Pour contrer les critiques faites à l’islam, un imam invite les musulmans à réapprendre leur foi

Pour contrer les critiques faites à l’islam, un imam invite les musulmans à réapprendre leur foi

Défenseur d’un islam modéré, l’imam Fadel Solimon apprend aux musulmans à répondre aux critiques faites à l’islam. Pour lui, son enseignement sert autant à donner aux jeunes croyants des outils pour débattre de leur foi qu’à renforcer leur propre foi.

Photo: ©Center for Cross-Cultural Communication

, Istanbul, RNS/Protestinter

Dans une rue animée du quartier assez conservateur de Fatih, à Istanbul, Fadel Solimon regarde le sol et opine du chef pendant qu’une jeune femme lui demande conseil sur la manière de répondre aux critiques contre l’islam qu’elle reçoit sur Twitter.

«Depuis les attentats de Paris, les gens m’interpellent sur Twitter en citant les versets du Coran appelant à conquérir des pays, repousser les frontières, obliger tout le monde à se convertir ou à payer la djizîa», explique-t-elle en faisant référence à la taxe prélevée sur les non musulmans. «Non, ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai», intervient Fadel Solimon. «Mais ces versets existent!», rétorque la jeune femme. «Ils sont dans le Coran. Est-ce que des empires comme l’Empire ottoman ne se sont pas étendus de cette façon?»

Fadel Solimon répond: «défendre l’islam, ce n’est pas défendre l’histoire. Les Ottomans n’étaient pas des anges, pas plus que les Omeyyades ou les Abbassides», explique-t-il, rappelant trois empires musulmans historiques. «Tu ne devrais pas défendre l’histoire islamique.» L’imam revient aux versets du Coran en question et partage la vision qu’il en a. «Le Coran dit simplement que si un pays viole un accord de paix ou s’il vous attaque vous avez le droit de vous défendre… Le Coran n’incite pas à la conquête pour la richesse, mais combat l’oppression pour défendre le faible.»

Ancien imam de l’American University à Washington DC, Fadel Solimon réside désormais à Londres. Il a consacré plus de dix ans à la formation des musulmans sur les questions de relations interconfessionnelles. Il est membre de l’Union internationale des chercheurs musulmans, il a côtoyé les frères musulmans égyptiens et a été conseiller pour les membres du groupe de Mohamed Morsi durant la brève existante de son gouvernement.

Réforme de l’islam

Fadel Solimon fait partie du nombre croissant de prêcheurs musulmans qui cherchent à changer les relations entre islam et modernité. Une large partie de ce dialogue interne a lieu au travers de conférences données dans des pays occidentaux. Mais Fadel Solimon fait aussi partie de cette poignée de prêcheurs qui ciblent plus largement leur auditoire, s’adressant à plus de 19’000 étudiants à la recherche d’outils pour répondre aux critiques à l’encontre de l’islam. Un processus qui les amène à réapprendre les préceptes de leur foi.

Comme tous les réformateurs, Fadel Solimon attise non seulement les foudres des critiques extérieurs, qui l’accusent de ne pas dénoncer suffisamment certains enseignements islamiques, mais également de musulmans qui peinent à réconcilier ses enseignements pragmatiques avec ce qu’ils considèrent comme étant l’enseignement traditionnel.

L’atelier auquel il a participé à Istanbul était organisé par le Centre pour la communication interculturelle. Une organisation à but non lucratif basée en Turquie et qui cherche à sensibiliser les 30 millions de touristes qui visitent le pays chaque année. La femme qui a posé la question concernant Twitter est, d’ailleurs, l’une des nombreuses bénévoles de l’association qui a été formée pour répondre aux questions que les touristes posent lorsqu’ils visitent les monuments les plus célèbres d’Istanbul, tels que l’ancienne mosquée de Soliman le magnifique. Cet atelier recevait le soutien du Département turc des affaires religieuses.

Avec leur longue histoire de laïcité et le renouvellement récent de leur intérêt pour l’islam, les musulmans turcs vivent un rare moment de réflexion sur l’islam, estime Fadel Solimon. Mais mettre en doute les interprétations largement répandues parmi les musulmans n’est pas une tâche facile.

Par exemple, l’idée que le prophète Mohamed et ses disciples considéraient qu’il était de leur devoir de conquérir des pays, dans le but éventuel de convertir tout le monde, se trouve dans les manuels scolaires de plusieurs pays majoritairement musulmans dont le Pakistan et l’Arabie Saoudite. En raison de cette croyance, il est difficile pour les musulmans de démonter le discours du groupe terroriste Daesh qui vise à reprendre là où l’Empire ottoman s’était arrêté il y a un siècle.

