la négociation s’ils pensent que la Cour virera à droite».

L’Utah cité en exemple

La loi adoptée par l’Utah en mars 2015 est sur toutes les lèvres. Nommée «Compromis de l’Utah», elle protège les personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres) tout en prévoyant des exceptions protégeant le droit à la liberté de conscience de communautés et d’entrepreneurs religieux. La législation a passé grâce notamment au soutien de la très influente Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (mormons) ainsi que de représentants nationaux et locaux d’associations défendant les droits LGBT.

«Nous pensons tous que les protections anti-discrimination ne doivent pas supplanter toutes les autres valeurs, mais nous avons des perceptions différentes de ce qui doit être fait», souligne Robin Fretwell Wilson, une des organisatrices de la rencontre de Yale entre partisans des droits LGBT et de la liberté de conscience. Directrice du programme de politique et droit familiaux à la faculté de droit de l’Université de l’Illinois, elle est une des leaders du camp de la «Justice pour tous». Ce mouvement qui compte de nombreux experts en droit cherche un compromis entre lois anti-discrimination et respect du droit à la liberté de conscience.

Le sénateur de l’Utah Stuart Adams s’est joint à elle afin de faire connaître la loi adoptée par son Etat aux législateurs et aux leaders de communautés religieuses. Il s’agit de corriger les perceptions erronées et de combattre la polarisation du climat politique à ce sujet. «Lorsque les gens découvrent ce que nous avons fait et le comprennent réellement, ils semblent y adhérer. Mais certains auront toujours un problème avec le fait d’octroyer une protection supplémentaire au nom de l’orientation sexuelle et l’identité de genre», souligne-t-il.

Protéger le mariage traditionnel

Parmi les opposants, on compte d’éminents académiciens ainsi que des partisans du mariage traditionnel tels que Robert George de l’université de Princeton et Russell Moore de la Commission des libertés religieuses et éthiques de la Convention baptiste du Sud. Ces derniers appellent à renforcer la liberté de conscience et de religion au lieu de consolider les droits LGBT. «Les lois qui sont proposées au sujet de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre menacent les libertés fondamentales. Toute protection de la liberté religieuse annexée à de tels droits est fondamentalement inadéquate et instable», peut-on lire dans leur lettre ouverte intitulée «Préserver la liberté, rejeter la coercition».

Les signataires prônent une meilleure protection des droits des partisans du mariage traditionnel. «Après la décision d’accorder le mariage aux personnes de même sexe, nous n’avons pas besoin de lois supplémentaires pour protéger les Américains gays et lesbiennes. Nous avons besoin de lois qui protègent ceux qui ont perdu», affirme Ryan Anderson, l’un des signataires de la lettre. Associé et chercheur pour la Heritage Foundation, un think tank conservateur basé à Washington D.C, il est l’un des critiques les plus connus des droits des LGBT.

La généralisation redoutée

Les opposants soulèvent un autre argument. «Justice pour tous» définit la discrimination comme le refus d’engager, de loger ou de servir des personnes LGBT, et exempte ensuite les actes de certains groupes religieux. Or, ses détracteurs craignent qu’avec le temps, «la règle prenne le dessus sur l’exception», affirme Tim Schultz, président du 1st Amendment Partnership, un mouvement qui vise à promouvoir et protéger la liberté de religion aux Etats-Unis. Et de citer le conseil municipal de la ville de Washington qui avait décidé en 2014 de supprimer des exceptions accordées aux écoles religieuses.

Une guerre à l’horizon?

Le ton des discussions sur la liberté religieuse a changé radicalement ces dernières années. Alors qu’il mettait tout le monde d’accord – à trois voix près, l’Acte de restauration de la liberté religieuse de 1993 était accepté à l’unanimité dans les deux chambres du Congrès — les débats sont désormais polarisés. Il n’est désormais pas rare d’entendre partisans et opposants se traiter de «bigot» ou «pécheur». Ce changement, Tim Schulz l’impute notamment à la couverture médiatique, au boycott d’entreprises et à l’interférence de groupes de soutien national dans les politiques locales.

Il espère cependant éviter une guerre ouverte. «Nous n’obtiendrons jamais l’unanimité sur cette question. Il va falloir gérer des dissensions internes, dont j’espère vraiment qu’elles ne nous divisent pas trop», avoue Tim Schultz. Il souligne que le compromis prend du temps. «Il m’a fallu environ une année pour adhérer à la solution proposée par “Justice pour tous” alors que je travaille à plein temps dans le domaine de la liberté religieuse». De son côté, Robin Fretwell Wilson craint l’influence des extrémistes des deux camps opposés à une coexistence pacifique. «Si les jusqu’au-boutistes de la gauche et de la droite font recours à l’Etat pour imposer l’idée que l’autre camp ne mérite aucune protection, il n’y a aucune chance que l’on conclue un compromis», conclut-elle.