Le président du Conseil central juif d’Allemagne félicite l’Eglise protestante allemande pour son attitude face à l’antisémitisme de Luther

Le président du Conseil central juif d’Allemagne félicite l’Eglise protestante allemande pour son attitude face à l’antisémitisme de Luther

L’Eglise Protestante d’Allemagne (EKD) prépare depuis des années la commémoration de la Réforme, qui aura lieu en 2017. Pendant longtemps, les propos problématiques tenus par Martin Luther dans ses dernières œuvres sont restés ignorés. Dans ces travaux, le réformateur calomnie les Juifs, appelle à les expulser ainsi qu’à incendier les synagogues. Josef Schuster, président du Conseil central des Juifs d’Allemagne, apprécie la franchise dont l’EKD a fait preuve récemment à ce sujet et explique pourquoi, du point de vue juif, les protestants peuvent tout à fait se permettre de célébrer la fête de la Réforme dans la joie.

Photo: Josef Schuster en mai 2015, CC(by) Freud

Propos recueillis par Daniel Staffen-Quandt, Würzburg, EPD/Protestinter

Josef Schuster, compte tenu de l’antisémitisme de Luther, les protestants ont-ils le droit de célébrer les 500 ans de la Réforme la conscience tranquille?

Vous remarquerez que la date anniversaire de 2017 porte bien le nom d’année de la Réforme, et non pas celui d’année de Luther. La Réforme a eu une grande importance pour les chrétiens protestants du monde entier, en fin de compte elle est devenue l’évènement fondateur de l’Eglise; Luther y a joué un rôle moteur. Il est indéniable que dans la dernière phase de l’œuvre de Luther, on trouve des témoignages qui ne peuvent être considérés que comme antisémites. L’Eglise Protestante d’Allemagne (EKD) traite le sujet avec beaucoup de justesse, car elle reconnaît aussi cette partie de l’action de Luther, tout en la désapprouvant.

Il y a une grande différence entre le Luther des débuts, qui soutenait en partie les juifs, et le vieux Luther antisémite: peut-on les distinguer?

On ne doit pas diviser Martin Luther en deux personnes; cependant, on discerne très vite chez lui deux attitudes différentes envers le judaïsme. Luther, dans un premier temps, s’est tout simplement déclaré en faveur des juifs, et, pour l’époque, c’était quelque chose de tout à fait exceptionnel. La vraie question est: qu’a-t-il voulu dire par là? Cela, nous ne le savons pas et nous ne le saurons jamais. De toute façon, il est clair que les déclarations du vieux Luther sont problématiques. Du point de vue des juifs, bien entendu, mais également pour l’Eglise protestante.

Selon certaines personnalités juives, les paroles de Luther ont mené tout droit aux chambres à gaz. Est-ce également votre opinion?

La promotion par l’Eglise de l’hostilité envers les juifs, aussi bien du côté catholique que protestant, a sûrement formé au sein de la société un terrain fertile pour l’antisémitisme du début du XXe siècle. Mais personne ne peut aujourd’hui affirmer avec certitude savoir ce qui a rendu possible un évènement tel que la Shoah. Il est indiscutable qu’à travers les Eglises ont été attisés des ressentiments envers les juifs, qui ont ensuite été exploités par les nazis pour arriver à leurs fins.

Quoi qu’il en soit, le fait est que Luther, dans son livre «Des juifs et de leurs mensonges», appelle bien à incendier les synagogues...

... Et on ne peut tout simplement pas l’ignorer. Mais j’ai l’impression que l’EKD ne cherche pas non plus à le cacher. Heinrich Bedford-Strohm, président du Conseil et évêque de l’Eglise luthérienne de Bavière, a très clairement exprimé à plusieurs reprises, lors de déclarations publiques, mais aussi en discutant avec moi en privé, que ces paroles et ces thèses de Luther étaient et sont totalement inacceptables. Et d’après ce que j’ai entendu du Conseil de l’EKD, il va y avoir du côté de l’Eglise une prise de position à ce sujet lors de l’anniversaire de la Réforme.

Les «chrétiens allemands» se sont réclamé de l’antisémitisme de Luther. Que faut-il donc faire de toutes les relectures?

