Gribouiller est la nouvelle pratique à la mode pour se relaxer. Mais elle est aussi, pour certains croyants, un excellent support à la prière.

(texte et photo) RNS/Protestinter

Alison Gary allait régulièrement à l'église le dimanche matin, mais récemment elle a adopté un rituel différent: rester à la maison et faire du coloriage avec Emerson, sa fille de 6 ans. «Ces temps je préfère passer du temps à la maison le dimanche matin», explique la maman de 40 ans. Elle vit le coloriage comme «une forme de méditation qui calme mon esprit et me permet de me vider la tête avant d'affronter une nouvelle semaine.»

«Emerson et moi colorions presque chaque dimanche matin», explique Alison Gary. Pendant ce temps, son époux, professeur de yoga, cuisine et écoute de la musique. «Je laisse aller mon esprit et je me sens davantage connectée au monde, plus centrée». Emerson n'est pas la seule adulte à redécouvrir les joies contemplatives de ce qui a longtemps été considéré comme un passe-temps enfantin. Les cahiers de coloriage avec des motifs complexes publiés à l'intention des adultes font actuellement partie des meilleures ventes de livres. Il y en a 5 parmi les 20 meilleures ventes de la librairie en ligne Amazon, aux Etats-unis.

Et ils font office de produit d'appel dans les chaines de matériel de bricolage et d'art. Ces livres accompagnés de marqueurs et de stylos de couleur remplissent des bacs entiers. Parmi ces livres, beaucoup proposent des formes circulaires de mandalas ou des motifs zen, ainsi que des paons mystiques, et autres animaux et plantes exotiques, tels que ceux présentés dans les ouvrages de Johanna Basford: «Secret Garden» (jardin secret) et «Enchanted Forest» (forêt enchantée), deux titres qui figurent parmi les plus vendus de la catégorie.

Alors que les vendeurs présentent généralement le coloriage pour adulte comme un baume contre le stress de la vie moderne, de nombreux adeptes, tels qu'Alison Gary, le décrivent également en termes spirituels. Ce qui soulève la question: le coloriage peut-il être sérieusement considéré comme une pratique spirituelle? Certains peuvent se moquer, «mais cela peut devenir bien plus que simplement colorier, si vous le voulez», avance Sybil MacBeth, auteure en 2007 de «Praying in Color» (Prier en couleur)

Intégrer la prière au coloriage

Dans ce livre, ainsi que dans sa poignée de déclinaisons, Sybil MacBeth partage des techniques pour «intégrer l'intention de prière dans le coloriage», tel que griffonner des noms de personnes, des évènements ou des demandes d'intercessions telles que la guérison et la paix. Sybil MacBeth se présente comme «danseuse, gribouilleuses et professeurs de math retraitée.» Elle est aussi mariée à un prêtre épiscopal retraité. Elle croit que le coloriage et le griffonnage sont des pratiques de prière puissantes, une découverte qu'elle a faite lors d'une période difficile de sa vie. Plusieurs membres de sa famille étaient touchés par le cancer. «Mes prières me paraissaient vaines», se souvient-elle. Mais un jour, elle était assise devant chez elle et gribouillait. «Après un moment, je me suis rendu compte que j'étais en train de prier.» Elle avait une page de gribouillis avec des noms de personnes, parmi lesquelles celui de sa belle-sœur diagnostiquée d'un cancer de stade 4 (extension de la maladie au travers de métastase). «Au travers des mes griffonnages, explique-t-elle, je passais du temps avec Sue et la confiait à Dieu»

Ce qui a débuté comme une «pratique spirituelle accidentelle» est désormais «intentionnelle», ajoute-t-elle. Elle a partagé sa technique non seulement au travers de ses livres, mais aussi lors de plus de 150 ateliers et retraites d'Eglise, tant pour les catholiques que pour les protestants. «Gribouiller peut sembler stupide», reconnaît Sybil MacBeth, mais quand elle prie «son corps a besoin de participer.»

Mais précisément, qu'est-ce qui peut élever le coloriage ou le griffonnage au rang de pratique spirituelle? Pour Sybil MacBeth, c'est quand «ma pensée, mon corps, mon esprit et mon âme sont tous au même endroit… et que ma pensée ne vagabonde pas. Alors cela devient une pratique spirituelle.»

Alison Gary qui a été élevée dans une tradition unitarienne universaliste partage ce point de vue holistique. Pour elle, l’Eglise a «toujours été quelque chose de plus spirituel que l'application d'une doctrine», explique-t-elle. Sybil MacBeth sait que certaines personnes colorient «juste pour se relaxer et de déstresser», mais «d'une perspective chrétienne, c'est quand Dieu peut se frayer un passage.»

Absent des librairies catholiques

La tendance n'a pas encore touché les libraires catholiques, les livres à colorier pour adultes ne peuvent pas encore y être trouvés. «La plupart des commerces catholiques, tant en boutique qu’en lignes, se fournissent auprès d'une quantité restreinte de grossistes spécialisés dans le marché catholique», explique Helen Foutain, vice-présidente, responsable des marchandises pour The Catholic Compan (la compagnie catholique). «Peut-être que leur nouveauté fait que ces livres n'ont pas encore atteint le moment où ils sont visibles dans les magasins catholiques, le nôtre y compris.»

Mais Sybil MacBeth voit un intérêt potentiel parmi les personnes religieuses ou non. Il y a déjà des livres basés sur des hymnes, des psaumes, des récits bibliques, la culture juive ou autre. «L'humain vit de rituels – nous nous levons, nous nous brossons les dents, nous prenons un café. Cela donne forme à notre journée», explique l'auteure. «De la même façon gribouiller et colorier peut donner forme à nos prières.»

Parmi les fans de sa technique figurent l'auteur populaire d'ouvrage de spiritualité Lauren Winner, une prêtre épiscopale et professeure assistante à la Duke Divinit School. Elle a déclaré: «sans exagérer, «Praying in Color» est la chose la plus importante qui soit arrivée à ma vie spirituelle au cours des cinq dernières années. Comme de nombreux chrétiens, «j'ai tendance à vivre de discours, pourtant quand je prie, je ne trouve parfois pas les mots. Et le gribouillage est une façon de laisser-aller sans les mots.» Elle ajoute «Lorsque vous coloriez ou gribouillez, vous avez la permission de ne pas avoir de mots. Il y a un flux et reflux entre le silence et ces mots. Cela devient un mini pèlerinage.» Elle note: «jouer et prier ne sont pas deux choses si différentes». Puis elle conclut «Jésus a dit ‘si vous ne devenez pas comme un enfant...’… vous devez abandonner votre ego, baisser votre garde. Ce n'est pas état, mais un processus!»