«Aller voter, c’est faire le travail de Dieu sur le mont Sinaï»

«Aller voter, c’est faire le travail de Dieu sur le mont Sinaï»

La question de la révélation du texte sacré et de son impact sur la conception politique du croyant a été au cœur de la première conférence d’un cycle consacré au rapport entre violence et religions. Directeur du Centre de droit arabe et musulman, Sami Aldeeb pointe l’attachement des musulmans au droit révélé par Dieu comme un problème pour cette communauté.

«La maladie du Coran c’est la révélation», a répété à plusieurs reprises Sami Aldeeb, jeudi 29 janvier devant la Société vaudoise de théologie. La conférence de cet intervenant dans plusieurs universités et directeur du Centre de droit arabe et musulman, ouvrait le séminaire 2015 qui s’interroge: «le religieux: solution ou source de conflits».

Dans un langage parfois très vert, une provocation assumée visant à faire réagir son auditoire, Sami Aldeeb démontre que la question de la révélation du texte, commune à toutes les religions monothéistes bloque aujourd’hui l’Islam. «Dans le christianisme, on admet désormais que la révélation du texte, s’est une parole de l’homme sur Dieu, on peut donc se permettre de contextualiser certains textes violents de la Bible comme inscrits dans une époque. Mais dans l’islam, on considère très majoritairement que la révélation c’est une parole de Dieu pour l’homme», explique Sami Aldeeb. «Il faut dire que le Coran a été écrit par un rabbin étourdit. Mais si vous dites, “c’est Dieu qui a dit”, alors vous mettez Dieu dans la merde. Vous faites de Dieu un boucher!»

Obéir à Dieu, pas aux hommes

Concrètement, cette différence de statut du texte sacré empêche les croyants musulmans d’entrer sincèrement dans la démocratie et de dépasser le droit révélé dont ils sont héritiers. «Si la loi a été dictée par Dieu, alors elle est immuable, Dieu ne change pas, il n’y a pas de raison de changer sa loi», explique le chercheur. Dans cette conception, «quand vous allez voter, vous faites le même travail que le Bon Dieu sur le mont Sinaï!»

Il compare avec le christianisme: «le hippie SDF, Jésus se foutait des interdits du judaïsme, il n’était pas législateur pour un sous! Ce n’est certainement pas avec les normes de Jésus qu’on allait pouvoir diriger un pays.» Si bien que quand l’Empire romain adopte le christianisme, c’est bel et bien le droit romain qui s’impose: «la loi est ce que le peuple prescrit et établit», loin du «obéissez à Dieu et à Mahomet» défendu par le Coran.

Comment dépasser la révélation?

Comment dès lors dépasser ce rapport au texte? Plusieurs intellectuels musulmans remettent toutefois en cause la perception rigoriste de la révélation. Mais ils n’osent pas s’exprimer publiquement. Sami Aldeeb explique avoir rencontré des défenseurs de trois perspectives.

La première serait de nier toute révélation divine. «A la fin du récit de création de la Bible, Dieu se repose, on ne nous dit jamais qu’il est revenu de ses vacances. Pourquoi serait-Il revenu pour dicter des textes à Moïse ou Mahomet?», explique Sami Aldeeb.

La deuxième est de refuser les parties du Coran écrites à Médine et de ne conserver que la révélation faite à la Mecque. Il faut pour cela se souvenir que le Coran a été écrit en deux étapes. Mahomet a reçu une prophétie à la Mecque, puis une fois devenu chef d’Etat à Médine, il a modifié son texte. Ces ajouts tardifs sont à l’origine des violences qui figurent dans le Coran, selon Sami Aldeeb. Mahomet s’étant alors servi de son texte pour faire rentrer dans le rang ses opposants politiques. Le problème est que dans les éditions traditionnelles du Coran, les textes ne figurent pas dans l’ordre chronologique. Mais Sami Aldeeb a justement produit une traduction en français du Coran dans laquelle il a rétabli les textes dans leur ordre d’écriture.

Enfin, une troisième façon de dépasser les problèmes liés à la révélation du texte serait de comprendre différemment la parole de Mahomet «Je suis le dernier prophète». Non pas dans ce sens qu’après lui tout a été dit, mais dans l’esprit qu’après lui l’humanité dispose de la maturité nécessaire pour développer sa propre pensée. «Dieu a considéré qu’il était temps de sevrer l’humanité.»

Les universités faillissent à leur devoir!

Au moment des questions, après la conférence de Sami Aldeeb, un malaise était perceptible: comment savoir ce qui est vrai sur les discours tenus sur l’islam? Alors que la plupart des responsables musulmans nous présentent l’islam comme pacifique et compatible avec la démocratie, Sami Aldeeb, excellent connaisseur de cette religion, nous en dresse un portrait beaucoup plus dur. Le chercheur abonde et dénonce la méconnaissance des doctrines et du Coran y compris chez les musulmans. «Les universités ont failli à leur devoir; les facultés de théologie se foutent de notre gueule», dénonce-t-il en regrettant le manque de connaissance moyen qu’ont les chercheurs sur cette religion et l’absence de discours critique porté à son sujet. «Je ne vous demande pas de me croire et de me faire confiance quand je vous parle de l’islam, je vous demande de vous informer et d’apprendre!»

Agenda

L’éthicienne Céline Ehrwin Nihan sera l’oratrice de la prochaine conférence de ce cycle, le 12 février. Elle interrogera les rapports entre le religieux et l’espace public. Pour davantage d’informations, téléchargez le papillon du séminaire.