Tanzanie: les défenseurs des albinos se lancent dans une chasse aux sorcières

Tanzanie: les défenseurs des albinos se lancent dans une chasse aux sorcières

L’ONU redoute une augmentation des meurtres de personnes atteintes d’albinisme à cause des prochaines élections présidentielles prévues en octobre. Dans cette perspective, de nombreux militants politiques ont en effet recours à des «voyants» qui utilisent des parties du corps des albinos pour «prévoir l’avenir». Des groupes «d’autodéfense» organisent de véritables chasses aux sorcières, et n’hésitent pas à tuer sur simple présomption.

Photo: Un enfant albinos au Burundi, CC (by-nc-nd) Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

, «USA Today»/RNS/Protestinter, Tabora, Tanzanie

Dans la zone rurale de Tabora, au nord-ouest de la Tanzanie, de nombreuses femmes vivent dans la crainte. Elles redoutent d’être prises pour cible dans de véritables chasses aux sorcières organisées par des groupes qui prétendent faire justice eux-mêmes, et attaquent des femmes qu’ils soupçonnent être des sorcières responsables de meurtres d’albinos. Ces meurtres sont par ailleurs encore en augmentation, car ils sont liés à la croyance toujours répandue que leur peau blanche aurait des vertus magiques.

Le mois dernier, environ 200 villageois en colère –surtout des jeunes brandissant des haches, des machettes et des couteaux– se sont saisis de Faidha Bakari, 58 ans, et l’ont lacérée à coups d’armes blanches avant de la brûler vive, sous les yeux de son mari, impuissant. «Ils sont venus à minuit frapper à la porte», raconte ce dernier, Moïse Bakari. «Ils ont fait irruption dans la maison et se sont jetés sur ma femme qu’ils ont tailladé à coups de machette et de couteaux. Puis ils ont l’ont brûlée, et plus tard ils ont mis le feu à la maison. Ils ont prétendu que ma femme pratiquait la sorcellerie et tuait des albinos».

Moïse Bakari s’est enfui avec ses trois enfants, et s’est réfugié dans la maison d’un voisin. «Je n’ai jamais eu connaissance, ni entendu dire que ma femme pratiquait la sorcellerie», a-t-il affirmé, «je n’arrive toujours pas à croire que j’ai perdu ma femme dans une mort aussi affreuse. Je guérirai seulement si justice est faite, parce qu’elle était innocente.»

Les femmes âgées sont les plus menacées

Le meurtre de Faidha Bakari n’est pas un cas isolé. Des groupes de milice de «voisins effrayés» ont lynché, lapidé ou battu à mort plus de 1000 femmes l’année dernière, selon le centre pour la promotion du développement rural, un groupe de développement kenyan, et le centre des droits juridiques et humains basé à Dar es-Salaam. Ces organisations estiment à plus de 3000 le nombre de femmes soupçonnées de sorcellerie, le plus souvent des femmes d’âge moyen ou plus âgées, et qui ont été tuées lors de ses six dernières années. Ce sont les femmes les plus âgées qui souffrent le plus de cette chasse aux sorcières provoquées par les meurtres d’albinos, a dit Erick Wandera Omwami, le directeur général du centre pour la promotion du développement rural, qui pousse le gouvernement à englober des recommandations visant à éviter le meurtre de sorcières présumées dans sa campagne d’éducation contre le meurtre des albinos.

«Ce n’est pas de chance pour les personnes plus âgées de vivre dans cette région, mais nous devrions savoir que toute personne âgée a le droit de vivre comme tout le monde», a-t-il ajouté. «Nous travaillerons ensemble pour aider les communautés à comprendre les droits des autres et éviter les actions rétrogrades et barbares perpétrées sur d’autres êtres humains.»

Un désir de justice qui rate sa cible

Nombre de partisans de la chasse aux sorcières se prennent pour des justiciers: «le gouvernement a échoué à appréhender les sorciers qui tuent des innocents au sein de notre peuple», a déclaré Wilson Asida, un résident de Tabora; «les sorciers ont tué beaucoup d’albinos pour obtenir des pouvoirs magiques. Nous les tuerons nous-mêmes pour faire justice». Il accuse le gouvernement –qui a interdit la sorcellerie au mois de janvier dernier– de trop compter sur les tribunaux pour établir si oui ou non les femmes accusées étaient des sorcières. «Mais ils font semblant, continue Wilson Asida, comme s’ils ignoraient que la sorcellerie existe».

Dans le courant des 15 dernières années, 75 personnes atteintes d’albinisme ont été tuées en Tanzanie, mais selon l’ONU, la justice tanzanienne n’a reconnu que 10 personnes coupables de ces meurtres. Selon les chiffres de la Société d’albinisme tanzanienne, sur une population de 50 millions de personnes, le pays compte environ 33’000 personnes atteintes d’albinisme.

Le haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme Zeid Ra’ad Al Hussein a révélé lors d’une déclaration la semaine dernière que trois meurtres avaient été perpétrés au cours seulement des deux derniers mois. Il a fait cette déclaration suite «au meurtre terrifiant et à la mutilation» d’un bébé âgé d’une année et atteint d’albinisme au début de ce mois. Il redoute que ces meurtres s’intensifient à l’approche des élections présidentielles, et du recours à la magie qui reste très fréquent, y compris dans les milieux politiques.

Le système de croyances et la grandeur du territoire handicapent la police locale

La police tanzanienne admet que les meurtres concernant la sorcellerie sont chose commune dans le nord-ouest du pays, mais déclare que la chasse aux coupables est difficile. Les lynchages ont tendance à se produire après la mort subite de quelqu’un de la communauté, ou après qu’un albinos soit porté disparu, a expliqué le porte-parole de la police, Ignas Mtana. «Souvent, a-t-il dit, ce sont les sorciers eux-mêmes qui accusent d’autres sorcières d’être à l’origine de ces malheurs». Il se trouve que les gens qui attaquent des sorcières présumées consultent eux-mêmes d’autres enchanteurs, qui sont susceptibles aussi d’avoir affaire avec des parties de corps d’albinos. Il reconnaît qu’il est très difficile dans ces conditions d’aller au fond des choses. «Quand quelqu’un meurt subitement, les membres de la famille vont chez des devins pour découvrir la cause de la mort» explique Ignas Mtana, «les devins attribueront alors la mort à une sorcière et donneront un nom.»

D’après le porte-parole, la police intervient toujours pour empêcher les lynchages dont les policiers sont témoins, et ils procèdent à l’arrestation immédiate de tous ceux qui attaquent une femme soupçonnée de sorcellerie, mais les forces sont plutôt minces par rapport à l’étendue de la région à couvrir, qui inclut les grandes plaines du Serengeti. En attendant, les femmes se cachent en redoutant une attaque. Rosemary Aziza, qui a 76 ans et vit près de Tabora s’inquiète: «quelqu’un a glissé un billet portant mon nom pour le rajouter à une liste de femmes soupçonnées de sorcellerie. Je resterai cachée jusqu’à ce que les choses reviennent à la normale.»