Oikocredit fête 40 ans d’économie solidaire

Oikocredit fête 40 ans d’économie solidaire

Créé à l’initiative du Conseil œcuménique des Eglises (COE), Oikocredit est devenu un acteur majeur de la microfinance. Ses priorités aujourd’hui sont plus que jamais orientées sur la promotion du rôle des femmes et le soutien à l’activité des zones rurales. Rencontre avec deux de ses responsables le 22 septembre à Lausanne, Ging Ledesma du Comité central et Nicaise Tossou (photo), directeur du bureau Bénin-Togo.

Par Anne-Sylvie Mariéthoz

Que faire de l’argent de l’Eglise? Si on le place pour faire face aux imprévus, comment s’assurer qu’il n’est pas investi dans de mauvaises causes? Lors d’un congrès du Conseil œcuménique des Eglises (COE) à la fin des années 60, de jeunes participants ont interpellé l’assemblée sur cette problématique. Ils avaient à l’esprit des événements comme la guerre du Vietnam ou l’apartheid, impliquant certaines multinationales cotées en bourse. Ainsi est venue l’idée de créer un fonds d’investissement pour les Eglises, qui puisse offrir de meilleures garanties. Et si Oikocredit (de oikos, maison en grec) n’a plus de lien confessionnel aujourd’hui, il est toujours en contact avec de nombreuses paroisses, soucieuses d’investir dans le développement.

Comment ça fonctionne?

Oikocredit forme une communauté internationale d’investisseurs. Chacun peut souscrire des parts —à partir de 200 euros et pour la durée minimale d’une année— qui sont réinvesties dans des projets de développement. Mais l’apport financier n’est qu’un aspect, souligne Ging Ladesma d’Oikocredit international. «Ce dont les gens ont surtout besoin, c’est de savoir-faire et d’outils pour faire face aux difficultés de leur environnement et aux aléas du marché».

Originaire des Philippines, elle cite volontiers l’exemple de son pays, où un certain fatalisme s’est installé au sein de la population, à force de voir son travail anéanti par les catastrophes naturelles. Oikocredit a donc mis en place des dispositifs pour que les artisans et paysans les plus exposés puissent mieux réagir en cas de sinistre, détecter les premiers signes et mettre rapidement l’essentiel de leur équipement à l’abri. «Cela a peut-être l’air élémentaire», commente Ging Ladesma, mais ça montre comment, avec relativement peu de moyens, on peut aider des communautés à améliorer leurs chances. Et de citer d’autres exemples du même ordre: en Inde, des cours de maçonnerie proposés aux femmes pour tirer le meilleur parti du réseau d’eau, en Ouganda, des conseils pour sélectionner les graines de qualité, ou encore, des outils plus efficaces et plus sûrs pour transformer la récolte de noix de cajou, etc.

Des perspectives pour les régions périphériques

Au Bénin, Nicaise Tossou, fait partie de ces relais locaux chargés de «débusquer les projets offrant un haut potentiel». Le haut potentiel, selon cet économiste qui travaille depuis 15 ans en lien avec la microfinance et le développement, ce sont les perspectives d’emploi et de marché durables. Lui aussi insiste sur le «renforcement des capacités» comme vraie garante d’avenir, parallèlement au financement qui constitue aussi une part de son métier. Mais s’il y a au Bénin une cinquantaine d’institutions de microfinance autorisées (qui touchent environ 2 millions de Béninois soit près de 20% du pays), elles sont relativement peu présentes en milieu rural, constate Nicaise Tossou. Or plus de la moitié de la population vit à la campagne «et il est important de l’encourager à garder ses terres».

Oikocredit veut donc adapter sa stratégie pour cibler davantage ses efforts sur les filières de production agricoles et la transformation des produits. L’an passé, une usine de conditionnement de jus d’ananas a été mise en service avec succès. Son originalité relève Tossou, c’est qu’elle est «créée et gérée par les producteurs». Plus de 3600 petits cultivateurs trouvent un débouché pour leurs ananas et ce nombre pourrait encore augmenter, car l’ananas béninois est très apprécié et s’exporte de mieux en mieux dans les pays voisins. La noix de cajou est une autre de ces filières susceptibles de prendre de l’ampleur, avec des perspectives de débouché dans toute l’Afrique de l’Ouest et jusqu’en Asie. «Les infrastructures de transformation actuelles ne sont pas rentables et si nous ne faisons rien elles vont simplement disparaître et leurs emplois avec», précise le directeur du bureau Bénin-Togo. «Alors que nous tenons là une vraie opportunité, de favoriser cette culture traditionnelle indigène.»

Aider d’une autre manière

Les questions fusent parmi la cinquantaine de personnes présentes ce soir-là à Lausanne. Les bénéficiaires parviennent-ils à rembourser leur prêt? Les banques ne voient-elles pas d’un mauvais œil la concurrence d’Oikocredit? «Actuellement, nous avons 100% de nos partenaires qui remboursent leur dette et notre bilan est plus solide que celui de bien des banques», répond Nicaise Tossou. Du reste, sur le terrain où nous intervenons – notamment dans l’agriculture, où le risque est élevé et les délais de remboursement plutôt longs – les banques ne s’aventurent guère, sourit le directeur du bureau Bénin-Togo.

L’Allemagne, les Pays-Bas, les Etats-Unis, l’Autriche, enfin la Suisse, sont les pays où l’on dénombre le plus d’investisseurs. Oikocredit est implantée en Suisse romande depuis 35 ans et plus récemment en Suisse alémanique. L’Association de soutien romande compte 670 membres, dont de nombreux représentants de paroisses. «C’est un complément aux dons», indique Jean-Luc Crisinel, président du Conseil régional protestant de Lavaux. «Une fois qu’on a donné ce qu’on peut, on peut encore aider d’une manière, dans une vision d’échange plus large, qui ne rend pas l’autre redevable.» De plus, Oikocredit organise régulièrement des rencontres entre investisseurs et partenaires, «ce qui est tout de même plus sympathique que de recevoir un rapport de gestion!»