La relecture est toujours positive, cela ne fait aucun doute. Mais à l’occasion de la commémoration de la Réforme, nous ne devons pas publiquement mettre en exergue et interpréter en détail chaque aspect de ce qu’il y a pu avoir comme propos, actes ou réflexions antisémites au sein de l’Eglise protestante. Cependant, lorsqu’il s’avère que des fonctionnaires et de hauts dignitaires –aussi bien des laïcs que des ecclésiastiques– ont activement collaboré au sein de «l’Institut de déjudéisation» des «chrétiens allemands» par exemple, j’attends bien évidemment de l’Eglise protestante qu’elle fasse entendre une parole de responsabilité et d’excuse.

L’antisémitisme de Luther est-il responsable pour l’implantation si rapide de l’idéologie nazie dans les régions qui, justement, étaient protestantes?

Ce serait plutôt à un sociologue de répondre à cette question; mais le fait est que dans les régions où le protestantisme était ancré, l’idéologie nazie s’est répandue potentiellement plus facilement et plus rapidement. Quant au fait que cela soit lié aux propos antisémites de Luther, je n’en sais rien.

Que pensez-vous du fait que l’Eglise ne commence à débattre activement et publiquement de l’antisémitisme de Luther que 70 ans après la fin de la guerre?

Sur ce point, les Eglises ne sont ni meilleures ni pires que n’importe quels autres groupes et structures sociales. Ainsi, on peut constater la même chose dans les associations ou les organisations scientifiques: la confrontation avec les évènements de l’époque nazie, presque partout, n’a commencé que ces dernières années. Je pense en effet qu’il a fallu attendre qu’une majorité de la génération des coupables ne soit plus parmi nous. Beaucoup redoutaient de mettre un membre de leur propre famille, un représentant de leur profession ou un membre de leur Eglise face à leur rôle, tant que ceux-ci étaient vivants.

Aux XVIIIe et XIXe siècles, de nombreux Juifs allemands, dont Heinrich Heine, ont vénéré Luther comme un saint. Comment cela se fait-il?

Heinrich Heine s’est converti au christianisme par la suite; il n’est donc certainement pas le meilleur exemple. Pourtant, c’est vrai, certains juifs ont occulté le Luther tardif; mais ce n’était certainement qu’une minorité. Je pense que les citoyens juifs de l’époque essayaient ainsi, d’une certaine manière, d’être mieux reconnus. Une tentative qui a lamentablement échoué, comme on le sait aujourd’hui.

Vous attendez des institutions religieuses qu’elles prennent leurs distances par rapport aux protestants évangéliques. Pourquoi? Parce qu’ils soutiennent la conversion des juifs?

Oui, tout à fait. J’attends de l’Eglise protestante d’Allemagne et des Eglises qui s’y rattachent qu’elles se positionnent clairement de telle sorte que leur appel au prosélytisme chrétien ne soit pas dirigé contre les juifs. Et pas seulement à cause de l’histoire allemande, mais surtout à cause des racines juives du christianisme.

Beaucoup d’évangéliques se rapprochent des juifs messianiques. Là aussi, vous réclamez une séparation claire; pourquoi?

Parce que les juifs messianiques portent mal leur nom. Il y a bien sûr une variété considérable de déclinaisons du judaïsme et également du christianisme. Mais tous les chrétiens considèrent Jésus comme le Sauveur, et nous, les Juifs, non. C’est cela, la différence, et tout le monde devrait l’accepter. Qui a raison sur ce point, aucun des deux côtés ne le sait. Mais on peut clairement distinguer qui appartient à quel groupe. Pour moi, c’est un fait: si quelqu’un croit que Jésus est le Sauveur, alors il doit se réclamer du christianisme.

Par conséquent, vous escomptez également que les juifs messianiques ne trouvent pas à l’occasion de l’anniversaire de la Réforme une plateforme d’expression, contrairement aux congrès des Eglises?

Oui, pour moi ce serait à la fois juste et important. Parce que les soi-disant juifs messianiques essayent, sous le couvert du judaïsme, de convertir les juifs aux croyances chrétiennes.