«Plusieurs de mes certitudes ont été ébranlées durant le débat», reconnaît Kubra Somaz, une étudiante en droit qui a suivi l’atelier de Fadel Solimon. «Parfois, je connais la réponse, mais je ne suis pas capable de l’expliquer. Cela me montre que parfois je ne connais pas ces questions très profondément.» Par exemple, explique-t-elle, quand les journaux danois ont publié les caricatures du prophète Mahomed, beaucoup de Turcs pensaient que les musulmans devaient mettre à mort les caricaturistes, car la tradition dit que le Prophète Mohamed avait lui-même ordonné l’exécution d’un poète. Mais Kubra Somaz a été surprise d’apprendre que certains érudits traditionnels considèrent que le poète a été tué parce qu’il persécutait la communauté musulmane naissance et qu’il représentait une menace existentielle pour la jeune foi.

Renforcer la foi des jeunes musulmans

«Les gens pensent que mon travail sert à éclairer les non-musulmans, mais en réalité mon but secret est d’édifier la jeunesse musulmane et de renforcer leur foi», explique Fadel Solimon. «Si vous leur dites de participer à un atelier pour renforcer leur foi, ils ne viennent pas. Mais si vous les invitez à un atelier pour apprendre à parler de l’islam aux non-musulmans, ils viennent.»

Mais si Fadel Solimon est un réformateur, il est loin d’être libéral. Les homosexuels peuvent être musulmans, explique-t-il, mais se comporter en suivant leurs désirs et en pratiquant la sodomie est un péché. La lapidation et l’amputation sont des punitions valides selon la Sharia, la loi islamique, ajoute-t-il. Mais dans la plus grande partie de l’histoire islamique, elles n’ont pas été appliquées parce que les autorités et les savants ont compris que les systèmes judiciaires étaient viciés et que le risque de punir des innocents était trop grand.

En 2010, Fadel Solimon s’est opposé à l’ancien porte-parole d’al-Qaida, Anwar al-Awlaki, qu’il connaissait de l’époque où ils se trouvaient tous les deux aux Etats-Unis.

Américano-yéménite, Anwar al-Awlaki était responsable de recrutement pour al-Qaida. Il avait diffusé une vidéo dans laquelle il appelait les musulmans à tuer tous les Américains, partout. «Il justifiait le terrorisme. Je ne pouvais pas rester silencieux!» explique Fadel Solimon

Quelle réforme de l’islam?

Quant à la question de savoir si l’islam a besoin d’une réforme, elle fait l’objet d’un vif débat.

Pour H.A. Hellyer, qui collabore avec l’Atlantic Council et avec la Royal United Service Institute, deux organisations internationales de défense et sécurité, la foi a besoin de plus qu’une réforme. Elle a besoin d’un renouveau des savoirs passés. «La (dernière) réforme qui a eu lieu, au 18e siècle, a été davantage que la naissance du mouvement salafiste, qui n’a pas été très positive ou progressive», estime H.A. Hellyer. «En fait, cela a correspondu à l’ouverture d’une boîte de Pandore qui a conduit, par la suite, à la diffusion de nombreuses interprétations perverties de la religion dans le monde musulman.»

Selon lui, tout changement significatif de la pensée islamique nécessitera davantage d’érudits qui, comme Fadel Solimon, veulent revenir à la situation précédent la «réforme» salafiste, car celle-ci enseigne aux musulmans à se détourner de siècles de sagesse considérée comme corrompue.

La prise de distance avec l’érudition islamique traditionnelle facilite le recrutement pour les groupes extrémistes, estime David H. Schanzer, expert en contre-terrorisme pour le gouvernement des Etats-Unis et professeur associé à l’université Duke. Selon lui, les extrémistes «ne sont pas vraiment versés dans la théologie islamique ou la jurisprudence.»

Au-delà de la lutte contre l’extrémisme

Pour Fadel Solimon, corriger les erreurs d’interprétation va au-delà de lutte contre le terrorisme. Selon lui, «l’extrémisme est généralement le premier pas vers un abandon de la religion.» Il donne pour exemple un converti danois, qui s’était opposé à lui lors d’une conférence en 2005 où il expliquait pourquoi l’islam ne justifiait pas le 11 septembre. Des années plus tard, il a appris que cet opposant était Murad Storm, il était alors extrémiste, mais par la suite, il a abandonné l’islam et a aidé les forces américaines et européennes à retrouver la trace d’Anwar al-Awlaki au Yémen, là où le religieux a été tué par une frappe de drone. «Quand des personnes comme Murad Storm entendent des critiques de l’islam pour la première fois, ils sont incapables de les gérer», explique Fadel Solimon. «Ils deviennent violents et essaient de défendre ce qu’ils croient être l’islam. (Finalement) ils risquent de quitter l’islam.»