«Nous sommes tous des migrants»

«Nous sommes tous des migrants»

Le repli sur soi trouve son origine dans le même refus d’une société qui change. Cette difficulté à laquelle chacun de nous doit faire face alimente les succès électoraux des partis de droite radicale, comme la ghettoïsation de certaines minorités. C’est ce qui ressort d’une journée de réflexion sur les enjeux de la multiculturalité organisée par les chrétiens de gauche.

Le repli sur soi trouve son origine dans le même refus d’une société qui change. Cette difficulté à laquelle chacun de nous doit faire face alimente les succès électoraux des partis de droite radicale, comme la ghettoïsation de certaines minorités. C’est ce qui ressort d’une journée de réflexion sur les enjeux de la multiculturalité organisée par les chrétiens de gauche.

Photo: une table ronde a conclu la journée avec, de gauche à droite, Laurent Bonnard, modérateur, Cécile Ehrensperger, cheffe a.i. du service Jeunesse et cohésion sociale de la ville d’Yverdon, Ada Marra, conseillère nationale socialiste, Lionel Imhof, responsable du projet «multiculturalité» de la Police de Lausanne et Sandrine Ruiz, vice-présidente de l’Union vaudoise des associations musulmanes.

«Quelle est la dernière fois que vous vous êtes sentis étrangers», c’est cette question qu’a posé la pasteure Hélène Küng, directrice du centre social protestant — Vaud, samedi à Yverdon-les-Bains, lors de la méditation ouvrant la journée de réflexion des chrétiens de gauche romands, nouveau nom de la fédération romande des socialistes chrétiens. Et de citer quelques exemples de ces moments où elle s’est sentie étrangère: «la première fois que j’ai rencontré la famille de mon futur mari dans la Broye, moi la Lausannoise fleure bleue et drapeau rouge.»

Et ce «nous sommes tous des migrants» a accompagné les discussions de la quarantaine de personnes venues écouter les exposés et la table ronde par lesquels s’est poursuivie cette journée de réflexion sur le thème «Réussir une Suisse multiculturelle». «Chacun de nous est migrant. Parfois dans l’espace, mais toujours dans le temps», a soulevé le psychiatre, chargé de cours à l’Université de Lausanne et co-cofondateur d’«Appartenances» Jean-Claude Métraux, lors de son exposé. «La société change et chacun de nous doit faire le deuil de la société qu’il a connue et migrer vers la nouveauté.»

Et face à cette migration, comme face à toute migration, quatre attitudes sont possibles: la ghettoïsation, qui correspond à un repli sur soi, la surassimilation, qui correspond à un refus de ses racines, la double marginalisation, qui est un lâché prise en réponse à l’écartèlement provoqué par les contraintes de deux cultures simultanément et enfin, la plus difficile, mais la plus souhaitable: l’intégration créatrice qui consiste à construire une toile avec les fils de ses différentes identités.

«Je crois que les discours populistes tirent leur force dans la ghettoïsation des cultures autochtones qui refusent de vivre le changement de leur société», a analysé le psychiatre. «Le problème de l’extrême droite est le même que celui des communautés qui se ghettoïsent: le refus de la société qui les accueille. Que ce changement soit lié à un déplacement géographique ou à un changement de société, le réflexe est le même: le repli sur soi.»

Pour Jean-Claude Métraux, chacun de nous, qu’il soit migrant ou non, vit un processus de deuil de la culture qu’il a connue ou souhaité. «Pour avancer dans un processus de deuil, il faut pouvoir se projeter dans le futur. Cela nécessite un sentiment de sécurité suffisant pour pouvoir bâtir des projets et la reconnaissance de la place et des capacités différentes de chacun dans notre société.»

Un exposé qui a particulièrement touché Sandrine Ruiz, vice-présidente de l’Union vaudoise des associations musulmanes, qui lors de la table ronde qui a conclut la journée a relevé «beaucoup de nos jeunes ont intégré l’existence entre eux et les suisses — ce n’était pas pareillement le cas pour la génération précédente. C’est un crève-cœur, mais beaucoup de ces enfants nés en Suisse ont intégré les différences et ne fréquentent que d’autres étrangers.»

L’action de parrainage mise en place par les Eglises et des ONG dans le canton de Vaud permettrait-elle de répondre à cette problématique? L’avenir le dira, mais ce projet que la Conseillère nationale Cesla Amarelle a tenu à présenter en marge de la rencontre a reçu un accueil unanime des différents participants à la table ronde. «Il suffit parfois de peu: je me souviens qu’enfant, j’avais fait des progrès rapides en français quand une enseignante m’avait appris à me faire des autodictées à l’aide d’un petit dictaphone, puisque mes parents hispanophones ne pouvaient pas me faire la dictée.» Et la socialiste de conclure: «il y a des choses que l’Etat ne peut pas faire. L’important c’est le lien humain.»