Hong Kong étouffe

Hong Kong étouffe

Hong Kong vit depuis la rétrocession en 1997 avec le statut «d’un pays deux systèmes». Une formule qui est peu à peu remise en cause par les autorités centrales de Pékin.

Photo: CC(by-nc) Steve Marvell

Hong Kong, «Réforme»/Protestinter

C’est devenu un douloureux rituel. Tous les ans au Victoria Park de Hong Kong, des milliers de bougies s’allument le 4 juin pour se souvenir du massacre de la place Tiananmen. On peut y sentir la forte odeur de lys qui se dégage des couronnes de fleurs entourant le mémorial des victimes. En 1989, dans la capitale centrale, des centaines d’étudiants venus demander des réformes pacifiquement au régime communiste sont tués. Et depuis 27 ans, chaque année, Hong Kong rappelle à Pékin qu’elle n’oublie pas. Cette année, ils étaient 125’000 à se rassembler. Devenu colonie anglaise après la guerre de l’opium en 1842, le territoire accueille les dissidents depuis l’instauration du régime communiste en 1949. Hong Kong est devenue le sanctuaire démocratique de la Chine.

Après la Deuxième Guerre mondiale, la ville se développe de manière exponentielle, passant de 750’000 habitants à 7 millions aujourd’hui, à la faveur des vagues de migrants fuyant la Chine communiste. Le développement économique est fulgurant, les paysages changent. Les villages de pêcheurs et les vertes collines se transforment rapidement en barres d’immeubles. L’industrie y est florissante notamment dans le domaine des biens de consommation, dans l’électronique, dans le jouet ou dans le textile. On invente alors l’expression «tigre asiatique» pour définir le spectaculaire développement économique de Hong Kong, Taïwan, la Corée du Sud et Singapour. Le taux de chômage plafonne crânement juste au-dessus des 3% depuis plusieurs années. La ville est devenue une place financière importante, un îlot de capitalisme, dont se sert Pékin la communiste. Allant jusqu’à devenir un paradis fiscal pour des entreprises ou des particuliers peu scrupuleux.

Le lent recul des libertés

«Hong Kong a été baptisée par le capitalisme», explique Chan Shun-hing, chercheur à l’université baptiste de la ville. Mais il y a le revers de la médaille: «Nous n’avons pas de sécurité sociale», souligne-t-il. La pression démographique est forte et les logements hors de prix obligent beaucoup de jeunes à rester chez leurs parents. Les inégalités augmentent et alimentent une insatisfaction sociale.

Dans les années 1980, à l’approche de la date de la fin du bail anglais sur ce bout de territoire, la Grande-Bretagne et la Chine négocient un accord qui garantit les lois de Hong Kong jusqu’à son retour total à la Chine en 2047. Le 1er juillet 1997, c’est en grande pompe et sous la pluie qu’on fête la rétrocession avec une promesse: la Chine ne touchera pas aux libertés. Le slogan est «un pays, deux systèmes». Mais dans les faits, en bientôt 20 ans, la main politique et économique de la Chine s’est abattue progressivement sur le territoire.

Un chiffre peut à lui seul résumer ce glissement continu. Selon Reporters sans frontières, le territoire est passé, dans son classement annuel, de la 18e place en 2002 à la 69e place en 2016. Les médias sont rachetés les uns après les autres par des businessmans chinois et s’autocensurent. Le récent rapport de Reporter sans frontières parle de la «main invisible de Pékin sur les médias de Hong Kong» et c’est à l’image de ce qu’il se passe au niveau politique.

Suffrage universel de façade

Le suffrage universel est une question latente depuis la rétrocession. Celui qui gouverne Hong Kong, le chef de l’exécutif, est élu par un collège de 1200 personnes. L’actuel détenteur du poste, Leung Chun-ying, en a récolté le doux surnom de «689», soit le nombre de voix qu’il a obtenues lors de son élection. Dans un nouveau projet présenté en 2014, la population n’aurait eu le choix qu’entre deux candidats fidèles au gouvernement central et choisis par un collège pro-Pékin.

Cette réforme nourrit l’insatisfaction et le ressentiment d’une partie de la jeunesse. Fin septembre 2014, une grève étudiante s’est transformée en blocage de trois points névralgiques de la ville, le centre administratif d’Admiralty, le centre commerçant de Causeway Bay et le très animé quartier de Mongkok. L’occupation a duré 79 jours, du jamais vu dans une ville peu habituée aux conflits sociaux. Le projet de réforme sera finalement retoqué en 2015 par le Conseil législatif.

Ce que l’on appellera le mouvement des parapluies est l’occasion d’un renouveau politique au sein de la jeunesse qui s’exprime aussi par l’affirmation d’une tendance indépendantiste ou au moins d’une volonté d’autodétermination. En février dernier, la «révolution des boulettes de poisson» enflamment Mongkok. Les partis locaux reprochent aux autorités de vouloir supprimer la tradition des vendeurs de rue lors du Nouvel An. Pour eux, c’est l’identité de Hong Kong qui est en jeu. Les pavés volent et 61 personnes seront arrêtées.

C’est désormais chaque jour que l’on peut mesurer la pression de Pékin. En fin d’année dernière, cinq libraires hongkongais, subversifs envers le pouvoir central, sont enlevés puis retenus par la police en Chine. Leurs confessions, semble-t-il forcées, seront diffusées à la télévision. Lors de la récente visite du numéro 3 du gouvernement chinois le mois dernier, une performance artistique a été annulée après seulement une journée de présentation. Un décompte de jours avant la réintégration de Hong Kong à la Chine était projeté sur les façades de la plus haute tour de la ville. La semaine dernière, c’est l’artiste Denise Ho qui a vu son concert, organisé en partenariat avec Lancôme, annulé par la marque après des pressions. Elle avait soutenu les occupations de 2014. Ce manque de libertés se fait aussi sentir du côté économique avec le retrait de la banque HSBC qui a renoncé à installer son siège dans la ville.

Dans ce climat, et à l’approche des élections législatives de septembre, les partis démocrates sont très divisés. Pour preuve, la dernière commémoration du 4 juin a été boycottée par des jeunes issus du mouvement des parapluies de 2014 (lire ci-contre). Ils reprochent aux organisateurs leur patriotisme chinois au lieu de se concentrer sur les problèmes de Hong Kong.

Destin séparé

Nombreuses sont les manifestations d’exaspération envers les Chinois du continent. On ne compte plus les vidéos moquant les mauvaises manières de ces continentaux vus comme des campagnards mal éduqués. Les partis autonomistes n’hésitent pas à organiser des actions coup de poing contre les «parallel traders», ces Chinois du continent venus faire leurs emplettes de manière industrielle et qui encombrent la vie et les transports, et font augmenter les prix. Les habitants de Hong Kong se définissent désormais plus comme hongkongais que chinois, et les t-shirts «I am a Hongkonger» fleurissent.

«Avant, on n’aimait pas Hong Kong car la vie y était chère. Mais comparé à notre déception actuelle envers le gouvernement, ce n’est rien», résume une trentenaire travaillant dans le marketing. Comme le prophétise le film Ten years, elle a peur que le cantonais disparaisse au profit du mandarin. Elle montre des devoirs d’école de sa nièce, à la gloire de la Chine. Déprimée elle ajoute: «On sait qu’il n’y a pas de futur pour Hong Kong.»